Les pays africains engagés dans la lutte contre Boko Haram avec l'appui des Américains, Français et Britanniques accentuent la pression pour anéantir le groupe islamiste mais ils doivent renforcer leur coordination s'ils veulent arriver à leurs fins.
Depuis l'offensive tchadienne du début 2015 puis celle de l'armée nigériane sous la houlette du nouveau président Muhammadu Buhari, Boko Haram a été chassé d'une grande partie des villes et villages qu'il contrôlait au nord-est du Nigeria.
Il s'est replié dans des réduits comme la forêt tropicale de Sambisa, à la frontière avec le Cameroun, ou le lac Tchad, véritable labyrinthe d'îlots.
Affaibli militairement, le groupe conserve pourtant un important pouvoir de nuisance, en multipliant notamment les attentats-suicides, qui demandent peu de moyens.
L'ONG britannique Action on Armed Violence a ainsi estimé cette semaine que les attaques de Boko Haram avaient fait trois fois plus de victimes en 2015 qu'en 2014.
Le groupe, qui sévit depuis 2009 au Nigeria, a causé la mort d'au moins 20.000 personnes selon la Banque mondiale et empiète de l'autre côté des frontières, au Cameroun, Tchad et Niger.
Une force multinationale mixte (FMM) de 8.500 hommes, réunissant ces pays du bassin du Lac Tchad, a été mise en place pour traquer les jihadistes. Mais son déploiement opérationnel est resté jusqu'ici très confus, peu d'informations filtrant sur les progrès réels de l'armée.
"Beaucoup a été fait et beaucoup continue d'être fait pour remporter la bataille et au final gagner la paix", a assuré le général nigérian supervisant la FMM, Lamadi Adeosun, lors d'une rencontre vendredi avec le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian à N'Djamena.
L'armée nigériane prépare une offensive dans les prochains jours "afin de nier à Boko Haram son sanctuaire traditionnel de Sambisa", indique-t-on de sources militaires dans la capitale tchadienne. Depuis l'arrivée de Buhari, il y a un an, une telle offensive a déjà été maintes fois annoncée, mais toujours sans effet.
-Actions imminentes -
"L'idée c'est de pouvoir annoncer au prochain sommet d'Abuja (14 mai) que ce sanctuaire n'existe plus. C'est un impératif à la fois militaire et politique", souligne une de ces sources.
Ce sommet réunira les chefs d'Etat de la coalition anti-Boko Haram (Nigeria, Tchad, Cameroun, Niger) ainsi que le président français François Hollande et des représentants britanniques et américains.
Le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, apparu aux abois fin mars dans une vidéo, "semble toujours le chef et se cache dans la forêt de Sambisa", selon une source militaire française.
Le nombre "d'adeptes" de cette secte, évalué un temps à 10.000 voire 30.000 hommes, reste difficile à évaluer. Les combattants aguerris - de retour du Mali, voire de Libye - ne constituent en revanche au mieux qu'un petit noyau dur, estime la source française.
La force multinationale prépare de son côté une opération dans la zone des trois frontières (Cameroun, Niger, Tchad) afin de priver de voie de repli les jihadistes qui seront refoulés de la forêt de Sambisa.
Elle dispose de peu temps avec l'arrivée prochaine de la saison des pluies qui va entraver les opérations, souligne-t-on de source française.
-Un lien avec l'EI ? -
Français et Américains lui apportent du renseignement collecté par drones et avions de chasse. Ils assurent aussi de la formation et participent, tout comme les Anglais, à la cellule de coordination mise en place dans la capitale tchadienne.
Les armées nationales - l'état-major de la FMM est basé à N'Djamena mais chaque pays gère ses troupes sur son territoire - ont encore trop l'habitude de mener des opérations en solo, sans en informer les pays voisins, offrant ainsi une grande liberté de manœuvre transfrontalière aux jihadistes.
"S'ils ne se coordonnent pas, ils n'arriveront jamais à réduire définitivement Boko Haram", met en garde un responsable militaire français dans la région.
L'état-major de la FMM souffre en outre cruellement de moyens de communication avec les unités sur le terrain, tout comme de moyens de transport et logistique.
Le général Adeosun demande gilets pare-balles, véhicules blindés et bateaux à fond plat pour traquer l'adversaire sur l'immensité du lac Tchad.
Il reproche aussi à la communauté internationale de tarder à remplir ses engagements. Une aide de l'UE de 50 millions d'euros est ainsi bloquée au niveau de l'Union africaine pour des raisons bureaucratiques.
Le temps presse surtout si Boko Haram vient à recevoir une aide en armes et argent du groupe Etat islamique (EI) depuis la Libye. "Pour l'heure nous n'avons pas de preuves de liens étroits", relève M. Le Drian. Mais selon son entourage, des contacts existent et des "individus" circulent entre Nigeria et Libye.