Dakar, La "cascade" de retraits de pays africains de la Cour pénale internationale (CPI) redoutée par les autres Etats membres semblait se concrétiser mercredi, avec l’annonce du départ de la Gambie, après le Burundi et l’Afrique du Sud.
La Gambie a annoncé cette décision par la voix de son ministre de l’Information, Sheriff Bojang, dans une déclaration télévisée dans la nuit de mardi à mercredi, accusant la CPI de "persécution envers les Africains, en particulier leurs dirigeants", en écho aux critiques régulièrement entendues sur le continent.
Malgré son discours souvent vindicatif envers l’Occident et les organisations internationales qui l’accusent de violations des droits de
l’Homme, un retrait de la Gambie apparaissait jusqu’alors improbable, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, de nationalité gambienne, ayant été ministre de la Justice du président Yahya Jammeh.
Les organisations de défense des droits de l’Homme Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) ont déploré "un coup pour les victimes".
"Cette annonce est un coup pour des millions de victimes", en particulier après celles de l’Afrique du Sud et du Burundi, a écrit dans un communiqué Netsanet Belay, un responsable d’Amnesty pour l’Afrique.
Il a réfuté les affirmations du ministre gambien selon lesquelles la Cour persécuterait "les personnes de couleur", estimant qu’au contraire, "la CPI représente le seul recours judiciaire pour les crimes subis par beaucoup d’Africains".
Pour Babatunde Olugboji, de HRW, la décision de "la Gambie, compte tenu de son mépris des droits de l’Homme, n’est peut-être pas surprenante, mais risque d’être une lourde perte pour les victimes".
La Gambie est le premier pays d’Afrique de l’Ouest à exprimer l’intention de quitter la CPI, dont les détracteurs se situent surtout dans l’est et le sud du continent, comme le Kenya, l’Ouganda, ou la Namibie.
"Au moins 30 pays occidentaux ont commis des crimes de guerre" depuis la création de la CPI en 2002, sans qu’aucun de leurs ressortissants soit inquiété, a affirmé M. Bojang.
Ce retrait a été décidé après que la Gambie a tenté en vain d’amener la CPI à poursuivre les pays européens pour la mort de nombreux migrants africains en Méditerranée, a indiqué le ministre.
- ’Job difficile’ -
Dans une interview accordée en mai à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le président gambien avait pourtant défendu l’action de Mme Bensouda: "Son job est difficile et, contrairement à ce que j’entends, la CPI ne vise pas spécialement l’Afrique".
"Les leaders africains râlent aujourd’hui. Mais pourquoi ont-ils signé (le statut de Rome créant la CPI) en sachant qu’ils pouvaient en être victimes ?", avait souligné M. Jammeh. "Que ceux qui veulent quitter la CPI s’en aillent, mais si les pays africains étaient moins faibles et plus unis, nous pourrions peser au sein de la Cour".
Le candidat du principal parti d’opposition gambien à la présidentielle du 1er décembre, Adama Barrow, a qualifié ce revirement de "ridicule", l’attribuant à la crainte du pouvoir de perdre cette élection.
"Ils savent que les gens vont voter contre eux", a déclaré M. Barrow à l’AFP. "C’est pourquoi ils font tout pour se protéger".
La semaine dernière, le Burundi a promulgué une loi prévoyant son retrait de la CPI et l’Afrique du Sud a annoncé son départ, à la suite de la polémique causée par son refus en 2015 d’arrêter le président soudanais Omar el-Béchir, poursuivi pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Réagissant à ces décisions, le président de l’Assemblée des Etats parties au statut de Rome, Sidiki Kaba, a dit craindre que "ce troublant signal n’ouvre la voie à une cascade de retraits d’États africains", dont 34 sur 54 ont ratifié ce Statut.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, et M. Kaba ont appelé lundi les pays qui critiquent le fonctionnement de la CPI à résoudre leurs différends par le dialogue avec les autres membres, plutôt que de s’en retirer.
M. Kaba, par ailleurs ministre sénégalais de la Justice, a également rappelé que si neuf enquêtes de la CPI sur dix concernaient des pays
africains, c’était à la demande de ces Etats, en tant que juridiction d’"ultime recours".
La Gambie, petit Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest, est dirigée d’une main de fer depuis 1994 par Yahya Jammeh, candidat à un cinquième mandat.