Le président de la CENI a signé, ce mercredi 17 février, un arrêté qui valide le vote par témoignage pour les prochaines échéances électorales notamment le double scrutin du 21 février prochain.
A travers cet acte, la CENI s’aligne donc sur l’avis exprimé par le Conseil d’Etat qui a été saisi par le premier ministre sur la question à la suite de l’absence de consensus au sein de la classe politique pour modifier les dispositions légales, qui en l’espèce, n’autorise pas cette procédure.
Le Conseil d’Etat s’est en effet prononcé en faveur du vote par témoignage dans un avis daté du 2 février. Le Conseil a indiqué que la justification de l’identité de l’électeur par témoignage a été autorisée par toutes les lois électorales dont le Niger s’est doté depuis un peu moins de 20 ans. « C’est le système du fichier biométrique qui est exclusif du vote par témoignage », a estimé l’institution avant d’ajouter qu’en attendant qu’un tel fichier soit disponible et opérationnel, « les élections doivent être organisées sur la base et selon les règles inhérentes au fichier classique ». Le Conseil d’Etat a aussi relevé que l’article 20 de la loi organique N° 2014 03 du 15 Avril 2014, autorise l’inscription par témoignage des électeurs au fichier électoral et qu’il serait, par conséquent « paradoxal d’écarter le vote par témoignage d’un électeur inscrit sur la base de témoignage, le vote constituant à l’évidence la finalité de cette inscription ». C’est pour ces raisons que le Conseil d’Etat a estimé que « le vote par témoignage est possible sur le fondement de l’esprit des lois et des pratiques électorales au Niger ».
Toutefois, la saisine de l’institution en la matière reste sujette à caution puisqu’il n’elle n’est pas juge du contentieux électoral comme l’ont soulignés plusieurs experts juridiques. Cependant, Le Conseil d’Etat peut être légalement saisi pour consultation par le premier ministre et peut servir, à ce titre, de conseil pour le gouvernement.
Il ne s’agit pourtant pas du seul aspect de cette épineuse équation qui défraie la chronique, puisqu’en l’absence de consensus politique même au sein du CNDP, les dispositions de certains textes légaux, et communautaires ratifiés par le Niger, sont très strictes par rapport aux modifications des lois électorales particulièrement en cette période décisive et hautement sensible du processus.
En dépit de ces considérations qui ont contribué à alimenter la polémique, la CENI qui n’a pas pu trancher sur la question après de longues heures de débat, a décidé de recourir au vote en dépit du retrait des représentants des partis de l’opposition et du rapporteur de la Commission, l’acteur de la société civile, Maykoul Zodi. A l’issue du vote, l’acceptation du vote par témoignage a obtenu 32 voix favorable contre 30.
C’est donc à la suite de ce processus que vient se greffer la décision du président de la CENI qui ne fera qu’amplifier le débat sur la validité de cette procédure aux multiples enjeux électoraux. Plus d’un millions d’électeurs sur les 7,5 millions d’électeurs ont été recensés par témoignage et inscrits comme tels sur les listes électorales. De quoi largement susciter des présomptions de « fraude électorale » même si en l’étape actuelle, toutes les formations politiques en compétition sont présumées innocentes jusqu’à preuve de contraire. Ce qui n’empêche pas de reconnaître qu’il y a des partis que le « vote par témoignage » arrangerait bien plus que les autres, en raison de plusieurs facteurs dont les prémisses sont déjà perceptible avec les informations faisant état d’achat par des hommes politiques de carte d’électeurs.
Dans sa dernière déclaration publique, l’opposition politique réunit au sein de la Coalition pour l’alternance en 2016 (COPA 2016), a fait savoir « qu’elle n’accepte et n’acceptera jamais le vote par témoignage car infondé en droit ». De même a estimée l’opposition politique, le lundi 15 février dernier, « l’utilisation et l’implication du Conseil d’Etat ainsi que de la CENI dans une matière électorale qui ne relève pas de leurs compétences respectives sont une violation de la Constitution du 25 novembre 2010 et mettent conséquemment en danger la tenue imminente des consultations électorales ».
A quelques jours du scrutin et alors que la campagne électorale est dans sa dernière ligne droite, la décision de la CENI risque d’amplifier davantage la tension politique au vu des positions figées de part et d’autres et alors que la loi actuellement en vigueur ne permet pas le vote par témoignage.
A défaut de consensus politique sur l’équation, laquelle n’a pas pu trouver de solution même au sein du CNDP, la crédibilité et la transparence des prochains scrutins risquent d’être remises en cause avec les conséquences qu’ouvrent cette situation pour le pays.
Au stade actuel du processus et afin d’atténuer les risques de tensions, il serait préférable que la Cour Constitutionnelle soit saisit ou qu’elle se prononce sur la question, notamment les prérogatives de la CENI, et cela avant la tenue du scrutin. Autrement, il va falloir attendre les résultats provisoires et ainsi la Cour pourra valider ou non « les votes par témoignage ». Les hypothèses que cette alternative pourra engendrer constituent aussi des ingrédients qui entacheront incontestablement la crédibilité du scrutin, car il ne s’agit pas seulement de veiller à faire en sorte que les scrutins soient réguliers mais qu’ils se déroulent d’abord dans un climat apaisé.
Dans le cas de figure où la Cour Constitutionnelle n’est pas saisie, il appartiendra à la CENI qui a déjà le vin, de prendre les mesures nécessaires pour garantir les conditions de transparence et de régularité des élections, à condition toutefois que les partis de l’opposition, qui font de cette affaire une question de principe, acceptent de revoir leur position et d’aller aux élections avec les nouvelles dispositions.
Dans un cas dans l’autre, la CENI devrait face à une période de tourmente les prochaines heures avec la décision annoncée de certains de ses membres de jeter l’éponge en cas d’intégration du vote par témoignage.
A quelques jours du double scrutin de dimanche, c’est plus que jamais le retour de l’incertitude politique sur ce rendez-vous électoral. Gageons seulement que nos politiciens, de tout bord, sauront faire preuve de maturité pour permettre à notre pays de traverser cette zone de turbulences dans un climat serein. Du reste, la présence déjà au Niger, des missions électorales de l’Union africaine ou de l’OIF ainsi que les autres partenaires internationaux (CEDEAO, UE, ONU,..) est assez opportune pour aplanir les divergences entre majorité et pouvoir, puisqu’au final, c’est juste de ça que le pays a besoin.
A juste titre, dans un rapport que vient de publier l’Institue for Security Studies (ISS AFrica) sur les enjeux des élections du 21 février pour le Niger, il est clairement établi que «l’organisation d’élections apaisées et sécurisées dont les résultats seront acceptés par tous demeure ainsi le principal défi auquel les autorités de ce pays sont confrontées ». Les raisons principales sont relatives au contexte national « fragilisé par des tensions entre les acteurs politiques sur les grands enjeux de ces élections et une recrudescence de la violence menée par le groupe terroriste Boko Haram ».
Des recommandations impartiales que tous les acteurs seront bien avisés de tenir compte au nom de l’intérêt du Niger dans son ensemble.