Mamman Sani est une sorte de légende au Niger, où sa musique sert d'indicatif entre les émissions de la radio et de la télévision nationales ou à meubler les temps morts à l'antenne, mais la force de son orgue lancinant a fini par dépasser les frontières.
Ce musicien autodidacte, qui n'avait jusqu'à récemment enregistré qu'un seul album, sur cassette en 1981, travaille désormais en studio au Ghana à la sortie d'une oeuvre intégrale qui devrait compter des dizaines d'albums.
C'est précisément cette vieille cassette qui a permis de redécouvrir l'artiste. Sani a en effet passé sa vie professionnelle à exercer le métier de professeur, avant d'être détaché à l'Unesco, sans jamais vivre de son art "à l'exception de quelques cachets souvent minables", dit-il.
Christopher Kirkley, jeune musicien et producteur américain spécialiste des musiques sahéliennes, fouille en 2013 les archives musicales du musée de Niamey à la recherche de morceaux oubliés.
"L'endroit débordait de CD, de cassettes et de bobines, tous poussiéreux. Je me préparais à une semaine de recherche pour échapper à l'insoutenable chaleur dehors, mais la cassette de Mamman a été la première que j'ai tirée des étagères", se souvient-il. "J'ai failli passer à autre chose mais la photo -en noir et blanc d'un jeune homme devant un orgue- m'a attiré."
- Vision d'un désert pixelisé' -
"La musique était intrigante. Les compositions instrumentales étaient simples mais oniriques, répétitives, hypnotiques. C'était ésotérique et bizarre. Ca ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. On aurait dit la bande son d'un jeu vidéo de caravanes traversant un désert pixelisé", ajoute-t-il.
A la façon d'un Ry Cooder qui avait propulsé le talentueux guitariste et chanteur malien Ali Farka Touré sur la scène internationale, Kirkley tente de relancer, ou plutôt de lancer, Sani en France et en Europe.
Trois vinyles (+Mammane Sani et son orgue : la musique électronique du Niger+, +Taarit+, +Mamman Sani Abdoulaye – Unreleased Tapes 1981-1984+) voient le jour et les deux hommes partent en tournée entre 2013 et 2015.
"Mamman est l'un des premiers à avoir +hybridisé+ la musique traditionnelle avec un synthé moderne. Sa musique aurait pu intéresser beaucoup d'autres musiciens à l'époque mais le Niger était isolé", souligne le musicien américain. "Sa musique reste d'avant-garde, très personnelle, sans compromis. Je suis heureux que Mamman ait enfin la chance d'être écouté ou entendu" en dehors du Niger, ajoute-t-il.
Né en 1952 à Accra d'un père nigérien et d'une mère ghanéenne, Mamman Sani n'est arrivé au Niger qu'à la fin des années 1950.
Après quelques années sur le banc de l'école, en compagnie notamment de l'actuel président nigérien Mahamadou Issoufou, il ne commence à jouer de la musique qu'en 1968 quand il est à l'Ecole normale de Zinder (sud-est) : "Un maçon me prêtait son harmonica pour les week-ends. Je jouais le samedi soir les tubes français de l'époque : +J'entends siffler le train+; Johnny Halliday, Sylvie Vartan.... J'étais l'homme à l'harmonica".
- Des câbles de frein pour cordes -
Il préfère alors l'anglais à la biologie : "J'avais appris qu'en biologie, on faisait des algorithmes et moi, je ne m'entendais pas bien avec les algorithmes... C'est curieux, non ? L'improvisation musicale souvent, ce sont des algorithmes !", plaisante le musicien, qui passe de l'harmonica à une guitare dont une partie des six cordes sont des câbles de frein de vélo.
A cette époque, il écoute de la musique noire américaine : Otis Redding, James Brown, Percy Sledge... Et compose ses premières chansons, jouant régulièrement le soir en public.
Il découvre l'orgue dans les années 1970 grâce à un musicien burundais de passage. "Ca a tout de suite été le coup de foudre", se souvient Mamman qui apprend à jouer seul sur le clavier.
En avril 1979, il découvre une petite annonce qui va changer sa vie : "Vends orgue électronique à deux claviers Orla Compagnon Duo. 250.000 F CFA (400 euros)". Mamman Sani n'hésite pas et brade sa moto pour financer son achat.
Il va dès lors devenir prolifique. Repéré par la télévision nationale, il compose génériques et interludes, enregistrant de nombreuses cassettes, tout en continuant à travailler pour l'Unesco.
Trente ans plus tard, malgré son succès et une reconnaissance nationale, Mamman Sani, retraité, a toujours du mal à joindre les deux bouts.
Cette année, il a ainsi vendu un de ses deux orgues et s'est retrouvé plusieurs semaines sans instrument.