Harouna Coulibaly a des comptes à régler avec le cinéma. A la fiscalité, ce fonctionnaire des impôts, très pieux, a donné le meilleur de lui-même. A la littérature aussi et cela fait beaucoup. La cinquantaine approchant, ayant abandonné la fiscalité pour la caméra, et roulé sa bosse un peu partout, en Afrique de l'ouest, de Niamey à Bamako, en passant par Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Lomé, Cotonou, Fez et Conakry, il se bat contre la caméra, longtemps rebelle à son talent. Quatre films (deux fictions et deux documentaires), le poussent à continuer. Il revient donc fidèle à ce qu'il est : entêté, engagé, modeste, ambitieux et un éternel paria à la fois révolutionnaire, fragile et insaisissable. Riche d'un scénario cette fois-ci à la mesure de sa rage d'en découdre avec une société cruelle et injuste pour les plus faibles ou les plus pauvres, tous ses écrits et films véhiculent des messages de combat contre l'injustice.
Tout le monde sort du lot : Awa (Zabbaou Modiely
Mohamed), la sublime nigérienne, docteur en pharmacie de son état, et qui fait ses premières armes dans le monde du septième art. Autour d'elle, tous les comédiens jouent les scènes avec une telle conviction qu'on de la peine à imaginer que plus de la moitié sont des amateurs. Kitary (Bakary Doucouré du Mali), jeune amoureux éconduit ; Katakoré (Jean Jacques Yem du Cameroun), indécrottable Don Juan et détrousseur de jeunes pucelles naïves ; Habib Dembélé (Guimba) du Mali, le grandiose avocat aux effets de manches et qui joue la scène du jugement plus vraie que nature ; le grandiloquent Magma Gabriel
Konaté dans la toge du président du tribunal ; Aminata Diombana Fofana, la professeur désabusée sur un monde pervertie ou seules triomphent sexe, mensonges et corruptions ; Djouma, la femme de
Katakoré, de la Côte d'Ivoire. Allez, la coupe est pleine, fermez le ban !
Plus de quinze ans ont passé depuis que Harouna Coulibaly a découvert la magie des images et du son. Quinze années de gestation difficile, ponctuées de déboires et de fausses couches, avant qu'il ne parvienne à boucler le budget de Awa, grâce à un concours de la représentation de la Banque Mondiale au Mali et du gouvernement malien qui prenait son patronyme pour un de ses dignes ressortissants – et, à vrai dire, le coup de pouce de l'ancien président, le Pr Alpha Oumar Konaré, décidé à financer le film retenu suite à un concours de scénario.
Ajoutons un mois de tournage, un autre de montage et une longue pénitence propre à alimenter les rumeurs et les élucubrations les plus farfelues. Bref, tout est réuni pour que, dans le désert cinématographique nigérien où les jeunes cinéastes manquent de référence, Awa soit marqué d'une pierre blanche !
Attention, les rideaux se lèvent sur ce monument d'intelligence et de beauté ! Une peinture aigre-douce de la société nigérienne autour des maux de l'école. C'est sa façon à lui de parler avec douceur des choses violentes. Pour donner vie à sa libre vision de justicier social et de panafricaniste convaincu, le cinéaste a réuni une pléiade de comédiens africains à la mesure de ses ambitions pour le Continent noir, et dont certains sont d'illustres inconnus. Et ils ont gagné le pari. Comment fendre le cœur de pierre d'une société qui a délibérément décidé de faire l'autruche, sans choquer, sur des sujets d'actualité et d'acuité comme la scolarisation des filles, le détournement des mineurs, l'avortement clandestin, la corruption en milieu scolaire, la maladie du sida et j'en passe !
Sur le sujet, et à force de trop embrasser, on se dit qu'Awa a toutes les chances de mal étreindre. Par la sobriété des images et le talent des acteurs, le natif de Magaria, à l'est de Zinder – que rien ne prédisposait aux chiffres, encore moins à l'image – tient les spectateurs sous le charme de son récit dans un dosage parfait d'émotions, de passions et d'humanisme sincères.
Reprenons. Pour avoir décroché leur BEPC, Awa, une jeune et jolie fille unique de son père, de surcroît imam de son bled, et son cousin transi d'amour pour elle, vont devoir quitter leur trou perdu abonné aux corvées et aux privations, pour les myriades et les mirages de la ville. Les voilà catapultés sur la toile de ce monstre froid, dont les mailles d'acier broient tous les gogos qui s'y aventurent en quête d'une vie meilleure. Awa, victime de sa beauté et de sa naïveté, a vite fait de l'apprendre à ses dépens. Cela, on le pressent, dès les premières images du film.
Entre traditions, modernité et perversions, Harouna Coulibaly dévide la trame de son histoire sans jamais rompre le fil. On sort de cette épreuve émouvante, le cœur à l'aise. Harouna Coulibaly fait du cinéma et personne n'est volé. Mais Awa n'est qu'une des pièces sur l'échiquier qu'il s'est construit, patiemment, année après année, case après case. Un échiquier à l'échelle continentale.
Il en sort une magistrale leçon de sociologie, débarrassée des afféteries de ceux qui pensent qu'il suffit de courir les festivals pour être consacré cinéaste. On reconnaît le talent, la reconnaissance, la générosité et l'humilité de celui qui ayant tout reçu de la République s'estime en devoir de partager ce qu'il a de mieux.
Tous sont formidables dans ce film où tout le monde, gouvernants, parents, éducateurs, leaders et élèves sont en permanence interpellés.
Awa peut-il faire mouche sur un sujet où tous semblent avoir baissé les bras ? Là est la question. La seule, mais d'importance, qui se pose au terme des trois premiers épisodes de trente minutes chacun, de cette série qui marque une étape importante dans la carrière de Harouna Coulibaly au cinéma. Et dans sa quête de la perfection, de la justice sociale et d'un peu plus d'humanisme tout court. Au fait, à quand la suite qui verra Awa, après moult péripéties, gravir les plus hautes marches de son pays, pour accéder à la magistrature suprême des Etats-Unis d'Afrique ? La question vaut aussi pour tous ceux qui pourraient aider à la concrétisation de ce rêve. Awa, la consécration !
Ibbo Daddy Abdoulaye
Journaliste, communicateur
LE FISC N°003 - JUIN 2016
Revue d'informations de la DGI