On a un plaisir toujours renouvelé de parler de certaines grandes figures, en l'occurrence de Boubou Hama, cet homme dont le Niger a célébré le centenaire de la naissance en 2006, et le 34ème anniversaire de sa mort. C'est la toute première fois que notre pays reconnait à un de ses fils, né il y a 100 ans, son apport au pays et au monde. Près de 80 livres sont à son actif, constituant un important héritage laissé à la postériorité.
Véritable écrivain majeur, son œuvre embrasse plusieurs genres, entre autres la philosophie, le conte, la nouvelle et le roman. Plusieurs hommes de cultures ont tenté de cerner l'homme et son œuvre comme Diouldé Laya, Boubé Namaïwa et Jean-Dominique Pénel, dans ''Boubou Hama : Un homme de culture nigérien'' (L'Harmattan, Paris, 2007, 219) ou comme Jérôme Bernussou, docteur en histoire de l'université de Toulouse et auteur de ''Histoire et mémoire au Niger, de l'indépendance à nos jours'' (CNRS, Toulouse-le-Mirail). Mais il n'est pas certain que l'on ait percé tous les aspects forts intéressants de sa vision et de sa vie. D'ailleurs, cela relèverait de l'ambition. Lisez ''Le Double d'hier rencontre demain'', (Paris, Union générale d'éditions, 1973) ou ''Kotia-Nima 1 : rencontre avec l'Europe'' (Paris, Présence africaine, 1968) ou encore ''Hon si suba ben'' (aujourd'hui n'épuise pas demain), (Paris, P.J. Oswald, 1973), et vous comprendrez que l'œuvre de Boubou Hama est inépuisable.
C'est même pourquoi, il nous semble que, pendant longtemps encore, les générations à venir trouveront matière à réfléchir chez l'homme immense et pluriel qui a su s'ériger en grand homme politique de premier plan et en écrivain abondant. De semblables, on ne peut citer, dans une bonne partie de l'Afrique, que Jomo Kenyatta et Senghor. Il fut l'éminence grise de la politique et celle des lettres au Niger, remportant en 1971 le Grand prix littéraire d'Afrique Noire. Son envergure lui a permis d'être membre de plusieurs organisations culturelles mondiales. Il est titulaire, en 1971, du prix Léopold Sédar Senghor pour les meilleurs ouvrages rédigés en langue française par un étranger, et est membre de l'Association des écrivains de langue française. Vice-président du Congrès international des Africanistes, il est par ailleurs membre du Comité scientifique international pour la rédaction de l'histoire générale de l'Afrique sous l'égide de l'Unesco. Il est également le père fondateur de l'Agence de coopération culturelle et technique des pays de langue française qui voit le jour à Niamey en 1970 dans le palais de l'Assemblée Générale Nigérienne dont il est président. Outre ses distinctions françaises, il est grand officier de l'Ordre national du Niger et de la Côte-d'Ivoire et est membre associé étranger de l'Académie des sciences d'outre-mer le 09 novembre 1973. Autres palmes, il est considéré comme le premier instituteur nigérien en 1929
Pourtant, rien ne prédestinait cet enfant à ces honneurs. C'est que, né à Fonéko dans un petit village du département de Téra en 1906, Boubou Hama n'avait aucun destin devant lui. Il aurait juste été choisi pour aller à ''l'école des Blancs'' par le chef de son village de Fonéko qui voulaient que ses propres fils en échappent...
Pour mieux cerner l'homme, il faut l'inscrire dans les caractéristiques d'ensemble des élites autochtones formées à l'aune des institutions coloniales, tout particulièrement l'école William Ponty de Dakar. ''C'est là, dit-on, que son parcours individuel original avait été fortement marqué. C'est là aussi que s'orienteront ses choix ultérieurs en matière de politique éducative et culturelle, tant au niveau de l'IFAN dont il est le directeur dans les années 1950, qu'une fois parvenu au sommet des sphères du pouvoir politique dans le Niger indépendant des années 1960 et du début des années 1970. Aussi, sa rencontre en 1933 à Tillabéry avec un certain docteur Boulnois avec qui il ''connaît le déracinement, géographique et familial d'abord, provoqué par un voyage de plusieurs jours depuis le Niger profond jusqu'à l'île de Gorée, au Sénégal, culturel ensuite, lorsqu'il étudie dans cette école William Ponty destinée à former les cadres intermédiaires de la colonisation, en particulier les instituteurs'', sera déterminant pour la suite de sa carrière d'écrivain. Choix audacieux peut-on dire, car en cette époque d'assimilation culturelle, le système colonial était encore plus brutal et des intellectuels comme Boubou qui prônaient un attachement aux racines risquaient gros. Qu'importe. Il ne se coupera pas de ses racines, bien au contraire, il parvient à géminer les deux mondes, question de limiter les effets de l'acculturation.
Très tôt Boubou Hama, dans les années 1950, a compris les enjeux culturels de la colonisation. Il s'engage dans la préservation du patrimoine culturel africain en général et nigérien en particulier.
On peut situer les débuts de cet engagement par les responsabilités et les activités de recherche qu'il exerce au sein de l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN), tout particulièrement de l'antenne de Niamey, dont on disait qu'il fut ''modeste – très modeste – bâtisse à cette époque, qui allait devenir, sous son impulsion au centre de la capitale nigérienne. D'après plusieurs témoignages, il voulait faire de Niamey cette ville des bords du fleuve Niger, l'un des phares de la culture et de la recherche en sciences sociales nigérienne et africaine.
''Devenu président de l'Assemblée nationale sous le régime de Diori Hamani, il va renforcer ses efforts pour matérialiser son ambition avec une ardeur inégalée. L'antenne de l'IFAN lui servira de strapontin pour mieux concevoir un musée national digne de ce nom (qui sera baptisé de son nom). Inauguré en 1960, le musée de Niamey restera, des décennies durant, l'un des plus beaux musées d'Afrique et du monde. L'une des attractions de ce musée, c'est qu'il associe des spécimens de la flore et de la faune, mais aussi des éléments architecturaux et artisanaux de la culture nigérienne. Il faut noter qu'à cette époque, ces choix muséographiques pour un musée de plein air relevait du rêve. Comme autre héritage, nous avons aussi le CRDTO (Centre Régional de Documentation sur la Tradition Orale) créé en 1968 qui deviendra, en 1974, le CELTHO (Centre d'Etudes Historiques et Linguistiques de la Tradition Orale). Il devait jouer un rôle essentiel dans la collecte et le traitement des traditions orales africaines. ''Il est un projet transnational, fruit d'un accord entre le Gouvernement nigérien et l'UNESCO : Boubou Hama en est le principal artisan. Il s'agit alors de forger les nouveaux matériaux identitaires d'une histoire décolonisée. Pour Boubou Hama et d'autres, le CRDTO devait être l'un des leviers au moyen desquels le Continent africain va affirmer sa place dans les héritages culturels mondiaux.
Arrêté lors du coup d'état de Seyni Kountché, Boubou Hama est placé en résidence surveillée à Agadez puis à Niamey. Kountché l'autorise à poursuivre une partie de son œuvre dans le cadre du CEHLTO... Puis ces institutions culturelles connurent les vicissitudes des crises multiples qui frappèrent durement un pays aux faibles ressources et aux fortes contraintes, de toute sorte...une institution bancaire chinoise a poussé au cœur de ce qui était ce « triangle de la culture », révélant que la politique culturelle instaurée par ces gens de lettre relève du souvenir d'un passé pourtant fort proche. Pourtant, on trouve aujourd'hui à Niamey des institutions de recherche en sciences sociales qui, à mon avis, prolongent sur le terrain scientifique et culturel le projet transnational que Boubou Hama a porté par le biais son action politique et tout au long de son œuvre scientifique, philosophique et littéraire dont l'étude exhaustive reste à faire.