Il vous souviendra que la très regrettable affaire dite des bébés stigmatisés est née de la publication d’un article de presse dans le journal L’Evènement. A l’époque, le parquet s’était immédiatement saisi de cet article pour ouvrir une enquête. Des enquêteurs ont alors été envoyés au Nigeria, pays dans lequel le trafic de bébés se serait déroulé. Les sorties médiatiques s’étaient ensuite multipliées tant du côté de la justice que de la société dite civile. Résultats : une trentaine de couples sont vilipendés, jetés en pâture, humiliés, emprisonnés. Une trentaine de couples dont celui que forme le président de l’Assemblée nationale de l’époque Hama Amadou et son épouse Hadiza. C’est d’abord cette dernière qui purge une détention préventive avant que son mari ne soit aussi arrêté et incarcéré à la veille des élections générales de 2016.
Aujourd’hui, l’histoire se répète. Dans un autre sens, avec d’autres acteurs. Cette fois, c’est l’hebdomadaire « Le Courrier » qui publie des listes impliquant l’une des première Dames : Malika Issoufou. Le journal a livré les noms et prénoms de personnes que la première Dame aurait favorisés afin qu’elles admettent au concours du ministère de la Santé publique. Plusieurs semaines après la parution du « Le Courrier », aucune audition, aucune interpellation encore moins emprisonnement n’est observé dans les rangs des personnalités citées par le journal. Au contraire, et ironie du sort, ici, c’est le dénonciateur qui est visé par une procédure avilissante Immédiatement, Ali Soumana, le fondateur et Moussa Souley DODO le directeur de publication dudit journal sont embarqués à la police judiciaire, expédiés devant le juge et jetés en prison, sous mandat dépôt. Ce, en violation parfaite de l’article 67 de l’Ordonnance n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de Presse qui stipule ceci : « en matière de délit de presse, la détention préventive est interdite. Le juge ne peut décerner ni un mandat de dépôt ni un mandat d’arrêt. »
Le subterfuge « publication de documents issus d’une perquisition » ne saurait contourner cette pertinente disposition de l’ordonnance précitée.
Aussi, que les fonctionnaires impliqués dans cette scabreuse affaire et le directoire du journal « Le Courrier » soient les seuls impitoyablement frappés par Dame Justice qui devait pourtant être aveugle, est révélateur d’une anomalie. Aveugle, c’est-à-dire, qui tâtonne dans le noir jusqu’à saisir et punir sévèrement celui qui lui sera tombé sous la main par les faits de preuves et autres témoignages. C’est pourquoi, nous nous demandons si la justice dans notre pays, sans être aveugle tel que souhaité, soit borgne, c’est-à-dire, qui voit avec un seul oeil, le droit ou le gauche, peu importe. Il est en effet plus facile pour un borgne de dire qu’il ne voit pas du côté de son mauvais oeil et qu’il voit très bien tout ce qui se trouve dans le champ de vision de celui qui est bien portant. C’est exactement ce que nous sommes en train de vivre au Niger. Dès qu’une quelconque affaire est supposée impliquer des personnes défavorables au régime, qu’elles soient de l’opposition ou non, la justice est inexorablement enclenchée et elle broie sans la moindre pitié. Soumana Sanda, Oumarou Dogari, Seyni Mereda, Issoufou Issaka, Bakari Seydou, Algérien et bien d’autres, tous, du parti de l’opposition Lumana africa sont derrière les barreaux pour une raison ou pour une autre. Dans le même temps, Mohamed Bazoum (affaire passeport), Massoudou Hassoumi (affaire achat Mont Greboun), Foumakoye Gado (affaire concours ministère de la Santé publique), et bien d’autres continuent de diriger le Niger au sommet des institutions de la République pour les uns, et dans le gouvernement, pour les autres. La justice dans notre pays voit-elle vraiment de ses deux yeux ? Ou est-elle vraiment aveugle de sa belle myopie ? En tout cas une chose est sûre : la justice est prompte à sévir impitoyablement chaque fois qu’il s’agit d’un opposant ou de quelqu’un qui est perçu comme tel par le régime du président Issoufou ; et elle joue l’abonnée absente dès lors que le mis en cause est issue des rangs du parti au pouvoir ou de ses alliés. Cette situation inquiète plus d’un Nigérien. D’ailleurs, la Commission nationale des droits humains a publié le 10 juin dernier un communiqué de presse dans lequel la CNDH a exprimé ses inquiétudes relativement à la justice dans notre pays. « Des manquements sont observés dans le domaine des libertés notamment : les mesures parfois injustifiées d’interdiction de manifester, des actes de violences perpétrés contre les manifestants, les circonstances d’interpellations de journalistes parfois attentatoires aux droits humains. La CNDH se préoccupe aussi du cas de certains acteurs de la vie politique et autres justiciables qui continuent de garder prison. Pour une question de respect de dignité, la CNDH exhorte la justice à un traitement diligent de tous les dossiers pendants. La CNDH recommande aux autorités le respect des textes régissant les libertés publiques et d’expression, et appelle les professionnels des medias au respect de l’éthique et de la déontologie. » Avec des mots diplomatiques, certes, mais la CNDH a exprimé de vives inquiétudes. Pour notre part, nous rappelons au président de la République Issoufou Mahamadou qu’en prenant le pouvoir en 2011, il avait demandé à la presse de l’aider à savoir ce qui se passe dans son pays afin qu’il puisse veiller à ce que justice soit rendue. Aujourd’hui, nous pouvons dire que les journalistes font ce travail de dénonciation, parfois au péril de leur liberté, mais le premier magistrat lui, a du mal à sévir contre tout le monde. Nous rappelons au président de la République qu’il a le devoir sacré et constitutionnel de veiller à l’indépendance de la justice et d’aider les magistrats dont il est le chef suprême à s’acquitter correctement de leur impérieuse mission. Ibrahim A. YERO