Il y a presque cinq ans, Kalla Hankouraou, alors ministre de l’Equipement à l’époque, Ouhoumoudou Mahamadou, ministre des Finances dans le tout premier gouvernement de Mahamadou Issoufou et le député Oumarou Maïnassara, élu sous la bannière du Pnds Tareyya, tombaient sous le coup de l’article 52 de la Constitution. Ils étaient accusés, les deux premiers, pour avoir autorisé, au mépris de la Constitution, l’attribution d’un marché public à un député-entrepreneur, le troisième pour avoir violé l’obligation constitutionnelle de se tenir à carreau par rapport aux marchés publics. Aujourd’hui, une autre affaire scabreuse du même genre empeste l’atmosphère, mettant en cause des personnalités-clés du régime.
Le Cabinet du Premier ministre, à travers le projet de gestion des risques de catastrophes et de développement urbain (PGRC-DU), a lancé, il y a quelques semaines, une série d’appels d’offres internationaux en plusieurs lots. Parmi ces appels d’offres, il y a un marché de fournitures intitulé « Acquisition et fourniture d’engins et camions » au profit du PGRC-DU et de ses partenaires. Le résultat du dépouillement des offres enregistrées a été publié dans le Sahel, quotidien gouvernemental, n° 9197 du lundi 19 septembre 2016. Le marché en question, d’un montant de 1 657 406 793 FCFA TTC, soit un peu moins de deux milliards de nos francs, a été ravi par EGO INTERNATIONAL SA, une entreprise inconnue de la plupart des Nigériens mais qui a une certaine côte dans les milieux du Pnds Tareyya. Située sur la route allant du CCOG au lycée Alhéry, EGO INTERNATIONAL SA est une entreprise spécialisée dans le commerce général, les BTP, l’imprimerie, l’import-export et les hydrocarbures. Un vaste spectre, certes, disparate mais qui permet de ratisser large. Cette entreprise, dont l’offre a été retenue par le comité d’experts appartient en réalité à un certain Ousmane Garba, député élu sous les couleurs du Pnds Tareyya. Les enquêtes menées par Le Courrier dans la plus grande discrétion ont conduit à l’authentification de la boîte postale figurant dans les coordonnées d’EGO INTERNATIONAL SA comme étant les siennes. Si la boîte postale figure bien parmi les coordonnées mentionnées au nom d’EGO INTERNATIONAL, le numéro d’identification fiscale (NIF), ne paraît nulle part. Rien de surprenant. Car, la notification du NIF est une indication qui pourrait permettre de remonter au patron de l’entreprise. Ce NIF qu’on ne saurait connaître est le 955. Il est bien attribué au nom d’EGO INTERNATIONAL appartenant à Ousmane Garba.
L’attribution d’un marché public à un député, soit-il du Pnds Tareyya, est formellement interdite par la Constitution en vigueur
Gagnant de 13 autres concurrents dont les offres ont été rejetées ou jugées non conformes aux spécifications du DAOI, l’entreprise d’Ousmane Garba doit livrer, dans un délai de trois mois, des engins et du matériel d’épuisement au profit de la direction de la Protection civile. Approchés par Le Courrier, certains perdants, au titre desquels figurent des soumissionnaires éliminés pour avoir proposé des camions-citernes de 7000 litres au lieu d’une capacité en volume comprise entre 3500 litres et 5000 litres, disent dénoncer une concurrence déloyale et une rupture d’égalité des citoyens devant la loi, fortement entretenue au sommet de l’Etat. L’attribution d’un marché public à un député, soit-il du Pnds Tareyya, est formellement interdite par la Constitution en vigueur. L’article 52 est sans ambages : « « Durant son mandat, le président de la République ne peut, ni par lui-même, ni par autrui, rien acheter ou prendre en bail qui appartienne au domaine de l’Etat ou de ses démembrements. Il ne peut prendre part, ni par lui-même, ni par autrui, aux marchés publics et privés de l’Etat et de ses démembrements. Les dispositions du présent article s’étendent aux présidents des institutions de la République, au Premier ministre, aux membres du gouvernement et aux députés ». Il est, donc, clair que le Premier ministre, Brigi Rafini, le député Ousmane Garba, propriétaire d’EGO INTERNATIONAL, le ministre signataire du marché au moment des faits — le Niger est depuis deux mois sans ministre des Finances — ainsi que le responsable du projet PGRC-DU doivent être démis de leurs fonctions et poursuivis en justice.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets
La Constitution demeure la loi fondamentale. Elle s’impose à tous et oblige au respect strict de ses dispositions. Proche parmi les proches de Mahamadou Issoufou, Kalla Hankouraou a été une victime de cette rigueur de la loi. Avec Oumouhoudou Mahamadou, un autre obligé de Mahamadou Issoufou, il a bu le calice jusqu’à la lie, ayant été contraint de quitter le gouvernement alors qu’il se trouvait à la tête d’un des postes les plus juteux de l’Etat, pour reprendre le terme cher à Amadou Salifou. À peine assis sur leurs fauteuils confortables, ils ont été débarqués. Le cas Ouhoumoudou- Hankaraou-Maïnassara a été l’objet d’un feuilleton rocambolesque. Mahamadou Issoufou était à l’époque comme un boxeur mis K.O d’entrée de jeu. Il devait se séparer de deux de ses proches ou s’afficher comme un violeur de la Constitution. Il a tergiversé mais a fini par limoger ses deux proches, sans jamais les mettre toutefois à la disposition de la justice. En effet, malgré la pression de l’opinion nationale dénonçant cette violation grave de la Constitution, il a fallu plus d’un mois entier avant que Mahamadou Issoufou se résolve à se plier aux exigences de la Constitution. Depuis lors, il a fait un pied de nez à la loi, faisant de Ouhoumoudou Mahamadou, directeur général de la Banque internationale de l’Afrique (BIA) avant de le ramener auprès de lui en qualité de ministre-directeur de Cabinet. Quant à Kalla Hankouraou, l’idéologue, il a été nommé ministre-conseiller à la Présidence avant d’arborer, à la faveur du coup d’Etat électoral de février-mars 2016, l’écharpe tricolore portée en bandoulière de représentant du peuple. Victime des rigueurs de l’article 52 de la Constitution, Kalla Hankaraou n’est plus aujourd’hui à la barre. Mais il n’en est pas loin, car président du groupe parlementaire du Pnds Tareyya à l’Assemblée nationale, il est un des acteurs qui sont les mieux placés pour rappeler ce qu’ils ont vécu et comment ils ont été contraints à la démission. Brigi Rafini et ses co-responsables dans cette violation grave de l’article 52 de la Constitution vont-ils finir comme les autres ?
Seïni Oumarou et le MNSD Nassara au pied du mur
Le Mnsd Nassara, pourrait-on dire, est déjà pris au piège de ses déclarations de principe. Seïni Oumarou et les siens viennent à peine d’officialiser, de façon tonitruante, la rupture des amarres avec l’aride opposition pour s’aventurer dans la steppe giboyeuse de l’alliance au pouvoir. Et comme le Mnsd dit nourrir l’espoir de voir Mahamadou Issoufou ouvrir une nouvelle page politique du Niger articulée, entre autres souhaits, autour du renforcement de la bonne gouvernance, on peut dire qu’il est face à la première épreuve de son parcours de combattant. L’obstacle est de taille. Il doit, sans trop «déranger» les tenants de cette gouvernance satanique pour ne pas les pousser à une volte-face, toujours dans l’air, exprimer son souhait de voir Mahamadou Issoufou faire force à la loi. N’est-ce un vœu pieux que le Mnsd Nassara s’est contenté de formuler en guise d’attentes de la part de leur nouvel allié ? Malgré les forts soupçons d’une allégeance sans condition à Mahamadou Issoufou, le bénéfice du doute profiterait au Mnsd Nassara. Ce parti est, donc, attendu sur le terrain. On verra bientôt, à la faveur des débats que ce nouvel scandale va susciter, si, malgré l’alliance avec le Pnds Tareyya, si le Mnsd Nassara saura sauvegarder son âme de la damnation des relations «incestueuses». Ses représentants à l’Assemblée seront dès lors suivis avec attention, histoire de déterminer une fois pour toute, si le parti de Seïni Oumarou va sacrifier le respect de la Constitution sur l’autel de l’éternel retour qu’il dit vouloir exorciser.
L’attitude fataliste de l’opposition politique est une licence à tout faire pour Mahamadou Issoufou
Désormais réduite en nombre mais toujours d’aplomb, l’opposition politique a toutefois fait son baptême de feu avec une allure de caméléon. Sa toute première déclaration, fade et dénuée de contenus à la hauteur de la gravité de la situation, n’a pas eu, au sein de l’opinion nationale, pourtant largement favorable à ses partis membres, la ferveur populaire attendue. Trop mous pour certains, laxistes pour d’autres lorsqu’ils ne sont pas carrément de complicité avec le pouvoir en place, bon nombre de responsables de l’opposition politique sont très mal vus des militants qui ne comprennent pas leur inertie. Leaders ou membres de bureaux politiques, ils n’ont, pour la plupart, que le nom et le titre. Aucune interview, aucun point de presse, aucune déclaration individuelle dans un journal ou à la radio, encore moins à la télévision. L’essentiel, c’est de paraître, lors de rendez-vous publics solennels, qui avec de grands boubous amidonnés, qui avec des costumes-cravates, paradant comme des paons en période d’accouplement. Ne leur demandez pas de mouiller le maillot, ils vous détesteront. Et ce n’est pas fortuit si Mohamed Bazoum a clairement indiqué que les gens, dans l’opposition, manquent de c… pour faire l’opposition comme ils la faisaient, eux. Incapable d’initiatives de communication, même dans les scandales les plus inacceptables pour le Niger, l’opposition a gardé un mutisme trop bruyant au point où les Nigériens s’interrogent sur tous ces bons messieurs qui peuplent les partis de l’opposition mais qui attendent toujours de savoir si UN TEL n’a pas parlé. Il y a eu le scandale d’Africard LTD qui a fait saisir l’avion présidentiel et des fonds d’une extrême importance pour le Niger puisqu’ils devaient servir, entre autres, à la reconstruction de la route Tahoua-Arlit et à la mise en valeur de l’Irhazer et de l’Aïr, l’opposition a joué aux abonnés absents. Il y a eu le scandale du complexe scolaire BEDIR, acheté, entre autres, par Mariama El Hadj Ibrahim, un ancien membre du gouvernement, l’opposition, une fois encore, a gardé le silence. De grandes personnalités de l’Etat, dont la présidente de la Cour constitutionnelle et la première dame, Malika Issoufou Mahamadou, ont été citées dans des fraudes au concours d’entrée à la Fonction publique au titre du ministère de la Santé, silence radio du côté de l’opposition politique. Bref, comme à ses habitudes, l’opposition politique va probablement garder le silence face à cette énième affaire. Une parfaite licence à tout faire pour Mahamadou Issoufou qui peut se permettre de vendre le Niger si tel est son désir.