Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n'ai rien dit, je n'étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n'ai rien dit, je n'étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n'ai rien dit, je n'étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait personne pour protester...
Pasteur Martin Niemoller (Dachau 1942)
Il y a un juste an de cela. Entre Zinder et Niamey on compte 10 morts et plusieurs blessés. Des dizaines d’églises, hôtels, bars ont été incendiés et saccagés. Certains individus et familles ont été forcés de quitter leur maison pour sauver leur vie. C’était les 16 et 17 janvier 2015. A quelques jours des événements de ‘’Charlie Hebdo’’ en France. A peine un an de cela et beaucoup de traces extérieures ont été effacées. Les différents bâtiments pour la plupart ont été rénovés. Il y a eu des arrestations, des promesses et des assurances de la part des autorités. Quant aux blessures intérieures et sociales, elles, sont bien là. On le sait bien, la réalité est têtue, obstinée, dérangeante et défiante. Elle laisse des traces qu’on ne saurait effacer d’un trait ‘’politique’’.
Bien sûr on peut passer à d’autres dossiers plus urgents. La tentation d’éviction des événements est toujours possible. Ici et ailleurs, elle a été appliquée avec un certain succès. Dans certains cas, cette stratégie semble donner des fruits. Ou alors il est plus simple d’essayer de changer de discours ou de tourner la page. Le problème est que le livre est là, ouvert à un chapitre douloureux de l’histoire de notre pays. Les citoyens nigériens au premier abord et les étrangers, se sont sentis trahis et abandonnés par les institutions qui étaient censées les protéger. Depuis lors un grand silence est tombé sur les faits de janvier 2015 au Niger.
Je n’ai rien dit…
L’éviction sociale d’un événement peut utiliser, consciemment ou pas, différentes étapes ou dispositifs. Le poème cité ci-dessus est un exemple intéressant et instructif. Dans toute société, quand on mutile ou on confisque le droit d’une partie du peuple, on affaiblit le corps sociale dans son ensemble. Les droits, en effet, sont indivisibles. Le manque de respect des droits d’une partie des citoyens fait diminuer les ‘’défenses’’ éthiques et donc démocratiques de la société dans son ensemble.
L’autre stratégie d’éviction consiste dans la facilitation de l’oubli ou l’amnésie. Cette dernière est une maladie qui consiste en une perte ou diminution de la mémoire. Dans ce processus le temps joue sa part. Il couvre d’une épaisse couche de poussière l’événement dans l’espoir de le cacher aux yeux de la mémoire. C’est qu’il y a le vent, celui de l’histoire, qui souffle et met à nu la vérité.
A l’époque, les réactions aux événements avaient été plutôt timides. Cela peut s’expliquer pour certains par la surprise, le désarroi sincère souffert et la peur. Cette dernière semblait d’ailleurs se justifier à cause de la gravité des faits de Paris. Les Eglises chrétiennes au Niger étant perçues comme une émanation de l’occident, il était ‘’normal’’ qu’elles en payent les frais.
Une société civile plus attentive et moins complexée aurait pu faire entendre sa voix avec celles de tous citoyens conscients de l’enjeu démocratique derrière les faits. Oui bien sûr quelques timides déclarations et puis la ‘’grande’’ manifestation populaire contre ‘’Boko Haram’’ ont fini par engloutir la suite.
Quand on parle de pardon…
Ce mot qui est sorti aussitôt après les événements de la part de ceux qui ont souffert de la violence est un mot particulier. Pardonner encore avant d’avoir connu les auteurs des violences a été un acte de courage et de foi chrétienne. Il a été question de tenter de mettre en pratique l’attitude que l’évangile demande à ceux et celles qui la prennent au sérieux. Un pardon sans conditions et sans complexe d’infériorité. Un pardon qui se voulait l’expression de la présence chrétienne dans la terre nigérienne, signe d’espérance et de futur.
D’autre part, il est aussi important que le pardon ne s’identifie pas à l’oubli. Cela sera une double trahison. De ceux qui ont perdu la vie et de ceux et celles qui ont souffert une profonde humiliation dans leur sentiment religieux. Les églises ne sont pas simplement des bâtiments. Elles sont un symbole et contribuent à l’identité personnelle et communautaire de tout un peuple. Détruire un lieu de culte signifie toucher la dignité humaine dans ce qu’elle a de plus précieux, la relation avec la source de la vie. L’oubli signifierait devenir des complices du crime.
La mémoire est donc fondamentale et constitutive du véritable pardon. Elle se rappelle des événements non pas pour garder rancune ou chercher une revanche. La mémoire garde une relation dynamique avec la vérité des faits, tout en les regardant autrement. On ne change pas le passé mais on peut changer le regard sur le passé. C’est exactement pour cela que l’évêque Desmond Tutu, de l’Afrique du Sud, avait déclaré que sans pardon il n’y a pas de futur.
Le pardon impliquera aussi la justice, la réparation et la vérité. Ces différents éléments ‘’conspirent’’ pour régénérer la société. Voilà pourquoi il est important que la société et en particulier les intellectuels, ne permettent pas à l’amnésie de se propager. La défaite pour tous serait alors totale.
Anne Marie Douramane, juriste
Mauro Armanino, anthropologue