Vous comprenez sans doute , après la forfaiture dont j’ai été témoin, car il s’agit bien d’une forfaiture de la part de la CENI, je ne peux garder le silence face aux énormes interrogations de nos compatriotes, à une semaine, à peine, de la date des scrutins du 21 février 2016. J’ai donc décidé de vous écrire cette lettre ouverte afin que l’ensemble de nos compatriotes soient informés de l’acte gravissime que la CENI, sous vos auspices, vient de poser. J’ai été choqué par cette propension d’un groupe à violer la loi ; j’ai été surtout choqué par votre attitude que j’ai considérée comme une complicité volontaire de faciliter une entreprise liberticide.
J’ai été enfin choqué de constater qu’en dépit du fait que le Premier ministre Brigi Rafini n’ait pas saisi la Cour constitutionnelle tel que vous lui avez demandé, vous avez de faire table rase de tout pour faire plaisir à un camp politique au détriment d’un autre. Pourquoi estce le camp de Mahamadou Issoufou qui s’accroche tant à ce vote par témoignage ? La réponse à cette question, à elle seule, aurait suffi pour vous alerter et vous dire : ATTENTION, DANGER ! Bref , vous avez choisi votre voie et je ne peux que le constater.
Malgré les doutes qui m’ont toujours habité quant à votre sincérité et à votre impartialité dans la conduite du processus électoral en cours, J’avais essayé de ne privilégier que les faits et, donc, de vous juger sur les actes que vous poserez. En ce samedi 13 février 2016, j’ai compris que je dois me résoudre à accepter la réalité, telle qu’elle se présente et non telle que je voudrais qu’elle soit. Je vous l’ai clairement signifié : si vous violez la loi, je ne transigerai pas pour vous le dire et le faire savoir à l’opinion nationale et internationale. L’acte que vous venez de poser est très grave et je ne peux que me réjouir d’avoir déjà démissionné de votre fameux comité ad ‘hoc chargé du suivi du travail du CFEB. Un pur machin devant servir à donner la caution politique nécessaire à la validation du désastre du CFEB. L’histoire m’a donné raison et le Niger entier a pu se rendre compte de l’incompétence avec laquelle Mallam Oumarou et Sabiou Gaya ont fait ce travail. Une véritable catastrophe ! J’ai très tôt compris, à travers vos louvoiements face à la loi, que vous cherchez désespérément des arguments que vous n’avez pas, Déjà, dans le cadre de ce fameux comité ad ‘hoc, j’ai remarqué combien vous aviez privilégié le laxisme et le laisser- aller face aux manquements graves dont le CFEB s’est rendu coupable. Un exemple : la loi 2014-03 du 15 avril 2014 a été délibérément violée lors de l’affichage des listes électorales, dans le silence coupable de la CENI qui n’a pas pipé mot. Pas même un petit communiqué pour rappeler le CEFB à l’ordre. Au contraire, aucun de vous deux n’était là pour constater cette violation de la loi sur le respect strict duquel vous devez veiller, au nom du serment coranique que vous avez fait de conduire le processus électoral dans la rigueur de la primauté de la loi. J’ai compris que vous ne croyez guère à ce comité mais que vous vous servez de ma présence au sein de ce comité pour donner un cachet acceptable à cette mission stratégique de la CENI et c’est pourquoi j’ai démissionné. Puis, la CENI a poursuivi son travail jusqu’à cette date où, alors que nous nous étions parfaitement préparés pour un débat éprouvant, vous aviez annoncé la décision souveraine de la CENI de faire auditer le fichier électoral par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Une sage décision qui, par delà les constats faits aujourd’hui et qui mettent un doute sérieux sur le travail de l’OIF – en fait, il y a énormément de doublons encore – a permis à la CENI de créer ce lien naturel et indispensable à la tenue d’élections transparentes et crédibles, c’est-à-dire la confiance des Nigériens quant à l’impartialité de la CENI. Vous auriez dû continuer dans la même logique en restant fidèles à la loi. Aujourd’hui, la compromission que vous avez acceptée avec cette question du vote par témoignage, à une semaine des scrutins, gâche tout ce que vous avez construit autour de la CENI. Pour moi, et je vous l’ai dit publiquement, la CENI n’existe plus. Vous l’avez poignardée dans le dos et l’avez enterrée. Je vous l’avais dit également : vous serez tenus entièrement responsables de ce qui adviendra dans le cadre de ces élections. Voici les faits : en réponse au Premier ministre qui a agi au nom d’un groupe de partis politiques acquis à la cause du candidat Mahamadou Issoufou et non au nom du CNDP qui incarne le consensus de l’ensemble de la classe politique, vous avez demandé de saisir la Cour constitutionnelle aux fins de se prononcer sur la question. Le Premier ministre, dans une logique frauduleuse, a saisi plutôt le Conseil d’Etat qui n’a aucune compétence en matière d’élections générales. Les articles 137, 138, 139 et 140 sont assez clairs sur les compétences dévolues au Conseil d’Etat. L’article 137 en particulier dit que « Le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction en matière administrative. Il est juge de l’excès de pouvoir des autorités administratives en premier et dernier ressorts ainsi que des recours en interprétation et en appréciation de la légalité des actes administratifs ». C’est cette juridiction dont on ignore la motivation et l’intérêt visé, qui va, contrairement à ses missions constitutionnelles qui n’ont rien à voir avec les élections générales (référendaires, législatives, présidentielles), se prononcer par avis sur la question du vote par témoignage. C’est cette juridiction saisie, on ne sait, pour quelle raison par le Premier ministre, qui va s’autoriser, au mépris des missions qui lui sont dévolues par la Constitution, un avis dont la teneur suit : « le Conseil d’Etat est d’avis que le vote par témoignage est possible sur le fondement de l’esprit des lois et des pratiques électorales au Niger ». Pourtant, le même Conseil d’Etat souligne que « lors des élections de l’année, 2011, le législateur avait également opté pour le système du fichier électoral biométrique et prévu qu’en cas de non production des cartes biométriques, les cartes électorales ordinaires resteraient en vigueur (article 137 alinéa 1er de l’ordonnance n°2010-96 du 28 décembre 2010 portant code électoral). Le législateur avait alors expressément prévu dans les dispositions transitoires de l’ordonnance que le vote par le carnet ou le livret de famille et le vote par témoignage seront exceptionnellement autorisés au titre des moyens de preuve de l’identité de l’électeur. C’est cette disposition qui n’a pas été reprise dans les lois organiques de 2014 ».
Messieurs le président et le premier vice président, vous avez manifestement outrepassé, on ignore encore pour quelles raisons, vos compétences et vos missions. Vous avez osé faire d’une question dont la résolution dépasse le cadre de la CENI, une mission qui vous revient. Un raccourci pour le pouvoir en place qui a manifestement frappé à la bonne porte ! J’ai même entendu Me Kadri prétendre que de la même façon qu’ils se sont assumés lorsqu’il s’est agi de l’audit du fichier électoral, il est de leur responsabilité de prendre une décision par rapport au vote par témoignage. Je lui avais rétorqué que vous êtes en train de privilégier, là également je ne sais pour quelle motivation, une application sélective de la loi. Pourquoi, diantre, entre-temps, n’avez-vous pas pris vos responsabilités pour imposer le vote par bulletin unique pour toutes les élections ? Pourtant, et vous le savez, seul le Niger est aujourd’hui à la traîne par rapport à cette question. En outre, et Me Kadri l’a relevé lors de la formation de la CEN SAD, le bulletin unique aurait permis une économie budgétaire de l’ordre de près de quatre milliards. Et puis, pour finir, le bulletin unique a été adopté consensuellement par la plénière de la CENI, sans aucune réserve, sous votre présidence effective. Vous ne vous êtes pas assumés par rapport à une telle question qui a obtenu le soutien de la plénière, c’est face à une problématique judiciaire à laquelle la CENI est totalement étrangère que vous décidez de vous assumer. Comment ? En usurpant des compétences qui ne sont nullement les vôtres. Je vous l’avais dit et répété, vous êtes en train, tout magistrat et avocat que vous êtes, de violer la loi en outrepassant ce que vous avez à faire. Mes arguments, je vous les étale ici et vous défie pour un débat radiotélévisé public. (1) le Conseil d’Etat n’a aucune compétence constitutionnelle en matière d’élections générales. (2) la démarche du Premier ministre Brigi Rafini est frauduleuse dans la mesure où la CENI lui a demandé expressément de saisir la Cour constitutionnelle (à dessein pas le Conseil d’Etat qui n’a aucune compétence pour se prononcer sur la question. Je vous avais d’ailleurs demandé de dire publiquement pourquoi vous avez visé la Cour constitutionnelle et non le Conseil d’Etat. Vous n’avez pas répondu à la question. (3) La CENI veille au respect des lois et règlements en matière électorale », elle ne les viole pas et/ou ne cautionne pas leur violation. Et si le même article 2 de la loi 2014-03 du 15 avril 2014 dont j’ai fait cas souligne qu’elle peut prendre toutes initiatives et/ ou dispositions concourant au bon déroulement des opérations électorales et référendaires », elle ne peut le faire qu’en proposant des modifications à la loi électorale et non en les interprétant à sa guise. Depuis quand la CENI a la faculté de se substituer à l’Assemblée nationale ? Ce sont quand même, dites-vous, 1 500 000 électeurs nigériens qui risquent de ne pas voter ! Savez-vous combien sont-ils, ceux qui n’ont pas été recensés ou qui ont été régulièrement recensés mais qui ne pourront pas voter car exclus de façon accidentelle lors de l’audit du fichier ? Rien qu’à Niamey, savez combien sont-ils, ceux qui ne vont pas voter lors des élections prochaines ? Je vous l’ai dit, je le répète ici : vous êtes en train de violer la loi. Si la CENI prend un arrêté qui ne repose sur aucune loi à laquelle elle doit s’en tenir strictement, elle aura violé la loi, favorisé des fraudes massives et contribué en définitive à troubler la sincérité, la fiabilité et la crédibilité des scrutins à venir. Malgré, donc, les verrous que vous impose la loi, malgré les appels à la raison et au respect strict de la loi et des missions de la CENI, vous avez, tous les deux, accepté d’être liés à cette grave compromission. La roue de l’’histoire tourne, inexorablement. Vous avez juré, la main sur le Saint Coran, de conduire le processus électoral en vous en tenant à la loi électorale. Mon avis personnel, je vous l’avais dit : en posant cet acte, vous avez enterré la CENI. J’ai remarqué toute votre gêne et j’ai compris que vous avez dû faire un choix que je me garde de qualifier. Mais je sais une chose, les Nigériens sont, dans leur écrasante majorité, déçus. La CENI est dirigée par deux personnalités qui, de mon point de vue, n’ont plus de crédit pour continuer à piloter le processus électoral. Démissionnez, c’est encore mieux pour vous.
MODI ALZOUMA MOUSSA
Membre de la CENI
Membre de la sous-commission administrative et juridique.