Le décor est surréaliste. On se croirait quelque part à « maza da jika» ou aux encablures de Tarna. Loin des banlieues, vous êtes ici au cœur de la capitale économique du Niger. Précisément à l’ex jardin public, rasé en 2014 et d’où devrait émerger un centre d’affaires pompeux d’une valeur estimée à 1 200 millions de francs CFA. Trois ans après le début des travaux, le décor est resté figé. Même « Maradi Kolliya » dans sa frénésie transformatrice, est passé à côté et n’a rien pu faire.
Une histoire controversée…
C’est parce qu’en effet, il s’est passé beaucoup de chose autour de ce projet né dans la controverse la plus totale. Au départ, un lieu public, quasiment le seul dont disposait la ville de Maradi. Outre le bar, il abritait plusieurs restaurants, et d’autres espaces aménagés que des groupes organisés comme celui des joueurs de pétanque pouvaient investir pour s’adonner à leur sport favori. La chose fonctionnait comme ça, jusqu’à l’arrivée d’un jeune maire, la tête pleine de projets, les uns plus extravagants que les autres. L’un des projets auquel il tenait fermement, c’était justement la construction d’un centre d’affaires à Maradi. Ce qui était louable en son temps.
Mais il fallait trouver un espace pour abriter l’infrastructure. Chose difficile à l’époque, car tous les espaces publics ont déjà morcelés et vendus. Très vite, le jeune maire, Kassoum Moctar, car c’est de lui qu’il s’agit, jeta son dévolu sur le jardin public, situé juste en face de la mairie. Mais comment faire pour déguerpir les gens qui y travaillent et tout le « business » qui y gravite. La solution était vite trouvée. Une campagne aux relents islamistes est montée contre les tenanciers, accusés de promouvoir la débauche dans une ville musulmane. L’affaire était allée plusieurs fois en justice, et plusieurs fois la justice avait débouté le jeune maire. Mais celui-ci passa outre et ordonna le déguerpissement de l’endroit pour raison d’utilité publique …
Mais au moment de commencer les travaux, une autre difficulté s’invita dans l’imbroglio. En réalité le jardin public de Maradi, tout comme l’espace sur lequel est construit la BCEAO, appartiendraient à la Mission catholique de Maradi. Celle-ci aurait porté plainte et d’après certaines sources, l’affaire était devenue une affaire d’Etat entre le Niger et le Vatican. Les mêmes sources précisent que c’est ce contentieux Niger-Vatican qui serait la principale cause du gel de la construction du centre d’affaires de Maradi. Mais quand vint le moment des vérifications, la Mission Catholique n’avait pu produire la moindre preuve de propriété…
… Des noms circulent
Le plus grave et le plus scandaleux dans cette affaire, c’est que les conseillers de la ville n’avaient aucune connaissance de ses contours. Personne parmi eux, jusqu’à une date récente, ne connaissait le montant exact du contrat. Comme tous les nigériens, c’est à la télé qu’ils ont appris le montant, alors que sous cape, on leur parlait de 600 à 700 millions. Ils ne connaissent ni les nom et prénoms de l’entrepreneur, ni même la dénomination exacte de son entreprise. Il a fallu les insistances de quelques conseillers de l’opposition d’alors (Moussa Mourindi dit Kountché du MODEN/FA et Haladou Iro Murphy du MNSD), pour que, à la dernière session ordinaire 2016, le conseil de ville s’en saisisse et tente de remettre le dossier en selle, après des années de souffrance. Aussi, c’est à cette occasion que les maradawas apprirent que 376 millions avaient déjà été empochés par l’entrepreneur.
Experts comptables dans leur vie de tous les jours, les habitants de Maradi ont vite fait de comparer la somme avancée et les travaux réalisés, pour découvrir l’étendue de la spoliation dont ils sont les victimes. Selon un spécialiste en bâtiment contacté par nos soins, les travaux réalisés ne dépassent guère les 20 millions. Pourtant l’entrepreneur aurait mis la main sur exactement 376 145 031 francs, sur les fonds propres de la mairie. Des voies s’élèvent aujourd’hui pour demander à la Justice (HALCIA ou n’importe quel Procureur) de faire toute la lumière autour de cette affaire et que les responsables de ce scandale rendent à la ville de Maradi ce qui lui appartient. En attendant, les maradawas tiennent pour présumés responsables trois personnes, abondamment citées dans leurs réquisitoires. Il s’agit de :
– Moutari Issa Moussa DG Entreprise M.I.M. basée à Niamey, bénéficiaire du marché de construction du centre d’Affaire de Maradi. Pour avoir pris leur argent, sachant qu’il n’allait rien faire de bon. La quantité du travail réalisé et la manière dont il a disparu sans laisser de trace (Il n’ya même pas de panneau d’installation de chantier sur place), indique clairement que monsieur Moutari Issa Moussa fait partie de la caste d’entrepreneurs peu scrupuleux, prêts à spolier toute une communauté. A la question de savoir pourquoi cet « entrepreneur indélicat » n’est pas encore trainé devant la Justice, dans l’entourage de Kassoum Moctar, tout comme dans celui de l’actuel maire, la réponse est toute faite. L’intéressé, disent-ils tous sans ambages, est un « proche » du Président Issoufou Mahamadou et donc, pas question d’importuner le Président pour une si mince affaire.
– Kassoum Moctar, Président du Conseil de ville de Maradi au moment des faits, actuel ministre de la Jeunesse et des Sports. Pour avoir monté un projet boiteux et controversé qui coute aujourd’hui 376 millions aux caisses de la ville, mais également qui l’a privé de son seul lieu de loisir à l’époque. Les maradawas lui reprochent particulièrement d’avoir octroyé un si gros marché, sur fonds propres, à un entrepreneur qui ne figurent nulle part sur les registres de la mairie, alors qu’il y’a dans la ville des entrepreneurs qui ont 100 fois les capacités financières et techniques de l’entreprise MIM. Aujourd’hui, à l’heure où la mairie est incapable de payer régulièrement les salaires, celle-ci pleure ses millions disparus et devant elle, comme pour lui rappeler ses travers, se dressent des ruines, symboles de toutes les gabegies faites en son sein.
– Ayouba Moussa, actuel maire de Maradi, successeur de Kassoum Moctar. Pour n’avoir rien fait, ni pour récupérer l’argent de la Mairie, ni même pour contribuer à éclaircir le problème. Celui-ci en effet dès son installation, n’a montré aucun empressement pour parachever les chantiers engagés par son prédécesseur. Les maradawas lui reprochent de n’avoir rien tenté pour relancer le projet lors de Maradi Kolliya, alors que la conjoncture était favorable. A l’époque d’ailleurs, un opérateur économique, en l’occurrence Adamou Hassane Dan Koini (AHK), avait proposé de finir le chantier pour sauver l’honneur de la ville, mais cette option n’a pas été retenue.
Frustrations et interrogations sans réponses
Il reste que tout n’est pas connu dans cette affaire. Les enquêteurs qui suivent le dossier se posent encore des questions, dont la principale : Pourquoi le chantier est toujours à l’arrêt plus de 2 ans après son démarrage ? Est-ce lié au fait que le terrain appartienne à l’église catholique et que son expropriation avait débouché sur un incident diplomatique entre le Niger et le Vatican ? Les partisans de cette lecture des choses soutiennent que l’Eglise aurait mis son véto pour la reprise des travaux à condition que le terrain soit destiné à un usage social. Mais cette thèse ne tient nullement debout, car la BCEAO, la banque des banques, est située exactement sur le même terrain appartenant à l’église catholique.
Est-ce alors un détournement déguisé comme on en rencontre assez fréquemment dans les administrations publiques de notre pays? Y’a-t-il eu corruption dans l’attribution du marché ? Tous les observateurs sont catégoriques là-dessus. Sinon disent-ils, les travaux se seraient poursuivis où que l’argent avancé aurait été recouvré. Y a-t-il connivence entre les trois personnages au centre du Dossier ? A charge, ils retiennent que le Maire actuel Ayouba Moussa ne se grouille pas pour faire éclater la vérité, et mieux encore, les trois protagonistes de l’affaire sont tous dans les bonnes grâces du régime. Kassoum Moctar deux fois ministre dans le même gouvernement ; Moutari Issa Moussa bénéficiaire d’un autre juteux contrat pendant Agadez Sokni, a été décoré Officier de l’Ordre National de « Mérite » par le Président Issoufou le 18 décembre dernier à Agadez ; Quant Ayouba Moussa, il est toujours le Maire Central de Maradi.
Pour l’heure, les maradawas digèrent leur frustration. Cela s’en ressent dans toutes les conversations autour du dossier. Ils sont frustrés à chaque fois qu’ils passent devant ce qui reste de leur ex jardin public. Ils le sont davantage quand ils voient les principaux incriminés se pavaner avec les honneurs de la République. Ils enragent contre la HALCIA et la JUSTICE, pourtant témoins de premier plan de leur infortune.
Aux dernières nouvelles, la Mairie de Maradi aurait constitué un « dossier solide » et compte porter plainte devant les tribunaux.