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Mahamadou Issouffou, Président réélu du Niger : «on n’est pas obligé dans un pays démocratique d’avoir une opposition»
Publié le mardi 5 avril 2016   |  Actu Niger


Conseil
© Autre presse par Presidence
Conseil de l`entente: réunion des chefs d`Etat et de gouvernement à Niamey. photo : le président nigérien Issouffou Mahamadou.
Mardi 17 Décembre 2013, à Niamey (Niger). Tenue de la 2 ème session ordinaire de Conférence au sommet des Chefs d`Etat et de Gouvernement du Conseil de l`Entente.


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Depuis le début de la campagne jusqu’à la réélection de Mahamadou Issoufou, nous avons été au cœur de la présidentielle nigérienne. L’épilogue de cette aventure pour nous a été de décrocher un entretien avec le locataire du palais du bord du Niger. Dans l’interview qui suit, le président nigérien revient sur sa réélection, le bilan de son premier mandat, les priorités pour le Niger, sa conception de la démocratie, ses rapports avec le Burkina Faso, la lutte contre le terrorisme… Interview exclusive deZaki !




Monsieur le président, vous venez d’être réélu à la tête du Niger à hauteur de 92,49 % à l’issue d’un scrutin dont le véritable enjeu était finalement le taux de participation. Dites-nous dans quel état d’esprit vous vous trouvez aujourd’hui.



Je ne peux que me féliciter du bon déroulement des élections au Niger. Elles se sont déroulées dans le calme. Au Niger, nous avons une tradition d’élections libres et transparentes, et nous n’avons pas dérogé à la tradition à l’occasion de ce double scrutin présidentiel et législatif. Je me félicite de ce que le peuple nigérien ait fait preuve de beaucoup de maturité, il a porté son choix sur ma personne. L’opposition a boycotté le second tour et je le regrette. Toutes les conditions étaient réunies pour que la compétition soit libre et transparente mais l’opposition a décidé de ne pas participer au second tour, ce qui fait que l’enjeu à ce niveau, vous avez raison, c’était le taux de participation. Mais en dépit de ce boycott, les électeurs sont sortis massivement. Cela n’est pas surprenant, parce que déjà au premier tour ma candidature a eu une adhésion très forte. On a manqué la victoire, le coup K.-O. d’un cheveu. J’avais 48, 43% et compte tenu du fait qu’au second tour des candidats recalés au premier tour ont décidé de nous soutenir, et ils étaient au nombre de 8, on a représenté ensemble un potentiel d’électeurs de 70 %. Et si vous tenez compte du taux de participation du premier tour (66 %), malgré le boycott de l’opposition, on devait pouvoir ramener nos électeurs du premier tour et escompter un taux minimal de 46%, rien qu’en mobilisant le potentiel d’électeurs que nous représentions. Et si on ajoute à cela le fait que le mot d’ordre de boycott de l’opposition a découragé les électeurs de l’opposition et les a poussés dans notre camp, il est tout à fait normal que nous ayons enregistré le taux de participation de 59 %.



Vous pensiez remporter l’élection dès le premier tour, d’où votre slogan de campagne « 1 coup K.-O. » Qu’est-ce qui n’a pas marché ?



La présidentielle comme vous le savez était couplée aux législatives. Il y avait parmi ceux qui soutenaient ma candidature des partis qui alignaient des candidats à la députation. On était donc à la fois partenaires et concurrents. Et cela a dû avoir des incidences sur le premier tour. L’autre facteur explicatif, c’est les insuffisances notées dans l’organisation de la CENI. Et cela a eu des conséquences dans des régions qui sont censées être des fiefs du PNDS, le parti dont j’étais le candidat. Il y a eu beaucoup de bulletins nuls et c’est souvent aux dépens du candidat le plus fort. Et c’est tout cela qui a concouru peut-être à faire que nous n’avons pas pu passer dès le premier tour. Mais ce n’est pas grave ; cela a quand même permis de faire un arbitrage plus clair pour le second tour. Parce que même si j’avais pu le faire dès le premier tour, ça aurait été d’une courte voix. C’est donc mieux que le second tour nous ait départagés.



Le Niger a la réputation d’être un laboratoire de la démocratie, et cela s’est de nouveau vérifié avec cette situation inédite où l’un des candidats était en prison. Lequel, Hama Amadou en l’occurrence, est même arrivé au second tour avant de se mettre finalement hors course. Dites-nous, Hama Amadou, c’est un prisonnier politique ou pas ?


Non, ce n’est pas un prisonnier politique. C’est quelqu’un qui a des comptes à rendre à la justice. Mais comme c’est un dossier qui est pendant devant la justice, je ne ferai pas plus de commentaire.



Je suppose que vous vous souciez de son état, en dépit de ce qu’il y a entre vous…

Bien sûr.

Avez-vous eu de ses nouvelles depuis son évacuation à Paris ?

Je pense qu’il va bien, d’après ses médecins.

On se souvient, lors du premier tour de la présidentielle, que la question du vote par témoignage a pollué la fin de la campagne. Reconnaissez quand même que cette pratique est d’un autre temps.



Oui, c’est vrai mais c’est une pratique qui a cours au Niger depuis 25 ans. C’est une pratique à laquelle on aurait pu mettre fin si on avait eu le fichier biométrique. Maintenant on va s’atteler à la mise en place de la biométrie à l’occasion des prochaines élections pour qu’on n’ait plus recours au vote par témoignage.



L’opposition a décidé d’entrer en désobéissance civile à partir du 2 avril prochain, mais vous leur proposez d’entrer dans un gouvernement d’union nationale. Pensez-vous qu’elle acceptera dans les dispositions actuelles ?



Je ne sais pas, c’est à eux qu’il faut poser la question. Moi, j’ai lancé un appel à tous les enfants du pays, du reste ce n’est pas la première fois que je le fais. Depuis 1999, je considère que le Niger est un pays en transition démocratique, comme la plupart des pays africains. Et pendant cette période de transition démocratique, le vainqueur de la présidentielle doit rassembler. Ce n’est pas antidémocratique comme certains le pensent.



Mais il n’y aurait plus d’opposition dans ce cas…



On n’est pas obligé dans un pays démocratique d’avoir une opposition et une majorité. Prenez des pays comme l’Allemagne aujourd’hui, les partis les plus importants du pays sont dans une grande coalition (NDLR : la CDU et le SPD) compte tenu des circonstances particulières que traverse l’Allemagne. Or le Niger rencontre également des circonstances particulières ; nous avons des défis énormes à relever, notamment sécuritaires, de développement économique et social. Nous sommes des pays fragiles, je conclus donc qu’il faut, tenant compte de ces défis-là, que le vainqueur rassemble après chaque élection. Et cette opinion, je la défends depuis 1999. Aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire que les Nigériens se rassemblent pour travailler à satisfaire les aspirations du peuple. Les énergies que l’on perd à nous invectiver, il vaut mieux les investir dans la construction nationale.



Il faut tout de même un contre-pouvoir pour de temps à autre tirer sur la sonnette d’alarme.



Il y a la séparation des pouvoirs que ce système n’exclut pas. Le gouvernement continuera à être contrôlé par l’Assemblée nationale, la justice continuera à être indépendante, et c’est ça le plus important. C’est ça le fameux équilibre de Montesquieu, «le pouvoir arrête le pouvoir». Le fait qu’il y ait un gouvernement d’union nationale ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contre-pouvoir.



Vous avez enregistré quelques avancées là où vos prédécesseurs ont connu certaines limites, notamment dans le domaine de la construction d’infrastructures socioéconomiques, de l’autosuffisance alimentaire, etc. Cependant le Niger reste scotché aux dernières places du classement selon l’indice de développement humain. Quelles seront les priorités de votre nouveau mandat ?



Le bilan de mon mandat passé est excellent. C’est ce qui nous a valu d’ailleurs le soutien des Nigériens à l’occasion de ces élections. C’est un bilan qui a d’abord porté sur la sécurité ; voyez-vous, le Niger est un pays qui est entouré par d’autres qui sont sous la menace des terroristes, comme la Libye, le Mali, le Nigeria avec Boko Haram. Le Niger est un îlot de paix et de sécurité dans la sous-région, parce qu’on a mis les forces de défense et de sécurité dans les conditions nécessaires pour remplir leur mission qui est de défendre les frontières du Niger et de protéger les Nigériens et leurs biens. Ça c’est une belle réussite dont les Nigériens sont satisfaits. L’autre source de satisfaction, c’est qu’on a beaucoup progressé sur le plan de la bonne gouvernance politique et économique. En ce qui concerne la gouvernance politique par exemple, je vous donne un indicateur : en matière de liberté de la presse, le Niger était classé 139e par Reporters sans frontières en 2010 et aujourd’hui nous sommes 47e. Sous ma présidence, le Niger a gagné 92 rangs du point de vue de la liberté de la presse. En matière de bonne gouvernance économique, il y a l’indice de perception de la corruption qui est publié chaque année. Le Niger en 2010 était classé 134e, aujourd’hui nous sommes 99e. Cela fait 35 rangs de gagnés en 5 ans. Là également nous sommes sur la bonne voie. C’est aussi une promesse que j’avais faite qui porte sur la nécessité pour le Niger d’avoir des institutions démocratiques fortes, donc des institutions bien dirigées et qui répondent aux aspirations des Nigériens.

Nous avons aussi travaillé sur l’Initiative 3N (Les Nigériens nourrissent les Nigériens, NDLR) à laquelle vous faisiez allusion. Nous nous sommes dit que sécheresse ne doit plus être synonyme de famine. Et nous avons tenu ce pari ; pendant 5 ans il y a eu 3 ans de sécheresse, mais il n’y a pas eu de famine au Niger. Ça aussi c’est une preuve de réussite. Sur le plan infrastructurel, nous avons construit beaucoup de routes, nous avons commencé le chemin de fer qui, d’ailleurs, va se poursuivre jusqu’à la frontière avec votre pays, le Burkina Faso, pour nous donner la possibilité d’avoir accès au port d’Abidjan. Nous avons fait beaucoup également dans les infrastructures énergétiques. On a électrifié pas mal de villages dans le pays. Et enfin, il y a eu beaucoup d’infrastructures urbaines qui ont été réalisées. Vous avez vu Niamey, c’est dans le cadre d’un projet qui s’appelle Niamey Nyala que l’on fait des routes bitumées et éclairées, des échangeurs, etc. On a fait des projets similaires dans d’autres villes comme Dosso avec Dosso Sogha, Maradi avec Maradi Kolliya. Et on va poursuivre dans le prochain mandat. Pour finir avec le bilan, on a beaucoup fait dans le domaine de l’éducation au plan des infrastructures, au plan de la formation des ressources humaines. En 5 ans par exemple, nous avons construit 15 000 nouvelles salles de classe. On a aussi beaucoup fait dans le domaine de la santé, le domaine de l’accès à l’eau potable et on a créé beaucoup d’emplois. On a également renforcé le pouvoir d’achat des travailleurs. Notre œuvre, je crois, a convaincu le peuple nigérien de nous renouveler sa confiance. Mais il n’y a pas que ça ; ce qui a aussi incité le peuple nigérien à nous faire confiance, c’est l’espoir qu’on a créé.

Pour revenir à votre question, ce sont les mêmes priorités que le programme Renaissance de mon premier mandat. C’est pour cela qu’on a appelé notre nouveau programme Renaissance Acte II. La seule différence entre les deux programmes, c’est la renaissance culturelle que nous avons ajoutée au nouveau. Notre nouveau programme de gouvernance commence donc par la renaissance culturelle qui, pour nous, doit être le socle sur la base duquel nous allons réformer et développer le Niger. Par exemple, un des objectifs de la renaissance culturelle, c’est de faire en sorte que la loyauté des citoyens nigériens vis-à-vis de l’Etat soit plus forte que leur loyauté même vis-à-vis de leurs familles. Cela nous permettrait de liquider tous les obstacles à la mise en place d’institutions démocratiques fortes tels que les replis ethniques, en vue d’un Etat moderne. La renaissance culturelle a pour objectif la modernisation sociale comme facteur, comme condition de la modernisation de l’Etat. C’est la première priorité du nouveau programme. Sinon, pour tout le reste, ce sont les mêmes priorités : la sécurité, l’Initiative 3N, les infrastructures, l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable pour la population et la création d’emplois. Nous continuerons à travailler sur les mêmes chantiers.



Votre amitié avec Salif Diallo, le président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, est connue de tous et il se susurre même que vous avez pris une part active, au moins financièrement, à l’insurrection qui a emporté Blaise Compaoré, puis à l’élection de Roch Marc Christian Kaboré. Qu’en est-il ?



Ecoutez, le Burkina est un pays frère, c’est un pays voisin, c’est un pays ami ; le peuple nigérien et le peuple burkinabè sont des peuples frères. Je ne me suis pas ingéré, contrairement à ce que disent les gens, dans les affaires intérieures du Burkina Faso. C’est vrai que Salif est un ami, le président Roch aussi. Vous savez en quelle année j’ai connu le président Roch ?



Vous allez nous le dire…



Eh bien, je l’ai connu en 1978 à Dijon en France où il était étudiant et moi j’étais à l’école des mines de Saint-Etienne. J’étais allé à Dijon voir un autre ami et ce dernier connaissait Roch. Et on a ainsi été présentés. Vous voyez que ça ne date pas d’aujourd’hui. C’est de vielles relations que nous avons et avec Salif et avec Roch et avec bien d’autres Burkinabè. Sachez que l’amitié n’a rien à voir avec le combat politique ; c’est pour cela que je ne me suis pas ingéré dans la situation intérieure du Burkina. Le changement auquel vous faites allusion a été l’œuvre du peuple burkinabè.



On sait que nombre de personnalités africaines et du reste du monde ont dissuadé Blaise Compaoré de jouer le match de trop. Vous à votre niveau, qu’avez-vous entrepris dans ce sens ?



Je ne souhaite pas vraiment que vous insistiez sur cette question parce que c’est comme si vous me poussiez à faire des commentaires qui apparaîtraient comme une ingérence dans les affaires internes du Burkina.

Vous l’avez dit vous-même, le Niger est entouré par les menaces : le Mali, le Burkina, la Côte d’Ivoire ont été frappés par les terroristes.



Votre pays se bat continuellement contre Boko Haram et tous ces autres groupes invisibles. Pensez-vous que la sous-région peut venir à bout de cette barbarie grandissante ? Que faut-il faire ?



Il faut renforcer nos forces de défense et de sécurité, il faut renforcer leurs capacités opérationnelles, il faut renforcer leurs capacités de renseignement. Vous savez que le terrorisme est un phénomène mondial. Il faut mutualiser les forces entre pays, il faut renforcer la coopération entre tous les pays de la sous-région et au-delà. Il faut renforcer cette coopération avec les pays amis, la France, les autres pays d’Europe, les Etats-Unis parce que le terrorisme les frappe aussi. Face donc à cette menace mondiale, il faut une riposte mondiale. Nous sommes en train de mutualiser nos moyens dans le bassin du lac Tchad pour faire face à la menace de Boko Haram ; nous avons décidé au niveau de 5 pays (le Cameroun, le Nigeria, le Tchad, le Niger et le Bénin) de mettre en place une force mixte multinationale. Cette force est déjà opérationnelle et elle arrive à avoir des résultats dans le combat contre Boko Haram. C’est ce qu’il faut faire pour combattre le terrorisme dans le Nord-Mali. Et d’ailleurs le G5 Sahel que nous avons mis en place a décidé d’ériger une force sur le modèle de la force mixte multinationale qui opère déjà dans le bassin du lac Tchad. Le G5 Sahel, comme vous le savez, comprend votre pays, le Burkina, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Et nous sommes prêts à mettre en place au Mali une force mixte multinationale comprenant les armées des 5 pays membres, pour combattre les groupes terroristes. C’est vraiment l’exemple à suivre. Et au-delà, au niveau de l’Union africaine, on a prévu de mettre en place la force africaine en attente et la force de réaction rapide. Il faut aller vers ce genre de solution pour que sur l’ensemble du continent on puisse assurer la sécurité de l’Afrique. Et il faut aller vite, car les terroristes sévissent de plus en plus.






Interview réalisée à Niamey par

Arnaud Ouédraogo

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