Mahamadou Issoufou est un homme comblé. En tout cas, il a la baraka et personne ne peut le contester. Jugez-en ! Toutes ses entreprises échouent, tous ses projets foirent, ses espoirs les plus justifiés fondent comme beurre au soleil et il traîne, depuis le 20 mars 2016, de gros boulets handicapants pour la crédibilité dont il a besoin au plan international. Et pourtant, à l’exception des déboires, que dis-je, des désastres dont il est lui-même l’auteur, notamment au plan financier et énergétique, il n’a aucun souci qu’il doit objectivement à son opposition. Aujourd’hui plus qu’hier, d’ailleurs.
En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, l’opposition politique a démissionné, se complaisant dans une aphonie insultante pour le peuple nigérien, meurtri et désespéré, qui en attendait, plus qu’un secours, une raison d’espérer. Mahamadou Issoufou commet un hold-up électoral, l’opposition nigérienne ne trouve rien d’autre à faire qu’à dire qu’elle constate le fait, le dénonce et refuse de reconnaître les résultats pour ensuite faire volte-face et siéger au sein d’institutions qu’elle ne reconnaît pas. Une telle opposition, le Niger n’en a jamais connue. Empêtrée dans des contradictions inextricables, doublées d’une incapacité notoire à s’assumer face à l’histoire, l’opposition nigérienne est un don de Dieu pour Mahamadou Issoufou qui peut continuer à gouverner comme il veut, à envoyer qui il veut en prison et à gérer l’État comme sa boutique. Le pays va à vau-l’eau mais ceux qui le dénoncent se contentent de le faire dans leurs salons, avec quelques visiteurs ou aux côtés de leurs épouses. Amers et inquiets pour le Niger comme ils le prétendent, ce sont, pour parler comme la soldatesque, « des officiers de salon » qui veulent tirer les marrons du feu sans se brûler les doigts. La lutte politique comporte toujours des aléas. Lorsqu’une classe politique décide d’en faire en excluant toute éventualité de connaître le moindre pépin, surtout lorsqu’on a affaire à un adversaire politique qui ne respecte même pas la Constitution, alors on n’a plus qu’un seul choix : faire tout autre chose que de la politique. Des cadres pareils, les partis politiques de l’opposition en pullulent comme têtards dans un étang. Et on ne peut avoir que du dégoût en sachant que souvent, ce sont de grandes gueules qui, lorsqu’il s’agit de se faire valoir dans une situation de pouvoir, sont imbattables. En tout cas, ne souhaitez pas les avoir comme adversaires pour un poste de nomination.
Que représente l’opposition nigérienne, en termes d’alternatives ? Recroquevillée sur elle-même, méconnaissable et totalement démissionnaire, elle donne de belles raisons de douter de sa capacité, demain, à relever les défis de développement qui se posent au Niger. Ne montre-t-elle pas d’ailleurs, par son insouciance et son désintéressement face à une situation qui pourrit davantage chaque jour qui passe, qu’elle ne ferait pas mieux que ce qui se passe aujourd’hui ? Sinon, comment des hommes politiques qui prétendent représenter l’alternative à la gouvernance catastrophique de Mahamadou Issoufou peuvent-ils se permettre de rester insensibles aux multiples scandales révélés par la presse ? Est-il politiquement admissible de constater que l’opposition nigérienne, dans toute sa dimension, joue la carte des abonnés absents alors que des personnalités de rang arbitral ont les mains pleines de cambouis ? Est- il tolérable de voir que des leaders politiques de l’opposition, attendus sur un autre terrain que celui de la compromission et de l’allégeance, mettent du zèle à siéger au sein d’une Assemblée nationale issue d’élections qu’elle dit scandaleuses et déshonorantes pour le Niger ? Pour qui travaille l’opposition ? La question mérite d’être posée. Par delà le caractère politique de la faute impardonnable qu’elle commet visà- vis de ses militants qui sont en détention politique depuis de très longs mois, il y a aussi la dimension morale de cette attitude méprisable de « Let and see » dans laquelle se complaît l’opposition. Sans âme, elle est aussi, depuis quelques semaines, sans visage. Ce n’est plus la Copa, dit-on, mais ce n’est pas non plus autre chose. L’inertie de l’opposition est scandaleuse. Si elle est un don de Dieu pour Mahamadou Issoufou, elle est la pire des catastrophes pour le Niger qui croule sous le poids d’une gestion désastreuse. Peut-elle objectivement représenter une assurance pour les Nigériens auxquels elle prétend offrir le meilleur si les choses changeaient ? C’est à croire s’il existe une seule raison de continuer à se battre pour un autre Niger. Car, en choisissant de faire profil bas face au drame qui se joue et qui enfonce davantage le Niger chaque jour qui passe, l’opposition nigérienne nous met face à une évidence : avec des gens qui évitent soigneusement tout acte qui pourrait mettre la police judiciaire sur leurs trousses, on ne peut rien construire. L’État de droit se construit dans le contentieux et le refus du larbinisme, de la manipulation grossière, de la corruption et des trafics d’influence. Tout comme l’État de droit, la démocratie est en graves périls, mise sous coupe réglée. Mahamadou Issoufou a beau être l’artisan principal du désastre — Il en a fait la preuve en violant la Constitution qu’il a pourtant juré, la main droite sur le Saint Coran, de respecter et de faire respecter — il n’en est pas le seul auteur. La faute incombe également à l’opposition politique qui dort d’un profond sommeil d’orgies alors que le Niger crie au secours. C’est désastreux !
S’il y a, au sein de l’opposition politique, des militants méritants qui savent qu’ils ont un devoir de résistance vis-à-vis du Niger et de son peuple, ce qui comporte nécessairement des risques certains dans un contexte politique où les lois et règlements sont violées régulièrement par ceux qui ont la charge de veiller à leur respect, il faut bien admettre qu’ils sont non seulement minoritaires, mais regardés de travers comme des écervelés qui n’ont pas encore compris qu’en politique, on n’a nullement besoin de se mouiller le maillot pour tirer son épingle du jeu. La plupart du temps, le monde de l’opposition, si important soit-il, se compose de cadres et militants qui ne se distinguent que par un indice : drapés dans de grands boubous amidonnés ou en costumes cravates, chaussures bien cirées et têtes impeccablement coiffées, ils se mettent ainsi en évidence lors des regroupements à caractère cérémonial mais évitent à tout prix de se porter au premier plan lorsqu’il faut parler et défendre, du moins publiquement, les intérêts du peuple nigérien. Combien sont-ils qui ruent dans les brancards, faisant montre d’une analyse imparable des enjeux politiques, financiers et démocratiques pour le Niger, mais qui entendent bien le faire uniquement dans les limites bien comprises de leurs salons feutrés ?
La gouvernance de Mahamadou Issoufou est un désastre et tout le monde en convient aujourd’hui. Cependant, le pire désastre est dans cette opposition politique qui dort tandis que les conditions de vie des populations empirent. L’énergie, si vitale pour le développement économique, est hypothétique, anéantissant le peu de force qui reste à certains pans d’une économie désarticulée et malade. Les hôtels pourraient-ils tenir longtemps dans un système où ils doivent acheter du gasoil pour alimenter des groupes électrogènes ? Les petites entreprises tournent au ralenti, incapables de produire par manque de courant ; l’administration, déjà malade, est désormais ankylosée ; s’acheter de la glace en ce temps de carême est devenu le sport le mieux partagé et encore que le prix est hors de portée pour beaucoup de gens. Il n’y a pas que la situation financière et énergétique qui est inquiétante. Le Niger, il faut s’interroger, a-t-il encore une parcelle de crédibilité à l’extérieur sous Mahamadou Issoufou ? Depuis quelque temps, des informations venant des réseaux sociaux rapportent que des fonds publics d’un pays voisin seraient détournés avec la complicité de hautes personnalités dudit pays et d’un de nos hommes d’affaires bien connu, logés dans des banques nigériennes, ne fait-elle pas du Niger un Etat égaré ? De l’argent public détourné et logé dans des banques nigériennes, ça fait froid dans le dos. Et pourtant, les partis politiques qui se disent de l’opposition n’ont pas senti la nécessité de réagir à tant de scandales. Un acte de démission qui sonne comme une permission totale pour Mahamadou Issoufou de faire ce qu’il veut du Niger et de ceux qui ont cru à un autre combat. Soumana Sanda, Oumarou Moumouni Dogari, Issoufou Issaka, Seyni Mereda, Mamane Issa, Hamza Sidikou, Idé Kalilou, Bakari Saïdou, Malla Ary et les autres le vivent dans leur chair et dans leur âme.