Un différend lié à une cargaison de drogue dérobée pourrait être à l’origine de l’enlèvement de l’Américain Jeffery Woodke vendredi soir dans le Nord du Niger.
Pourquoi lui ? Les habitants d’Abalak, bourgade de plus de 30.000 habitants en grande majorité Touaregs, se posent la question. Installé depuis plus de vingt ans à Abalak, "Jeff" y est connu comme le loup blanc. L’Américain porte un turban, parle Tamasheq (langue Touareg) et vit comme les locaux. C’est surtout son travail au sein de l’association Jeunesse en Mission entraide et développement (JEMED) qui l’a rendu populaire.
Aussi, lorsque vendredi 14 octobre, vers 21 heures, des hommes armés font irruption à son domicile, le gardien n’imagine pas avoir à faire à des preneurs d’otages. La maison de Jeffery Woodke n’a rien d'un Resort pour expatriés équipée de video-surveillance. Au contraire.
Motif crapuleux derrière une action terroriste
"On veut l’Américain!", lancent les ravisseurs qui viennent de forcer la porte. "Tu ne rentres pas comme ça chez les gens, répond le gardien furieux, si tu veux parler avec Jeff, je lui dis de venir, mais tu attends devant la porte!"
Le ton monte d’un cran suit une empoignade. Un membre de la Garde nationale nigérienne intervient. Trois coups de feu retentissent. Le gardien de la maison, Almajoub Alkassoum et le militaire Mahamoud Youssoufsont abattus. Après l'avoir pourchassé dans la maison du voisin, les ravisseurs emmènent l’Américain à bord de leur 4*4 Toyota double cabine et filent vers le Mali.
Ils traversent plusieurs campements où, nous dit un représentant local, on les aurait entendu parler Tamasheq avec un accent arabe. Ce kidnapping n’a cependant pas été revendiqué.
"Dans les affaires sahéliennes, il y a toujours un motif crapuleux derrière une action dite terroriste", explique l’ancien diplomate Laurent Bigotauteur d'une récente tribune dans Le Monde dénonçant les accointances entre le régime de Niamey et des trafiquants.
Mais pourquoi enlever "l’ami des Touaregs" ? L'interrogation fait bouillir les réseaux sociaux et les discussions dans les Fadas de Niamey. Il y est souvent question d’un député proche de la majorité, qui serait impliqué dans un trafic de Cocaïne.
L’histoire rocambolesque est la suivante: il y a quelques mois, un camion frigorifique se fait braquer à Amataltal en plein désert. Il vient du Mali et transporte des poulets surgelés. Mais pas seulement. Les braqueurs savent que sous la cargaison, se trouve un coffre-fort, dont ils connaissent le code. Ils l’ouvrent et dérobent une énorme quantité de cocaïne. A Niamey, le responsable du trafic est sous le choc.
Selon les informations qui circulent dans le Niger, il s’agirait donc d’un élu d’un parti politique affilié à la majorité présidentielle.
Le député file à Bamako avec un proche, où il tente de négocier avec ses partenaires. Ces derniers ne veulent rien entendre et exigent le versement intégral du montant de la cargaison. Ils gardent en garantie l’ami du député. Ce dernier retourne à Niamey tout seul, dépité, à la recherche d’un magot.
Il aurait alors pu, selon des rumeurs, utiliser ses réseaux pour envoyer des petites mains enlever un citoyen américain, dans l’idée de le revendre à l’un des groupes djihadistes qui sévissent dans le Nord Mali.
Le business juteux de l’enlèvement n’est pourtant plus vraiment à la mode au Niger. Le dernier en date remonte à 2011 a échoué lamentablement. Il concernait deux Français étaient enlevés dans un restaurant de Niamey. Personne au Niger ne s’était jusque, vendredi dernier, aventuré à capturer un citoyen américain.
Les Américains semblent pouvoir compter sur l’aide de la communauté touareg, furieuse d’avoir perdu un ami. Mais l'enquête serait ralentie par des réticences venant d'en haut.
Lundi 17 octobre, on apprend qu'à l’entrée d’Abalak, les Touaregs aurait arrêté un Pick-up Toyota ressemblant à celui utilisé par les ravisseurs de Jeff. Ils le fouillent et trouvent des armes. L’information remonte à Niamey, mais les instructions tardent à venir.
L’affaire est d’autant plus délicate si elle implique un député lié à la majorité, ou pire, un réseau nébuleux de relations inavouées entre gros bonnets du trafic de drogue et des éléments du régime. Le même type de réseaux dénoncé par l'ancien diplomate Laurent Bigot, qui mentionne dans son article le nom de Cherif Ould-Abidine.
Les Américains en savent long sur le chapitre. En juillet 2015, en visite à Niamey, le Vice-secrétaire d’Etat américain Tony Blinken avait mis en garde le président Issoufou contre ses amitiés sulfureuse. Il avait alors été question de Cherif Ould-Abidine, trafiquant notoire et membre éminent du parti de la majorité, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS).
Les Nigériens lui auraient répondu ne pas détenir de preuves suffisantes concernant le caractère illégal du business florissant de cet entrepreneur.
Huit mois plus tard, Cherif Ould-Abidine est mort d’un arrêt cardiaque à Agadez, la veille d’un meeting électoral qu’il devait lui-même animer en présence du président Issoufou.
Après cette disparition, des proches auraient repris ses activités. Ils exerceraient leur toute puissance dans la région de Tassara. A 35 kilomètres de là, se trouve le camp de réfugiés de Tazalit, qui a été victime le 6 octobre 2016 d'un assaut meurtrier ayant causé la mort de 22 militaires nigériens.
Alors, le ministre de la Défense Hassoumi Massaoudou a accusé des narcotrafiquants d'être à l'origine de cet acte barbare.