De passage à Bruxelles, Mme Ibrahim Yacoubou Réki, Administrateur - Directrice Générale d’ASUSU S.A, une société de microfinance au Niger, nous a accordé une interview. Diplômée en économie appliquée, Ingénieure Aménagiste, Mme Ibrahim Yacoubou Réki, au parcours professionnel riche, est revenue sur l’évolution de la société qu’elle dirige. Cette Grande Dame a reçu une vingtaine de distinctions en récompense du travail qu’elle abat.
Le parcours professionnel commence à la « GTZ » (un opérateur public allemand de coopération au développement) puis à « Care International » (une ONG américaine) où elle a dirigé le programme « Mata Masu Dubara » et à « AQUADEV » (une ONG belge). C’est du reste le Projet Réduction de la Pauvreté (PRP), volet microcrédit, mis en œuvre grâce à un partenariat entre le gouvernement du Niger, la Banque Africaine de Développement et ladite ONG, qu’elle a piloté et qui a été progressivement transformé pour donner aujourd’hui ASUSU SA, une institution présente dans plus de 5.500 villages et qui revendique aujourd’hui quelques 500.000 agents économiques touchés.Nigerdiaspora : Parlez-nous un peu de votre institution ASUSU S.A.
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : ASUSU est une société de microfinance qui a commencé à travailler en 2004. D’abord, c’était le volet micro-crédit du projet réduction de la pauvreté cofinancé par le gouvernement nigérien et la BAD. Pour assurer la pérennité de l’offre des services financiers, il avait été créé une association dénommée « ASUSU CIIGABA » qui avait pris le relai du volet microcrédit du projet sus-mentionné. Trois ans plus tard, avec le développement de l’activité, nous avons opté pour la création d’une société privée sous l’appellation d’ASUSU S.A qui a obtenu l’autorisation d’exercice en 2010 et qui poursuit, depuis lors, son bonhomme de chemin. Il faut noter que l’association qui l’a précédée continue, en parallèle, d’offrir les services non financiers aux clients. Mieux, en 2013, nous avons créé la Holding ASUSU dont je suis le PDG, afin de travailler sur les différents aspects qui puissent assurer la rentabilité de l’activité à travers notamment le développement et la création d’autres activités telles les assurances que l’agrément actuel (Sytème Financier Décentralisé) n’autorise pas. Nous pensons également avec la Holding assurer le suivi-évaluation et même la mobilisation des ressources sur le marché des investissements.
Nigerdiaspora : comment avez-vous réussi à vous imposer dans la cour financière des grandes banques de la sous-région ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : C’est bien connu : à cœur vaillant, rien n’est impossible ! Notre ambition pour le Niger et notre détermination à combattre la pauvreté nous ont conduit à nous battre en dépit des difficultés de tous ordres. Le plus important c’est d’avoir du courage, de la persévérance, de la ténacité, refuser le fatalisme, travailler, croire en ce qu’on fait…
Nigerdiaspora : quelle a été l’étape marquante de l’histoire d’ASUSU ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : je retiens la transition de projet de développement vers quelque chose de mieux structuré et plus pérenne d’abord, donc en association. Puis, avec les contraintes légales, les limites de cette forme juridique et institutionnelle, on est passés à une structure commerciale qui a toujours conservé notre socle et notre vocation à lutter contre la pauvreté. Cette dernière mutation a permis de professionnaliser l’activité. La qualité de société anonyme (S.A) est une forme juridique qui permet de mieux développer l’activité, de mobiliser plus facilement les ressources et constitue une garantie pour les partenaires. C’est dire que nous continuons de faire de la lutte contre la pauvreté sous les attributs d’une société commerciale. Nous avons pour vision de servir de modèle de société commerciale à dimension sociale. Mais, pour pouvoir servir le plus grand nombre, nous avions besoin de grandir nous-mêmes. Ce qui suppose évidemment de créer de la plus-value et de la rentabilité financière afin de donner des marges d’action. Ces marges de progression sont difficilement envisageables avec le mécénat. Notre experience passée nous a enseigné que nos populations cibles (rurales pour une grande part), aussi vulnérables qu’elles soient, étaient d’une extraordinaire dignité et ne recherchaient pas vraiment l’aumône. Ce qu’elles souhaitent, ce sont des services financiers disponibles, proches, simples d’accès, à des conditions raisonnablement supportables. Je pense que c’est là, sans nier la variaton de nos offres, une orientation décisive qui nous a permis les progrès salués de tous aujoud’hui.
Depuis l’année passée, nous nous sommes donnés un nouvel instrument d’action économique : le Centre de Financement des Petites Moyennes Entreprises (CFPME). En même temps, nous continuons de nouer des partenariats stratégiques avec différents acteurs institutionnels tels que le Ministère du Commerce et du Développement du Secteur Privé (MC/DSP), le PNUD… Nous gérons plusieurs projets destinés aux jeunes comme le projet MATASSA, financé par ADA et le Rotary Club., le Porjet « Concours Meilleurs Projets-Jeunes » financé par le PNUD, à travers le MC/DSP, dans le cadre du financement de l’entreprenariat des jeunes. Nous ambitionnons ainsi la création de milliers d’emplois notamment jeunes, à travers la promotion de l’entreprenariat par le truchement du CFPME.
Nigerdiaspora : ASUSU est-elle une société 100% nigérienne ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : ASUSU est une société de droit nigérien avec une vingtaine d’actionnaires y compris des institutionnels. Au nombre des actionnaires nigériens il y a l’association ASUSU CIIGABA, le groupement des clients, la Chambre de commerce, le Groupe GLOBAL SAHEL. Au nombre des investisseurs internationaux, on peut citer la Société Suédoise d’Investissement en Afrique (NORDIC MICROCAP), le Fonds Européen de Financement Solidaire en Afrique (FEFISOL).
Nigerdiaspora : ASUSU emploie combien de personne actuellement ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : ASUSU emploie aujourd’hui 520 personnes tous services compris avec une prééminence de jeunes et de femmes car, à la création de ASUSU on a opté pour la création d’opportunités pour ces catégories sociales. Et aujourd’hui, ce sont 150 stagiaires en temps réel qui perfectionnent leur formation chez nous.
Nigerdiaspora : Rencontrez-vous des problèmes dans le respect des conventions avec vos clients ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : Il n’existe pas de métier sans difficultés. Mais, nous avons peu de problèmes avec le monde rural, en dehors des périodes de mauvaises récoltes. En raison de l’environnement des affaires, c’est actuellement le financement des PME qui concentre l’essentiel de nos risques-métier.
Comme vous le savez aussi, nous vivons malheureusement dans un monde de moins en moins sûr. Le contexte sécuritaire terroriste dans l’extrême Est du pays (la région de Diffa) où nous avons injecté plus de 700 millions de francs de stock de crédits, est donc une autre de nos préoccupations. Nous avons été amenés à fermer notre Point de Service à Bosso. Mais, les agences de N’Guinguimi, Diffa, Mainé Soroa et de Gouré continuent de fonctionner.
Aujourd’hui, dans cette région, nous travaillons beaucoup plus avec les organisations humanitaires dans le cadre du Cash transfer. Nous reprenons peu à peu notre activité de crédit mais il faut surtout rappeler que nous avons reçu un grand coup du fait de l’activisme de Boko Haram.
Nigerdiaspora : quels projets avez-vous pour la diaspora nigérienne ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : Nous couvrons actuellement la juridiction du NIGER. Mais, bien évidemment, une institution comme la nôtre, qui revendique un certain patriotisme économique, ne saurait laisser en marge une frange aussi importante de nigériens qu’est la diaspora. En réalité, tous nos produits s’adaptent au besoin de la diaspora dont nous pensons qu’elle a besoin de services financiers sûrs, rapides et de proximité. Nous sommes aussi en train de développer des produits tels que l’épargne-projet, qui doit permettre à tout nigérien de la diaspora d’économiser progressivement et bénéficier des conseils d’ASUSU mais aussi d’un financement complémentaire pour la mise en œuvre de son projet. Nous comptons par ailleurs travailler sur le plan-épargne-logement pour faciliter l’accès à la propriété immobilière à nos compatriotes de la diaspora (qui est déjà disponible pour l’acquisition des parcelles). Cependant, pour ce dernier projet, il nous faut trouver des ressources pour le financement à long terme.
En outre, nous réfléchissons, en partenariat avec des banques, pour développer des produits de transfert d’argent adéquats. Cette expérience a fait ses preuves dans des pays comme le Mali, et je ne vois pas de raison que ça ne marche pas chez nous.
De manière générale, où qu’ils soient dans le monde, nos compatriotes ont du talent et des bonnes idées ; ils ont juste besoin d’un bon coup de pouce pour les mettre en valeur. Nous essayons de conmbler ce vide avec des produits financiers de qualité accessibles.
Nigerdiaspora : quel est le but de votre voyage à Bruxelles ?
Mme Ibrahim Yacoubou Réki : je suis à Bruxelles dans le cadre du Forum de la société civile organisé par l’Union Européenne et je représente Care International au Niger qui est un partenaire de ASUSU. Je suis là pour faire entendre notre approche et faire écho des attentes de nos populations mais aussi de ce qu’elles peuvent offrir à l’humanité.
Réalisée par Boubacar Guédé