Falmata Marara touche sa bouche, son estomac, sa bouche, son estomac... Pas besoin de traduction: cette habitante d'ethnie Bodoma d'une île du lac Tchad, qui a fui il y a cinq mois les attaques de Boko Haram, a faim.
Boucle d'or dans la narine droite, robe et foulard aux vives couleurs comme ses consoeurs, cette mère de six enfants, assise sur un tapis, tient dans ses bras sa dernière, une menue fillette de six mois parée d'un collier de cauris, au regard fiévreux.
Elle a quitté sa cabane rudimentaire en roseaux du camp de déplacés de Fourkoulom, village tchadien sur une langue de terre qui entre dans le lac en direction du Nigeria, pour venir consulter dans la clinique mobile installée au milieu des huttes par Médecins sans frontières (MSF).
Non loin de la frontière invisible qui court sous l'eau et sépare le lac entre Tchad, Nigeria, Niger et Cameroun.
Falmata murmure "qu'elle manque de sorgho" la céréale locale, et qu'elle a dû fuir - après une attaque de Boko Haram - Fougo, une des 60 à 70 îles évacuées de gré et souvent de force sous la pression de l'armée tchadienne.
Elle vient consulter pour une diarrhée aiguë de sa fillette. Les autres cas traités dans les cliniques mobiles de MSF sont avant tout la malnutrition, déjà présente avant les attaques de Boko Haram mais qui s'est accentuée, le paludisme, les problèmes respiratoires, les complications d'accouchement...
- Infiltrations de Boko Haram -
Dans cet environnement lacustre très vaste, brûlé de soleil, aux nombreux bras de terre qui s'avancent dans l'eau, les infiltrations de Boko Haram, qui, le 10 octobre 2015 a commis à Baga Sola un triple attentat suicide, tuant 41 personnes, restent redoutées des déplacés, villageois et ONG.
Les consultantes sont d'abord fouillées dans une zone d'attente, à l'écart, afin d'éviter de nombreuses victimes dans l'éventualité d'un attentat suicide par une femme comme Boko Haram le pratique de plus en plus, puis elles passent par groupe de cinq pour une deuxième fouille avant d'accéder à une salle d'attente, un simple tapis.
Environ 80.000 personnes sont déplacées dans le périmètre de Baga Sola et de Bol, préfecture aux allures de gros village.
Les chemins de sable qui relient en deux heures de route Bol à Baga Sola, traversent quelques camps de déplacés, aux huttes de roseaux séchés parfois abandonnées dans une immensité semi-désertique, à l'exception d'une zone encore humide, d'où l'eau se retire lentement et dont la végétation nourrit zébus, dromadaires et chèvres.
La plupart des déplacés sont des pêcheurs, et ils n'ont plus accès à leur zone de pêche. La navigation est interdite pour bloquer Boko Haram mais certains déplacés vont quand même pêcher des carpes dans les petits bras du lac.
- Mourir de faim -
"Nombre d'entre eux regagnent leurs îles, malgré la menace de Boko Haram", explique un médecin d'une ONG. "Ils disent qu'ils préfèrent repartir en risquant d'être tués en mangeant, que de mourir de faim à petit feu. Mais, récemment, trois d'entre eux ont été égorgés à leur retour".
Aux abords de Baga Sola vont et viennent des militaires en jeep qui font partie de la force mixte mise en place par les pays riverains pour combattre Boko Haram.
Les comités de vigilance constitués de civils fonctionnent bien, explique un habitant qui, comme d'autres témoins, demande l'anonymat dans une région très surveillée d'un pays où le régime réprime la liberté d'expression.
Ainsi, le mercredi, jour de marché hebdomadaire à Bol, la rue principale est bloquée, marchands, clients et véhicules fouillés par les comités de vigilance.
C'est en effet dans les marchés, très fréquentés, comme aux abords des mosquées, que Boko Haram envoie de jeunes femmes se faire exploser.
Ces marchés proposent peu de choses depuis que le commerce lacustre est bloqué: les boeufs tchadiens ne sont plus exportés vers le Nigeria, les poissons séchés du Nigeria n'arrivent plus à Baga Sola.
Les comités de vigilance fouillent les habitants le vendredi à l'entrée des mosquées, ils font de même le dimanche à l'entrée des églises.
Quelques enfants déplacés se baignent dans le lac, d'autres jouent dans les ruelles sablonneuses des rares villages mais un couvre-feu imposé à 21H00 réduit considérablement la vie sociale.
Les humanitaires, susceptibles d'être enlevés, ne s'aventurent jamais à pied et restent confinés dans leurs maisons, regagnées en voiture avant la tombée du jour. Invisible, la menace de Boko Haram plane constamment sur les rives du lac Tchad.