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Présidentielle 2016 : «Au Niger, les deux camps revendiquent déjà la victoire»
Publié le samedi 20 fevrier 2016   |  ActuNiger


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© Autre presse par DR
Dr Elisabeth Sherif


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La chercheuse Elisabeth Sherif constate une tension inédite dans la vie politique nigérienne à l’occasion de la présidentielle de dimanche, dont les résultats pourraient s’annoncer houleux.


Dans l’histoire du processus démocratique du Niger, qui a été affecté par trois coups d’Etat, c’est la deuxième fois qu’une majorité arrive au terme de son mandat. Dimanche, le président sortant, Mahamadou Issoufou, se représente face à quatorze candidats. Elisabeth Sherif, chercheuse nigérienne, docteure en sciences politiques (1), ancienne professeure à l’université de Niamey, décrypte les enjeux de ce scrutin.

Comment caractériser ce premier tour ?

Aujourd’hui, le PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, ndlr], le parti de Mahamadou Issoufou, le sortant, se retrouve face à ses anciens alliés de 2011, notamment le MNSD[Mouvement national pour la société de développement]. Celui-ci était la grande formation politique du Niger jusqu’en 2011, l’ancien parti-Etat de l’ex-président Mamadou Tandja. Face à Mahamadou Issoufou, les partis d’opposition dépassent les 50 % d’intentions de vote. (Photo DR)

Mais chose aujourd’hui incroyable, l’ancien «faiseur de roi» Hama Amadou [ex-Premier ministre MNSD] est emprisonné, soupçonné de complicité dans une affaire de supposition d’enfants [délit qui consiste à attribuer la maternité d’un nouveau-né à une femme qui ne l’a pas mis au monde]. Mais son actuel parti, le Moden-Lumana, fait campagne pour lui, sous l’impulsion de ses lieutenants. Plusieurs d’entre eux sont incarcérés, dont Soumana Sanda, candidat aux législatives. C’est une situation absolument inédite. Autre nouveauté : il faut aussi citer le cas de Moctar Kassoum, qui symbolise le renouvellement de la classe politique. Il a fait campagne en étant en liberté conditionnelle.

Pourquoi la majorité présidentielle a-t-elle éclaté ?

A partir de 2013, le président Issoufou, qui souhaitait se représenter, s’est séparé de la force qui l’avait aidé à prendre le pouvoir, à savoir le parti… de Hama Hamadou [Moden-Lumana, ndlr]. Il lui fallait donc retrouver des voix, comme en 2011. On a alors vu des cadres de formations de l’opposition rejoindre la majorité gouvernementale dans une manœuvre initiée par le pouvoir et appelée par l’opposition «concassage». Elle a permis à Mahamadou Issoufou de garder une majorité au Parlement, en dépit de la désaffection de son principal allié.

Cette élection se présente donc dans un climat politique tendu mais ce que je crains, c’est que les partis excluent la possibilité même de défaite. Il y a un durcissement du camp Issoufou, c’est incontestable, mais aussi du côté de l’opposition. Les deux pôles sont fragmentés.

Pourrait-on se trouver dans un cas de figure identique au second tour de la présidentielle de 2011 : Mahamadou Issoufou face à Seyni Oumarou ?

Ce n’est pas à exclure. Des accords lient les partis de l’opposition au sein de la Coalition pour l’alternance [Copa]. Ces formations ont annoncé qu’elles se rallieraient à la candidature la mieux placée. Le MNSD de Seyni Oumarou bénéficie toujours de bons relais dans certaines localités du pays, mais il ne faut pas écarter l’hypothèse qui verrait, dans une situation de martyr, Hama Amadou passer en tête des forces de la Coalition pour l’alternance. On aurait alors un candidat incarcéré opposé au président sortant au second tour. A cela, il faut ajouter le basculement possible de la région de Dosso [sud-est], habituellement acquise à la majorité, dans l’opposition, fragilisant la candidature de Mahamadou Issoufou.

Comment qualifier la démocratie nigérienne ?

Elle a toujours été caractérisée par des taux d’abstention record. Un tiers de l’électorat vote. De fait, le premier parti est donc celui de l’abstention. Cela s’explique notamment par des fichiers électoraux hypertrophiés et pas remis à jour. Il y a aussi la distance prise par les électeurs par rapport à un jeu politique vu comme élitiste et incarné par les intellectuels, les hommes issus de la chefferie traditionnelle et la bourgeoisie commerçante. Ces trois grands pôles continuent de jouer un rôle majeur dans le fonctionnement des partis. Tout cela paraît, aux yeux des populations, comme un jeu exclusif, une sorte d’entre-soi politique.

Ensuite, les programmes des candidats sont interchangeables et populistes. On promet ainsi l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à une meilleure politique de soins, etc. Les sujets liés aux préoccupations des Européens, comme la lutte contre le terrorisme ou l’explosion démographique, ne perçoivent pas forcément un grand écho dans les populations. Cela dit, quelques jeunes candidats, qui veulent se démarquer des principaux partis, ont mis l’accent sur l’éducation et la santé, comme si ces jeunes formations postulaient à une relève. Il faut voir ces candidatures comme un indicateur de l’échec des politiques publiques qui ont été menées jusqu’alors, sachant que le Niger est toujours le pays bon dernier au classement de l’indice de développement humain. Or, dans cette campagne, tous les grands leaders prétendent avoir agi sur les indicateurs sociaux. Et ces mêmes hommes politiques ne jouent pas le jeu des institutions publiques. Ils disent vouloir investir sur la santé, mais ils consultent dans le privé. Sur l’éducation, c’est la même chose. Peu inscrivent leurs enfants dans le public.

Qu’est-ce qui vous a surpris dans cette campagne ?

La rudesse des rapports. Se pose désormais la question de la cohésion des forces sociales et politiques. La vie publique au Niger a toujours été, au fond, marquée par une assez grande cordialité entre les partis. Il y avait des tensions, bien entendu. Mais aujourd’hui, le tissu démocratique s’est déchiré. Les deux camps revendiquent déjà la victoire. C’est cela qui est vraiment inquiétant. Par ailleurs, on voit que rien n’est fondamentalement différent d’un régime à un autre. On a l’impression d’une classe politique en place qui n’a pas changé de mœurs. Les signes visibles de leur richesse sautent aux yeux, alors que la population reste dans une situation identique.

Il faut se souvenir qu’au début des années 90, le parti au pouvoir aujourd’hui, alors dans l’opposition, jugeait le régime de l’époque en ces termes : «Une bourgeoisie néocoloniale constituée de militaires, de hauts fonctionnaires et de commerçants.» Mais le PNDS de Mahamadou Issoufou s’appuie aujourd’hui sur ce qu’il dénonçait vingt-cinq ans plus tôt. L’enrichissement spectaculaire de certains dignitaires du régime actuel fait passer l’idée dans la population que les politiques sont tous les mêmes.

D’où la tentation de se tourner vers des groupes religieux radicaux ?

Effectivement, la tentation est grande d’un glissement vers une sphère religieuse extrémiste. Ce phénomène n’est pas nouveau. On peut le dater du début des années 90. Ces mouvements, souvent sectaires, sont de plus en plus attirants. Ils sont présents partout sur le territoire nigérien. On le voit côté Nigeria, où les populations partagent les mêmes caractéristiques. S’en est suivie la demande de l’application de la charia dans les villages et villes côté Nigeria. Ce n’est un secret pour personne qu’elle est également réclamée dans certaines régions du Niger. La tendance des hommes politiques nigériens est de se «caler» sur les demandes des acteurs religieux et ainsi de les utiliser comme levier électoral. C’est un phénomène dangereux, car cela entraîne le risque de voir le religieux prendre une place de plus en plus grande dans la vie politique, et ce dans une campagne qui aura été marquée par les enjeux moraux.




Liberation

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