Le temps est le meilleur juge, a-t-on coutume de dire. Une affirmation que met en évidence l'appréciation, par la postérité, des œuvres de certains illustres disparus, à l'image de Dr Diouldé Laya, intellectuel aux multiples casquettes, décédé en 2014 à l'âge de 77 ans, et lauréat, à titre posthume, du prix Boubou Hama depuis le 10 mars 2016. Une distinction qui vient quelques mois après la tenue à Niamey, en décembre 2015, du colloque international sur les sciences humaines et sociales qui était dédié au sociologue Diouldé Laya et à deux de ses collègues, le géographe Pr Arouna Hamidou Sidikou et l'archéologue Dr Boubé Gado disparus également, pour leur contribution au développement des sciences humaines et sociales au Niger et dans la région.
C'est une évidence, on ne mesure le vide laissé par une personnalité et surtout ce qu'elle a représenté dans son domaine d'activité que lorsqu'elle n'est plus là. Ce qu'illustre la cérémonie organisée le 10 mars dernier par le Ministère de la Culture, des Arts et Loisirs et qui a consacré la remise du prix Boubou Hama, édition 2015, à l'illustre homme de culture, écrivain, poète, conteur, essayiste, historien et homme politique, Dr Diouldé Laya. Les membres du jury du prix Boubou Hama, qui ont porté leur choix sur l'œuvre de Diouldé Laya, se sont conformés au ''verdict'' du temps qui est le meilleur des juges.
Polyglotte, pluridisciplinaire et progressiste, Diouldé Laya, né en 1937 à Tamou-Say au Niger, et décédé à Niamey en juillet 2014 à l'âge de 77 ans, était présenté comme un témoin avisé de son époque. Il se singularisait également par ses rapports avec autrui, son désintéressement du bien matériel et son ancrage dans sa culture. Diouldé Laya se faisait surtout remarquer par sa simplicité, cette qualité qui, selon Ghandi, caractérise les grands hommes. Mais on ne peut parler de Diouldé Laya sans évoquer sa contribution, au niveau de l'Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH), et du Centre d'Etude Linguistique et Historique par Tradition Orale (CELTHO) qu'il a dirigés, respectivement entre 1970-1977 et 1977-1997. Dans le même cadre, Diouldé Laya a représenté le président Boubou Hama au comité permanent du conseil de rédaction de l'encyclopédie africaine à Accra, et a été, de 1979 à 1999, membre du comité scientifique international pour la rédaction d'une histoire générale de l'Afrique.
Tout le long de son cursus d'études supérieures, notamment à l'université de Dakar jusqu'à l'obtention d'une licence, puis d'un diplôme d'études supérieures en sociologie, ensuite à l'Université de Paris X-Nanterre où il a obtenu le diplôme de Docteur en Ethnologie en 1974, dans sa vie professionnelle, mais aussi après sa retraite de l'administration intervenue le premier janvier 1998, il n'a cessé d'écrire et de publier. Il est difficile de fixer la liste de ses publications ou écrits, qu'il n'a eu de cesse de disséminer jusqu'à la fin de sa vie. À son actif, déjà en 1972, l'édition de ''La Tradition orale : Problématique et méthodologie des sources de l'histoire africaine''. Sans être exhaustif, on peut estimer à une trentaine les travaux et autres ouvrages réalisés par Diouldé Laya ou en collaboration avec d'autres chercheurs nigériens, africains, occidentaux.
On peut citer sur l'histoire africaine, six documents et une contribution importante, huit documents sur la socio-anthropologie des Africains, neuf documents sur les problèmes de développement, trois documents sur la linguistique et l'établissement des textes oraux de littérature. Diouldé Laya était aussi un infatigable dans l'encadrement et l'orientation des chercheurs. L'homme dont on peut lire sur le CV en ce qui concerne la nationalité, la précision ''africaine (Etat du Niger)'', incarnait l'intellectuel engagé sans frontière, que rien ne laissait indifférent, témoignent ceux qui l'ont côtoyé. Son carnet d'adresses très étoffé, comportait aussi bien ses relations au Niger qui se comptaient dans tous les milieux, mais aussi des personnalités nationales comme Boubou Hama, Idé Oumarou et, au-delà, de solides relations dont Zoseph Ki Zerbo, Hamadou Hampaté Bâ, Jean Rouch, Djibril Tamsir Niane, Alpha Omar Konaré, ...
Avec celles du géographe Pr Arouna Hamidou Sidikou et l'archéologue Dr Boubé Gado, l'œuvre du sociologue Diouldé Laya était au programme du colloque international sur les sciences humaines et sociales, organisé par l'IRSH du 1er au 3 décembre 2015, et dont le thème était ''les Sciences Humaines et Sociales et le défi du développement en Afrique''.
Dr Boubé Saley Bali, qui intervenait lors de la table-ronde sur les travaux de Dr Diouldé Laya, a présenté cet intellectuel comme un pionnier dans le domaine des sciences humaines, et ''un bâtisseur infatigable qui a laissé ses empruntes indélébiles dans trois institutions considérées aujourd'hui comme les greniers du savoir nigérien (IRSH), africain (CELHTO) et mondial (Unesco)''. Avide d'échanges, Diouldé Laya était de toutes les rencontres scientifiques, groupes de recherches, missions de terrain, soutenances, colloques, conférences, et il n'hésite pas à exprimer son opinion.
''Il était l'épicentre et l'animateur scientifique des groupes de recherche, au niveau des bibliothèques de l'IRSH et la médiathèque du CELHTO. Conscient des problèmes que rencontrent les jeunes chercheurs africains à publier leurs travaux de recherche, Diouldé a initié ou soutenu, en tant que directeur d'institution, des revues comme ''Les Etudes Nigériennes'' et ''Les Cahiers du CELHTO''. Parallèlement, il a mené des travaux d'édition et de publication à travers divers ouvrages publiés sous l'égide du CELHTO, en provenance de l'aire d'action du Centre'', témoigne Dr Boubé Saley Bali.
''Mais s'il y a un domaine dans lequel Diouldé Laya a été d'une importance capitale pour le monde de la recherche et de l'activité d'écriture en général, c'est certainement celui de correcteur de textes. Il a été, pour plusieurs jeunes chercheurs, un second directeur de thèse ou l'évaluateur d'articles. Il les a accompagnés par le diagnostic, la correction, la réorganisation du texte et, souvent même, au niveau de la réécriture. Ce professionnel a été couronné par sa présence, de 1979-1997, en tant que membre, au Comité Scientifique International pour la Rédaction d'une Histoire Générale de l'Afrique (UNESCO)'', estime Dr Boubé Saley Bali.
Parlant de la contribution de Diouldé Laya pour le CELTHO, M. Benjamin Gnaléga racontait, avec beaucoup de nostalgie, que ''Diouldé a contribué à l'acquisition, par le CELTHO, d'une abondante et bonne moisson à travers les livres qu'il a écrits lui-même ou ceux dont il a participé à l'édition. Même admis à faire valoir ses droits à la retraite, Diouldé a continué à fréquenter le Centre tout en prodiguant ses conseils aux experts qui viennent y travailler. Il a travaillé de façon étroite avec tous les coordonnateurs qui se sont succédé. C'est pourquoi la Médiathèque a été baptisée de son illustre nom le 25 mai 2015''. Cet intellectuel, avide de débats, était aussi engagé dans la vie associative et syndicale à travers l'Union des Scolaires Nigériens (USN) et l'Association Timidria. Il était de la lutte pour l'instauration de la démocratie, pour la fin de l'esclavage, en combattant pour la pénalisation de l'esclavage comme crime au Niger, et en même temps, un défenseur des us et coutumes, des croyances et des symboles historiques.
Ecrire, aider, et accompagner les autres, constituaient pour lui des actes ''d'affirmation de soi et de foi'', un devoir envers son Continent dont il était fier d'affirmer la culture, de faire connaitre l'histoire, avec l'espoir de ''coudre une nouvelle identité, celle du métissage'', que ce polyglotte, de ''nationalité africaine'' a su bien incarner.