«Sois compétitif et tu seras prospère»(Arnaud Leparmentier, 2015)
L'arrimage du franc CFA à l'euro continue de susciter de «vifs» débats au sein de la communauté scientifique et politique issue des pays ou zones ayant adopté cette monnaie. Dernier rebondissement en date, les sorties de Kako Nubukpo, qui soulignait, en février et mars 2015, «la nécessité de repenser et dénoncer la servitude volontaire de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) par rapport aux instances internationales régissant les politiques monétaires»(Le Monde, 2015). Le président du Tchad, Idriss Deby Itno, affirmait en août 2015 à l'occasion de la fête de l'indépendance que le moment est venu de couper ce cordon qui empêche à l'Afrique de décoller.
Critiques [qui seraient] bien fondées car si la BCEAO, pour ne citer que celle-là, supervise les Banques centrales nationales, elle reste cependant dépourvue de l'essentiel des prérogatives des banques nationales.
Ce débat, qui est loin d'être nouveau, a resurgi avec la perspective de la Grèce de quitter la Zone Euro [une sortie écartée depuis] et porte sur l'accord signé entre le Trésor Public Français (TPF) et les ex-colonies françaises.
Le premier principe défendu par le franc CFA c'est la mise en commun des réserves : 50% des avoirs extérieurs (contre 65% auparavant) sont déposés au niveau de la Banque de France. Ce qui représente autour de 14 à 15 milliards de franc CFA de manque d'investissement pour nos économies (Etienne Fakaba Sissoko, 2016).
L'accord « monétaire » entre la France et ses ex-colonies reste sans précédent dans l'histoire des monnaies et confère, à un prix exorbitant, une « crédibilité internationale » aux pays de la zone CFA. Selon Le Monde (2015), « la Banque des Etats de l'Afrique centrale (BEAC) et la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), les deux banques centrales de la zone franc, disposaient en 2005 de plus de 3 600 milliards de francs CFA (environ 72 milliards d'euros) auprès du Trésor français ». Et en 2014, la BCEAO, disposait dans le «compte d'opérations» de 3 097,724 milliards de FCFA, soit 50% de ses avoirs extérieurs en devises conformément à la disposition de 2005. A titre de comparaison, le produit intérieur brut (PIB à prix constant) du Niger est estimé à 3329,960 milliards de FCFA pour la même année. Cette manne reste « mobilisable » en théorie et rapporte des montants insignifiants d'intérêt à la zone FCFA lorsque la position de celle-ci est créditrice. Une aberration quand on sait que nos chefs d'Etats peinent [très souvent] à trouver des financements pour les projets de développement dans leur pays.
Les avantages du Franc CFA
Il est indéniable que le franc CFA confère un certain nombre d'avantages aux pays l'ayant adopté. Grâce à sa parité fixe avec l'euro, le franc CFA offre une « crédibilité internationale » aux pays de la zone CFA. Crédibilité internationale que n'ont « théoriquement » pas d'autres pays de la région comme le naira nigérian ou le cedi ghanéen dont les taux de change fluctuent en permanence.
Le faible risque inflationniste dont bénéficie la zone (stabilité monétaire) : une inflation en dessous des 3% dans l'UEMOA contre [plus de] 1000% au Zimbabwe par an. En outre, une inflation faible constitue une aubaine pour les consommateurs de ces zones.
Cependant, le passage en territoire négatif de l'inflation dans la zone UEMOA (-0,1% en 2014) devrait relancer le débat sur l'efficacité de la politique monétaire conduite par la BCEAO. Car des prix qui se tassent, c'est une mauvaise nouvelle pour la zone : les recettes fiscales en berne, le risque d'avoir une croissance atone et donc moins d'emplois à créer. Un cercle vicieux risque de se profiler à l'horizon, auquel s'ajoutent d'éventuelles tensions sociales.
La monnaie unique devrait aussi accroitre l'attractivité de la zone CFA en termes d'investissement direct étrangers : le rattachement du franc CFA à l'euro était un gage de crédibilité de celui-ci sur la scène internationale. Ainsi, les pays de la zone franc voyaient leurs économies ne subir qu'une faible inflation, ce qui permettait à la zone d'avoir une stabilité monétaire. Cette stabilité et la façon dont le rattachement se faisait étaient une incitation pour les investisseurs étrangers d'investir dans la zone (voir graphique ci-dessous sur les entrées des investissements directs étrangers), ce qui permettrait à terme d'améliorer les infrastructures, et donc d'être plus compétitif et par conséquent d'augmenter les échanges avec le reste du monde ; qui devait à son tour augmenter le niveau de vie des populations (Patxi BERGARA et Eyawelong MOUZOU, 2011).
Des avantages, non exhaustifs, qui devraient justifier la continuité et la pertinence de l'ancrage selon la majorité de nos dirigeants. Puisque, toute rupture aurait des conséquences [néfastes] pour nos économies déjà fragiles.
Malgré les politiques monétaires orthodoxes conduites par nos Banques Centrales : une inflation en dessous des 3% et une dette inférieure à 70% du PIB, les bénéfices de l'arrimage semblent limités. Comme en témoigne l'afflux plus important des investissements directs étrangers (Cf. graphique ci-dessous) vers le Nigéria et le Ghana, pays dont les monnaies fluctuent trop souvent, au détriment des pays de la zone franc. Sans oublier le fait que cet arrimage intéresse principalement les investisseurs étrangers qui peuvent rapatrier leurs profits. Ce qui renforce davantage les arguments des détracteurs de la monnaie unique.
Les relations commerciales, constituent-elles un argument de taille pour justifier voire maintenir le rattachement?
Cette théorie était valable dans les années 60 - 90 puisque les ex-colonies françaises commerçaient essentiellement avec la France et au-delà, l'Europe. Mais, l'avènement de la mondialisation réelle dans les années 70-80 a modifié cette donne. Comme les pays de la zone CFA se sont bien insérés dans le courant de la mondialisation, car tous membres actifs de l'Organisation Mondiale du Commerce, de nombreux pays en développement ont élargi le cercle de leurs partenaires commerciaux. En 2002, les exportations de l'UEMOA à destination de l'Europe, l'Asie et [le reste de] l'Afrique représentaient respectivement 66%, 6,2% et 16,9% contre 37,9%, 39,3% et 13,2% en 2014.
Quant aux importations en provenance de ces mêmes zones géographiques, elles s'établissaient respectivement à 59%, 14% et 24% contre 39%, 18% et 29% en 2014. Une tendance qui devrait s'accentuer dans les années à venir. Le franc CFA étant rattaché à une monnaie unique qu'est l'Euro, les pays qui l'ont adopté sont sensibles aux grandes fluctuations des taux de change entre les principales monnaies (yuan, dollar...). Le rattachement à un panier de monnaie permettrait de limiter ces fluctuations.
Quelques arguments en faveur de la sortie de l'ancrage
Aujourd'hui, les « détracteurs » du franc CFA pointent certaines aberrations notamment la non-convertibilité du FCFA de l'Afrique de l'Ouest et celui d'Afrique Centrale. A cela il faut ajouter le caractère vulnérable de cette monnaie, de la perte de compétitivité de ses économies produisant que les conséquences [non exhaustives] suivantes :
La faiblesse du commerce intrarégional dans la zone CFA
A titre de rappel, l'union monétaire, est la forme la plus stricte des taux de change fixes. Les taux de change des participants sont fixés de manière irrévocable. Elle (union monétaire) est conçue pour stimuler les échanges en son sein puisque le risque de change, bête noire des importateurs et exportateurs, étant éliminé. Et l'avènement de la mondialisation n'a pas remis en cause cet « acquis » puisque les échanges inter-régionaux dominent toujours le commerce international. Autrement dit, toute monnaie unique devait constituer un atout en matière d'intégration régionale (facilité des échanges) comme dans la zone euro. Mais, nous verront plus tard que malgré l'existence du FCFA, les échanges dans la zone CFA peinent à décoller.
Selon l'Organisation Mondiale du Commerce, l'ensemble « Afrique » est celui qui a, le moins, développé ses échanges intra-régionaux. Même si ces derniers progressent depuis le début des années 1990, ils se limitaient en 2014 à 18 % du commerce total de la zone. Selon la BCEAO(2014), « la part des échanges intracommunautaires dans le total des flux commerciaux des pays de l'UEMOA est ressortie à 14,9%, contre 15,8% en 2012 ». Des parts des échanges en intra-UEMOA et « intra-africaine » très insignifiantes au vu du fort potentiel de croissance de cette « grande région ».
A l'inverse, la région Europe représente l'intégration régionale la plus poussée au monde, avec une part d'intra-zone s'élevant à 69% en 2014 des échanges totaux. Les échanges à l'intérieur du Marché unique européen y sont pour beaucoup. En Amérique du Nord, en Asie, cette part représente respectivement 50% et 52%.
Mais on peut inverser la tendance dans l'UEMOA, voire en Afrique, en favorisant une meilleure insertion à l'économie mondiale, allant au-delà des exportations des produits primaires vers le reste du monde. Cette insertion devrait se concrétiser par une intégration régionale à l'instar de ce qui s'est produit dans les autres continents.
Une nouvelle dévaluation, serait-elle le remède miracle ?
Aujourd'hui, les détracteurs du franc CFA, dont des économistes, considèrent que pour sortir le Franc CFA de sa vulnérabilité, de la perte de compétitivité de ses économies, des maux qui minent en général la zone, il faut ou au mieux, procéder à une dévaluation du FCFA en raison de la tendance à la surévaluation de cette monnaie. Rappelons déjà qu'en 1994, le gouvernement français de l'époque avait accepté de diviser par deux la valeur du franc CFA. Il en avait résulté une baisse immédiate du pouvoir d'achat des citadins et une relance des productions locales, comme le cacao et le café. Mais le manque de réformes structurelles des économies africaines n'a pas tardé à gommer les effets bénéfiques de la dévaluation (Michel Lachkar, 2015). Conséquences, les importations [globales] ont bondi de façon spectaculaire notamment pour les majorités des pays de l'UEMOA : 2450,7 milliards de FCFA en 1994 contre 15055 milliards de francs 20 ans plus tard, entrainant dans son sillage la balance commerciale et dont la position déficitaire reste chronique depuis les années 70.
L'une des raisons expliquant cette augmentation importante réside dans l'émergence d'une classe moyenne urbaine bénéficiant d'importation à moindre coût dans nos pays. «C'est comme si on avait tranché en faveur des importateurs de champagne aux dépens des exportateurs de coton», affirmait déjà en 1994 un haut dirigeant du FMI.
Rappelons que les importations entraînent une sortie de devises. Et en l'absence de revenus tirés de l'exportation et de recettes fiscales importantes, il devient difficile d'obtenir le financement nécessaire pour les infrastructures ; lesquelles constituent l'épine dorsale pour toute émergence : elles créent des emplois, améliorent la qualité de la vie des pauvres et stimulent la croissance économique.
Comme les planches à billets sont sous le contrôle de la Banque de France, nos gouvernements se retrouvent dans l'incapacité de créer de la monnaie selon leurs besoins. Ce qui, de facto, peut ralentir leur économie. Dans ces conditions, le recours à la dette devient systématique et inéluctable. Une situation bien connue de tous. En témoigne le niveau d'endettement croissant de nos pays.
Savoir prendre son destin en main
Les pays des zones CFA, et au-delà l'Afrique, ont tout pour réussir. Depuis l'effondrement du système de Bretton Woods au début des années 70 et l'adoption du deuxième amendement aux statuts du FMI, les pays membres sont libres d'adopter le régime de change de leur choix. Et n'étant plus obligés d'arrimer leur monnaie dans un système surveillé par le FMI, les pays ou zone doivent déterminer le régime de change (fixe, flottant ou intermédiaire) le mieux adapté à leurs besoins sur la base de critères solides. Les dirigeants de pays membres de la zone CFA doivent faire preuve de lucidité en renégociant le traité qui les lie avec la France.
Entre la « stabilité monétaire » et performance économique à l'instar du Ghana ou le Nigéria, le choix semble évident. Puis, une souveraineté monétaire sous contrôle, c'est en réalité le pouvoir politique, économique, social et culturel qui est confié aux institutions de rattachement (européennes et à leurs mandataires français). L'Etat français semble ouvert à une renégociation. Dans son discours de Dakar de 2012, le président François Hollande proposait aux dirigeants africains de réfléchir sur une gestion plus active des réserves de change déposées au trésor français. Il revient donc aux dirigeants des pays membres de la zone CFA de prendre leurs responsabilités. L'objectif étant non seulement de se doter d'une monnaie leur permettant de doper leurs exportations, mais aussi de dynamiser leurs économies. Les couts liés à un éventuel abandon du FCFA : coûts relatifs à la mise en place de la nouvelle monnaie notamment l'impression des billets, la frappe des pièces, fuites de capitaux, etc. ; seront rapidement gommés par des gains en compétitivité. Ce qui peut dissiper les craintes de nos gouvernants.
Aux dernières nouvelles, les chefs d'États de la CEDEAO ont examiné la faisabilité de créer une monnaie sous-régionale et ont défini un calendrier de mise en œuvre de cet ambitieux et révolutionnaire projet à l'horizon 2020, tout en n'osant pas engager une négociation officielle et transparente avec la France et l'Union européenne pour les impliquer dans la préparation des étapes de finalisation du projet.
Selon Jeune Afrique (2016), « la Chine vient de créer au Congo une banque sino-congolaise pour l'Afrique (BSCA) et pour le développement. Cette banque, dont le siège social est à Brazzaville, a pour vocation d'aider les investisseurs chinois et les opérateurs économiques congolais et africains à réaliser leurs transactions sur le marché chinois. De façon concrète, la convertibilité yuan / franc-CFA évite le passage du Congo et des pays de la zone CEMAC par la place de Paris, ce qui contribue à diminuer le seigneuriage de Paris sur la plupart des pays de la zone CEMAC utilisateurs du Franc-CFA ». Une démarche qui devrait réduire l'influence de Paris sur le FCFA et qu'il faudrait accentuer à terme.
En attendant un éventuel abandon ou une éventuelle adoption d'une monnaie commune au sein de la CEDEAO, la BCEAO et la BEAC doivent conduire des politiques monétaires moins orthodoxes. Ainsi, les pays de la Zone franc pourraient espérer combler une partie de leurs déficits de croissance par rapport au pays de l'Afrique anglophone qui, sans monnaie commune, semblent avoir des économies plus performantes. A cela s'ajoutera, comme le proposent des économistes africains, la possibilité de faire évoluer le franc CFA en unifiant les deux francs CFA, celui de l'Afrique de l'Ouest et celui de d'Afrique centrale aujourd'hui non convertibles (cf. supra). Ils veulent également l'arrimer non plus à l'euro mais à un panier de monnaie (euro, dollar, yuan, etc.). Des mesures certes nécessaires mais non suffisantes pour faire « émerger » ces nations victimes de la mauvaise gouvernance.
Problème de gouvernance
Le constat reste amer lorsqu'on évoque la question de la bonne gouvernance dans la majorité des pays de la zone Cfa, quoique des progressions soient à noter ces dernières années. A titre de rappel, la bonne gouvernance renvoie à «la transparence de l'action publique, le contrôle de la corruption, le libre fonctionnement des marchés, la démocratie et l'Etat de droit » (Agence Française de Développement).
Contrairement au Ghana, pays étant considéré comme le mieux dirigé de l'Afrique de l'Ouest avec une démocratie bien établie, la majorité des pays membres de la zone franc sont caractérisés par la mauvaise gouvernance c'est à dire de la corruption, une dilapidation des ressources publiques et des attitudes prédatrices de la part des acteurs internes et externes.
Selon l'indice MO Ibrahim 2015 de la [bonne] gouvernance en Afrique, «l'Afrique australe est présentée comme la zone la plus performante en matière de gouvernance avec un score de 58,9 suivie par l'Afrique de l'Ouest avec 52,4». Et sur les 14 pays membres de la zone franc, seuls le Sénégal (9è) et la Côte d'Ivoire (35è) ont enregistré des progrès en 2015. Le Niger se positionne à la 33è place. Ce qui laisse penser que nos pays ont encore du chemin à faire.
Nous avons choisi deux aspects précédemment évoqués (non exhaustifs) de la mauvaise gouvernance pour étayer nos propos:
Mauvaise répartition de ressource nationale : Certes, la question de l'iniquité dans la répartition des fruits du travail des hommes est presque aussi vieille que l'humanité. Cependant, au niveau africain, le constat sur la mauvaise répartition de la richesse nationale donne encore plus le vertige. A titre d'exemple, le chef d'Etat malien perçoit environ 3,5 millions FCFA [comme salaire mensuel officiel], soit plus de cent fois le salaire minimum mensuel en vigueur fixé à 31370 FCFA (smic/smig) - correspondant à un salaire mensuel en dessous duquel, légalement, aucun salarié de plus de 18 ans ne doit être payé - du pays. Des fortes disparités peuvent apparaître selon les pays de la zone franc. En revanche, ce rapport n'est que d'environ dix fois en France : 14.916 euros pour le président F. Hollande contre 1 466,62 euros [brut] pour un smicard. Ce qui signifie que les dirigeants concentrent l'essentiel de la richesse de ces pays au détriment de la population.
Le problème de corruption : La corruption constitue l'un des freins au décollage économique des pays africains de manière générale. Les pays membres de la zone CFA n'échappent pas à cette règle. L'Indice de perception de la corruption 2014 montre que les abus de pouvoir des responsables politiques et des hauts fonctionnaires entravent la croissance économique et les efforts de lutte contre la corruption confirme bien cette thèse. Et l'ampleur prise par le phénomène de corruption dans ces Etats explique le mauvais rang qu'occupent ces derniers dans le classement de Transparency International 2015. Le Sénégal reste le mieux classé (61è sur 175 pays) tandis que le Niger se pointe à la 99è place.
Enfin, concernant l'éducation, rares sont les pays de la zone franc qui en font leurs priorité et premier poste de dépenses dans le budget. Ce choix reflète malheureusement le nombre insignifiant d'experts ou du personnel hautement qualifié, pour faire face aux nombreux défis que sont les nôtres, dans la majorité des pays de cette zone.
En définitive, seule une monnaie reflétant nos fondamentaux économiques et une gouvernance exemplaire permettant de corriger nos faiblesses structurelles (qualité des infrastructures, de l'éducation ou encore de la stabilité fiscale et politique...) et un partage optimal des fruits de la croissance économique dans nos Etats sortiront ces derniers de l'ornière.
Par Adamou Louché Ibrahim, analyste économique