Hélène Claudot-Hawad, anthropologue et directrice de recherche au CNRS, est spécialiste du monde touareg. Ses derniers travaux portent notamment sur la place qu’occupent les mouvements touaregs dans la crise qui sévit actuellement dans la région saharo-sahélienne. Entretien avec le site Mondafrique.
Mondafrique. Comment se répartissent aujourd’hui les Touaregs dans la région saharo-sahélienne ?
Hélène Claudot-Hawad. Le territoire historique des Touaregs a été divisé entre cinq Etats différents, créés dans les années 1960, entités nouvelles se disant pour les unes « arabo-musulmanes » comme la Libye et l’Algérie, et pour les autres « sahéliennes » comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso (ancienne Haute Volta). Dans ce nouveau dispositif politico-territorial héritier direct de la logique coloniale française – qui en a fourni les modèles de gestion politico-économique, les élites formées pour ses propres intérêts, les contours frontaliers tracés au cordeau en fonction de l’avancée des troupes coloniales concurrentes, ou encore l’idéologie évolutionniste et les classifications de la raciologie européenne –, l’espace touareg s’est retrouvé aux marges, loin des nouveaux centres de décision devenus sédentaires et urbains, méditerranéens (Tripoli, Alger) ou sub-sahariens (Niamey, Bamako, Ouagadougou).
Dans chacun de ces Etats, les Touaregs ont été « banlieuisés » et leur espace abandonné, dépourvu de tout équipement public (routes, hôpitaux, écoles, adduction d’eau et d’électricité). En même temps, les frontières érigées par les nouveaux Etats ont rendues illégales la mobilité et les activités nomades, asphyxiant l’économie touarègue, l’organisation sociale et les réseaux d’échanges entre Touaregs mais aussi entre communautés variées, liant étroitement nomades et sédentaires de la vaste zone saharo-sahélienne. Plusieurs soulèvements émaillent l’histoire des Touaregs, d’abord dans l’empire colonial français, puis dans les nouveaux Etats au sein desquels ils n’ont pas trouvé de place acceptable. A chaque insurrection, réprimée dans des bains de sang visant avant tout les civils, des milliers de familles touarègues ont dû s’exiler, cherchant refuge dans les zones frontalières, ou dans les régions touarègues d’autres Etats (Ahaggar en Algérie, Ajjer en Algérie et en Libye, Oudalen au Burkina Faso notamment), dans des capitales sahéliennes (Ouagadougou, Niamey, Dakar, Cotonou) et dans d’autres pays (Mauritanie, Arabie saoudite, Tchad, Nigeria, Soudan) où certains vivent depuis des décennies, dans des conditions très précaires. Beaucoup d’entre eux ne peuvent rentrer chez eux parce qu’ils n’ont pu dépasser le traumatisme des massacres contre leur communauté, d’autres à cause de l’absence totale de garantie concernant leur sécurité.... suite de l'article sur Autre presse