Anthropologue de formation, Mauro Armanino, est Italien d’origine. Il travaille depuis cinq (5) ans au Niger en tant que missionnaire des missions africaines au diocèse catholique de Niamey sur deux volets : l’accueil et l’assistance aux migrants et la formation des communautés chrétiennes et plus en général la contribution à la société civile. Dans cet entretien à bâtons rompus qu’il nous a accordé, il passe au peigne fin la problématique de la migration qui engendre régulièrement des dizaines de centaines de morts dans l’océan et le désert. Selon lui, la cause profonde qui pousse les jeunes à risquer leur vie à la cherche d’un lendemain meilleur en Occident est soigneusement occultée dans l’analyse du phénomène migratoire. Mauro se veut très critique vis-à-vis de ceux qui perçoivent la migration comme un mal absolu.
Monsieur Mauro Armanino vous êtes missionnaire au niveau du diocèse catholique de Niamey et vous vous intéressez beaucoup aux questions migratoires. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous intéresser à ce sujet particulier ?
Mauro Armanino :Je suis missionnaire des missions africaines, d’origine italienne, travaillant ici au Niger depuis cinq ans. Je suis arrivé ici avec deux charges pour le compte du diocèse catholique de Niamey : d’abord l’accueil des migrants et la deuxième charge, la formation des communautés chrétiennes et plus en général la contribution à la société civile. Ce sont les deux charges qui m’ont amené au Niger. Mais avant de venir ici, j’ai passé une dizaine d’années en Côte d’Ivoire, en Argentine, au Libéria pendant et après la guerre. Et c’est là bas que pour la première fois j’ai eu à traiter avec des réfugiés, des déplacés et des migrants aussi. J’ai eu à travailler aussi en Italie pendant quelques années avec les migrants au niveau des prisons, notamment les prisonniers d’origine africaine. Et c’est suite à une invitation de l’Evêque français qui était en poste au Niger et qui m’a confié ces deux missions, que j’ai perçu l’importance de descendre en dessous de Lampedusa. Comme je voyais les personnes qui venaient de l’Afrique, je me suis dit qu’il est peut être important de venir voir un peu se qui se passe ici.
Et lorsque vous êtes arrivé, quels étaient les premiers constats que vous avez pu faire par rapport au phénomène migratoire au Niger ?
Quelques mois après mon arrivée en 2011, il y a eu la crise libyenne qui s’est déclenchée et peu de temps après la crise malienne. Evidemment, ce n’est pas la même chose parce que la première a concerné beaucoup de migrants de l’Afrique subsaharienne qui travaillaient en Libye, y compris beaucoup de Nigériens. Alors, cela a un peu accéléré le processus etnous a poussé à organiser un minimum de services d’accueil pour les retournés. Et depuis lors, nous avons continué en essayant de nous perfectionner un peu plus, évidemment en collaboration avec les institutions qui travaillent déjà sur la question, soit d’un côté le HRC concernant les réfugiés, soit avec l’OIM concernant les migrants même si nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d’onde.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le cadre de votre travail lorsqu’on sait que votre perception du phénomène migratoire diffère de celle des institutions que vous avez citées et même souvent de celle du gouvernement ?
Je dois d’abord dire que nous avons toujours gardé notre autonomie de pensée et notre autonomie financière même si celle-ci est réduite. Cela nous a aidé aussi à conserver notre liberté de parole à laquelle nous avons été fidèle depuis le début. Premièrement, nous pensons fermement que la migration en soi n’est pas un problème. Deuxièmement, que vis-à-vis de la migration, il faut s’interroger. Mais pas à la manière de l’Union européenne, qui,quand elle parle des causes profondes des migrations, s’attarde simplement sur les projets de développement, mais on ne se demande pas pourquoi il y a la pauvreté. C’est une pauvreté qui a été créée au fil des années, il suffit de penser à la destruction de la pêche, par exemple, en Afrique Occidentale, à l’exploitation des ressources naturelles. Or comment peut-onposer des actes de pillage des ressources pour pousser les gens à s’en aller et puis se plaindre après ? C’est une grave contradiction. Troisièmement, nous pensons aussi qu’il y a un droit à la migration. D’ailleurs, moi je viens d’un pays, l’Italie, qui a connu 28 millions de migrants au bout d’un siècle. Que ça soit la France, la Suisse, l’Allemagne, les Etats Unis, l’Argentine, le Brésil, des millions d’Italiens avaient quitté leur pays, bien souvent dans des conditions terribles qui n’ont rien à envier à ce que nous voyons aujourd’hui. Alors,comment est-il possible que soit l’Italie ou l’Europe où nous avons eu 70 millions de migrants, nous ayons pu oublier ce que nous avons nous-mêmes vécu ? Ça, je le dis, c’est une trahison qui est dictée par deux raisons principales. D’abord, il y a cette sorte d’amnésie parce qu’on veut oublier ce qu’on oublie, parce que ça nous rappelle, peut-être, nos souffrances, ça nous rappelle ce que nous avons vécu et d’où nous venons. Deuxièmement, c’est une forme aussi de rendre les migrants comme des otages du système économique mondial. Parce qu’aussi, d’un certain point de vue, on rend les choses difficiles pour mieux exploiter les gens qui arrivent de l’autre côté.En Italie comme en Europe, nous avons les 30% de l’économie qui est une économie submergée. Et si vous allez au Sud de l’Italie, quand c’est le moment de la récolte des tomates, des citrons, des oranges, etc., vous ne voyez que des Noirs. D’où viennent-ils ces gens là ? Ils viennent de cette manière là, par conséquent, il nous faut réviser notre façon de voir les choses, faciliter des chaînes de passage pour permettre une migration circulaire. La région italienne d’où je viens, j’ai observé des Marocains qui venaient travailler un temps et retournaient dans leur pays, puis revenaient. C’est un phénomène que nous même nous avions vécu. Alors, je dirai qu’il faudrait aller dans cette direction. Or, on dépense beaucoup, énormément, pour freiner les migrations au lieu dépenser pour faciliter l’accueil des migrants et ça c’est une aberration.
On parle de migration choisie et de migration clandestine. Quelle est votre lecture de ces concepts ?
C’est une aberration. Parmi les 28 millions d’Italiens qui sont partis aux Etats Unis, au Brésil et ailleurs, la plupart étaient des pauvres gens, c’étaient des paysans qui avaient fui la pauvreté de l’Italie à l’époque pour chercher un futur différent. Ils avaient contribué à l’essor, là où ils étaient, des pays de destination, que ça soit la France, la Suisse, la Belgique, etc. Je pense donc que c’est une aberration et ce n‘est que le fruit de l’égoïsme, parce qu’en disant qu’on veut choisir ceux dont on a besoin, ça c’est une marchandisation de la personne humaine. On pense à nous, mais on ne pense pas à l’autre personne qui a le droit de chercher un futur différent. Bien sûr, tout pays à le droit à la migration, tout pays a aussi le droit de gouverner cette migration pour qu’elle ne devienne pas évidemment un danger, une surcharge. Mais en le faisant, je pense qu’il y a au moins deux éléments que nous devons rappeler : premièrement, le respect des droits humains. On a affaire à des personnes, pas à des choses, à de la marchandise, qu’on peut utiliser, manipuler et jeter. Deuxièmement, il faut, comme je le disais tantôt, que nous révisions notre politique économique, de relation avec l’Afrique. Parce que fondamentalement le nœud se trouve à ce niveau là. Nous avons un système économique qui ne fait que créer des pauvres, parce qu’on exploite au niveau commercial les ressources. Il suffit de regarder, ici, dans notre pays. Le Niger a du pétrole, de l’uranium, de l’or mais les retombées de ces ressources ne bénéficient pas forcément aux Nigériens. Alors, pourquoi se plaindre si d’abord on crée les pauvres et puis on se plaint si ces pauvres, au lieu de mouriren silence, essaient de trouver une solution de survie. Et troisièmement, il y a aussi l’aspect démographique. Or nous avons un continent européen fondamentalement pauvre sur le plan démographique, qui a besoin de main d’œuvre, qui a besoin de personnes qui peuvent faire certains travaux pour relancer l’économie. Il y a une petite partie des jeunes, parce que, ne l’oublions pas, les populations africaines sont constituées d’environ 60% de jeunes de moins de 25 ans. Et ceux qui voyagent, ce sont quelques centaines de milliers d’entre eux. Ce n’est pas cette bataille des chiffres, cet exode biblique d’invasion dont on parle. Disons que tout cela est politiquement motivé justement pour créer cette vision qui criminalise le migrant. Et moi je pense que c’est cela que nous devons dénoncer et surtout vous les journalistes. Même si, bien souvent, vous vous alignez sur l’idéologie dominante, vous devez avoir le courage de dire la vérité. Et la vérité, c’est qu’il y a un droit à la migration, il y a le droit aux personnes à vivre une vie meilleure, et nous devrions faciliter cela pour le respect des droits humains. Je pense que c’est ça le point de départ.
Le Niger est pays de départ mais aussi d’important transit. Quels types de prise en charge apportez-vous à ces flux de migrants ?
Nous avons fait un choix de travailler seulement avec les retournés, c’est-à-dire ave ceux qui ont été, soit expulsés, soit qui n’ont pas pu continuer leur voyage, leur projet migratoire. C’est à ce niveau là que nous intervenons. Parce qu’on n’a pas d’abord la possibilité de toucher tous ces milliers de migrants qui passent, et deuxièmementnous ne voulons pas nous transformer en une agence de voyage. Evidemment, si quelqu’un passe, on donne notre point de vue, on donne le peu qu’on peut donner, mais on ne s’embarque pas dans ça. Parce que nous ne voulons pas devenir coresponsables de ce qui va se passer après. Nous disons aussi aux gens les risques qu’il y a dans ce voyage. Des risques liés aux phénomènes naturels, le désert mais aussi à tout ce monde de corruption qu’il y a au niveau des frontières. A chaque arrêt des convois, on soustrait de l’argent aux migrants, il y a les rackets sans parler des passeurs qui les exploitent à leur manière. Alors, de notre point de vue, on n’inter réagit pas avec ceux qui sont en transit, on ne s’occupe que ceux qui reviennent et qui s’adressent à nous. A ce niveau là, nous avons un centre d’accueil pour l’écoute et pour l’orientation. Nous sommes en contact avec l’OIM (Organisation internationale des migrations), nous savons là où les adresser et dans la mesure du possible, nous offrons une assistance médicale, parce que beaucoup d’entre eux reviennent avec des blessures et il y a des femmes qui sont en grossesse, il y a des paludéens, des blessures intérieures. On essaie aussi parfois de les mettre en contact avec le réseau que nous avons pour le travail et dans certains cas, on participe pour ceux qui veulent retourner chez eux. Dans quelques cas, on l’a fait, mais on est plutôt réticent à faire parce que très peu d’entre eux veulent retourner à la maison les mains vides.Et une autre chose que nous faisons d’intéressant, c’est de ne pas permettre que ce qu’ils ont vécu soit noyé dans la poussière et dans le sable. Et c’est pour cela que personnellement, depuis que je suis là, je raconte des histoires migrantes justement pour éviter que ce qu’ils ont vécu ne soit pas perdu. Je pense qu’ils ont le droit que leurs histoires soient connues, que les violences qu’ils ont endurées soient immortalisées. Les migrants sont un miroir de notre société, parce que c’est une couche vulnérable et la manière dont nous traitons les migrants, qui constituent cette catégorie vulnérable, révèle beaucoup de ce que notre société est en termes de violence, d’économie, d’exclusion sociale. Je pense qu’être présent à ce niveau là et offrir aux migrants au moins un espace de dignité, c’est cela que nous avons voulu faire depuis le début, avec nos petits moyens.