Moussa Dodo et Ali Soumana, respectivement directeur de publication et promoteur de l'hebdomadaire Le Courrier ont été arrêtés le 3 juin dernier pour « divulgation de documents issus d'une perquisition » dans les éditons du 19 mai au 2 juin 2016. Dans ces numéros, ils ont publié en facs similés des listes envoyées par des hautes personnalités nigériennes, notamment l'épouse du chef de l'Etat, la présidente de la cour constitutionnelle et le chef d'état-major général des armées, entre autres, aux responsables du concours de recrutement des agents de la santé publique afin de placer leurs protégés.
Après avoir séjourné dans les geôles de la police judiciaire, les deux journalistes et l'imprimeur du journal, Idrissa Soumana Maiga, également directeur de publication du quotidien privé L'Enquêteur ont été présentés devant le juge le 9 juin. Aux termes de l'audition, le ministère public a requis un an de prison ferme contre les deux journalistes et la relaxe pour l'imprimeur. Mais à l'audience du 16 juin, ils ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis et l'imprimeur relaxé. A noter que même le gardien du journal a été interpelé et incarcéré avant de recouvrer sa liberté.
Entorse à la liberté de presse
Le Niger s'est doté depuis 2011 d'une loi sur la liberté de la presse et le président de la République Issoufou Mahamadou, premier président africain à signer la Déclaration de la montagne de la table (DTM) a promis de ne pas emprisonner de journaliste. « Une loi qui est sensée favoriser le travail des journalistes, mais dont très malheureusement le pouvoir public ne n'en sert pas », regrette Boubacar Diallo, journaliste indépendant.
« Pour l'avenir, il faut que le juge nigérien se décide à appliquer une loi qui est là depuis 6 ans. Mais chaque fois qu'un journaliste pose un acte qui ne plait pas au pouvoir public, le juge va estimer qu'on va lui appliquer le code pénal . C'est tout simplement la liberté d'opinion qu'on veut remettre en cause au Niger, » dénonce Ibrahim Soumana Gaoh, président de l'Association des éditeurs de la presse indépendante ( ANEPI).
« Ces sont des journalistes, il y a une loi sur la liberté de presse. Cette loi n'a pas été appliquée d'une certaine manière, il faut que nous soyons éclairées pour la sécurité juridique de tout le monde, » déclare Me Mossi Boubacar, avocat des journalistes.
Acharnement contre les médias
« Pour une fois ce n'est pas le contrevenant qu'on a suivi, mais plutôt celui qui est en conformité avec la loi, » regrette l'avocat qui voit en cette affaire un acharnement contre des journalistes, » dit Me Mossi Bouba. « L'arrestation du DP du Courrier et de son promoteur n'est rien d'autre que du harcèlement. Personne n'a contesté la véracité de l'info donnée par le Courrier. Ils sont condamnés pour certains commentaires qu'ils auraient fait pour influencer une décision de justice, » explique Boubacar Diallo.
«Cet acharnement contre les hommes de média qui ont tout simplement fait leur travail est intolérable, » déclare RSF. « Les documents publiés sont de notoriété publique, puisqu'ils ont été produits dans le cadre de l'enquête en cours, » ajoute l'organisation de défense des journalistes. Et de conclure : « Les autorités nigériennes se discréditent en s'acharnant de la sorte sur des hommes des médias, en violant de surcroit la loi sur la presse de leur pays. »