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Agadez : un hub migratoire sous les feux de la rampe
Publié le jeudi 2 fevrier 2017   |  medianiger.info


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© Autre presse par DR
Une vue de la ville d`Agadez au Niger


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Agadez, vieille cité du nord du Niger, fondée au XIe siècle, hier carrefour des routes transsahariennes, est toujours un point de convergence. Mais ce qui fait courir vers Agadez n’est plus. Sur les routes du commerce de jadis afflue désormais une nouvelle «marchandise» et la ville s’illustre aujourd’hui, de par le monde, comme un hub migratoire vers l’Europe. Le point de départ de mille malheurs.



En 2011, Agadez comptait 124324habitants. Au cours de ces dernières années, avec les migrants qui y transitent et alimentent une économie souterraine, sa population a quadruplé. Responsable du bureau de l’Organisation internationale des migrations (Oim) de la ville, Maurice Miango peine pour donner un chiffre exact, mais déroule des statistiques ahurissantes. Chaque lundi, affirme-t-il, quelque cent Pickups Hilux, appelés ici «Talibans», contenant chacun vingt à vingt-cinq migrants, quittent Agadez pour la Libye. Des centaines d’autres partent d’Arlit, ville minière située à 240km au nord-est, vers l’Algérie.



Hommes, femmes et mineurs accompagnés ou non, ils viennent d’Afrique de l’ouest, d’Afrique centrale et des rives du Golfe de Guinée. Ils peuvent avoir 18 à 35 ans ou être quinquagénaires. La plupart ont une perception valorisante de leur entreprise. Partis en «aventure», ils ont une claire conscience des risques inhérents à leur voyage. Mais ils croient tous en leur chance. Périr comme des milliers d’autres dans le désert ou en mer, être tués ou emprisonnés par des réseaux criminels, voire être refoulés vers le pays d’origine, tous les risques sont ouverts. Mais c’est une perspective qu’on refoule vite. Plus rien ne les arrête, quand le manque d’opportunités de travail et d’affirmation sociale, ainsi que de perspectives d’avenir a fermé toutes les portes derrière soi. Quelques migrants évoquent aussi la fuite devant les risques de persécution ou de violence politique au pays.



Il n’y a guère, la majorité d’entre eux était analphabète, parfois sans qualification professionnelle. Aujourd’hui ils sont nombreux à disposer d’un bon niveau d’instruction. Un Gambien rencontré à Agadez est nanti d’un doctorat en Biologie. Il tente de partir en Europe pour se spécialiser dans son domaine. Ce Libérien, diplômé en Management des entreprises, a été refoulé de Libye. Tous sont partis du fait d’un avenir bouché.



Il est difficile d’avoir des chiffres fiables sur le flux migratoires transitant par Agadez. L’Oim et ses agents de collecte d’informations sur l’axe Assamaka (vers la frontière algérienne)-Séguédine (vers la frontière libyenne), qui font le décompte des véhicules transportant des migrants et recueillent des informations sur la nationalité de ces derniers, ne fournit que des tendances. Pour 2016, l’organisation estime à 300 000 le nombre des personnes sorties du Niger par ces deux axes pour se rendre en Libye ou en Algérie.



Sur les routes d’Algérie, on rencontre surtout des femmes accompagnées d’enfants. Ces derniers sont souvent utilisés comme mendiants dans les wilayas, alors que leurs accompagnants, parents ou non, finissent souvent comme domestiques ou se lancent dans la prostitution. Mais l’émigration vers l’Algérie est devenue une impasse. Le chemin ne s’ouvre plus sur l’Europe et les migrants reviennent presque toujours au point de départ, lestés de quelques économies qu’ils injectent dans la construction d’une maison, le mariage de sa fille, le remboursement des dettes, l’élevage ou dans une exploitation agricole familiale.



En fin décembre2013, un drame a assommé le monde, avec la découverte de 92 femmes et enfants dans le désert, morts de soif à une dizaine de kilomètres de la frontière algérienne, après une panne du camion qui les transportait. Les gouvernements nigérien et algérien ont alors signé un accord de rapatriement. Depuis décembre 2014, sous l’égide de l’Oim, quarante quatre convois ont ainsi débarqué quelque16000rapatriés, parmi lesquels 5000 mineurs. Mais ces opérations de refoulement sont loin d’arrêter la migration. Comme une vague sans fin, les mêmes expulsés reviennent quelques mois après sur leurs traces, jouant au chat et à la souris avec la police algérienne.La chasse aux passeurs est ouverte







La municipalité d’Agadez ne dispose d’aucune statistique sur la gestion des flux migratoires. Cela s’est confirmé le 27 octobre 2016, à l’occasion d’une table ronde sur l’apport de la migration à l’économie locale, avec la participation de différents acteurs de la migration (passeurs, propriétaires des ghettos, transporteurs, forces de sécurités, Oim, Eucap Sahel...). La réunion était destinée à identifier des pistes de «solutions» à l’immigration «irrégulière».A cette occasion, les transporteurs, propriétaires de ghettos et passeurs se sont plaints des mesures répressives prises à leur encontre.



Bachir, un jeune passeur nigérien qui pratique depuis une dizaine d’années cette activité, explique qu’auparavant lui et ses collègues travaillaient dans la légalité, en collaboration avec la police. Ils avaient une feuille de route et le départ s’organisait tous les dimanches, avec un convoi militaire jusqu’à Dirkou. «Aujourd’hui nous ne comprenons pas pourquoi on fait la chasse aux passeurs. La plupart des candidats à la migration sont pourtant des ressortissants des pays de la Cedeao. N’ont-ils pas le droit de circuler au Niger ?», s’interroge t-il avec dépit. Dissuadé par la répression féroce, Bachir a suspendu son activité qui lui rapportait «entre 2 et 5 millions de francs Cfa par semaine». Aujourd’hui il ne sait quoi faire, lui qui finançait même une équipe de football de deuxième division dans sa commune. Il espère que l’Etat et ses partenaires trouveront une alternative à leur situation.



Agdel A., un autre passeur, objecte. Pour lui, «les 18 millions de francs Cfa proposés par la table ronde pour les transporteurs et passeurs qui abandonneraient leur activité sont dérisoires. Un passeur peut gagner cette somme en deux semaines ! Allons-nous abandonner la proie pour l’ombre ? ». Agdel est formel: il continue son activité de passeur et de propriétaire de ghetto.



Après de longues heures de causerie, la confiance installée. Il a accepté qu’on visite un de ses ghettos. Le rendez vous est pris quelque part dans une rue sombre d’Agadez. A bord d’une moto, on se faufile durant de longues minutes dans des ruelles tortueuses. Quand il gare l’engin, on est devant une bâtisse avec un grand portail derrière lequel il disparaît. L’attente dure un moment, quand il ressort et fait signe d’entrer. La cour est vaste. Une voiture pickup chargée de migrants est prête à partir. Plusieurs jeunes, en majorité des Sénégalais et des Gambiens s’affairent autour du véhicule. Sous un hangar, une trentaine d’autres jeunes sont affalés sur des nattes ou tripotent leurs téléphones. Non loin de là, dans une bâtisse, assis en tailleur sur un tapis d’orient, le maître des lieux.



K.D. est un passeur gambien. Ancien migrant il a échoué en Libye sur sa route vers l’Europe. C’est lui qui loue le ghetto d’Agdil. L’homme semble occupé. Le téléphone collé à l’oreille, il organise à distance, dans un français approximatif, l’arrivée d’un groupe de migrants abandonnés par leur chauffeur à une vingtaine de kilomètres de la ville. Ce soir là, K.D. n’est pas bavard. Il prétexte des maux de tête et reporte le rendez vous au lendemain, dans un lieu discret. Mais l’entretien sera bref. Le passeur a peur des «murs qui ont des oreilles».Quand on lui demande si la migration n’est pas qu’un gros business, il sursaute et laisse entendre qu’il est là pour «aider ces jeunes qui veulent partir ailleurs pour bien vivre». Il prétend même être «ruiné par les secours» qu’il apporte à ceux qui viennent ici «sans argent et dont les familles n’ont pas les capacités de rembourser».



Pour K.D, le gouvernement nigérien doit faire la part des choses dans sa lutte contre les passeurs. Selon lui il y a les méchants et les escrocs qui prennent l’argent des migrants et qui les abandonnent en chemin. Il y a aussi les bons passeurs comme lui, qui transportent des jeunes en quête de bien-être jusqu’à destination. Un peu évasif, il confie que ce métier ne saurait trop durer pour lui.«Je vais retourner dans mon pays pour me convertir à autre chose», lâche-t-il. En attendant, K.D prépare le transport de sa «marchandise» (des migrants ), enfermée à double tour quelque part dans un quartier d’Agadez.



Désormais, les transporteurs contournent les barrières policières pour se frayer un chemin dans le désert, vers la Libye. Le tarif Agadez-Sebha, première ville de l’autre côté de la frontière, est de 150 000 francs Cfa. Pour atteindre Tripoli, c’est plus cher : entre 200 000 et 250 000 francs. Les chauffeurs, qui ont une grande connaissance de ces itinéraires quittent Agadez entre 20h et 21 h, à bord des Toyota pickup Hilux. Roulant à tombeau ouvert toute la nuit, ils s’arrêtent près de 200 kilomètres après Agadez. Là les attend un passeur qui devrait acheminer la «marchandise» jusqu’à Sebha, la principale ville du sud libyen. Le voyage jusqu’à Sebha dure trois jours. Pour aller à Tripoli c’est quatre jours. Le passage dans les villes de Séguédine, Dao Timi et Madama au Niger se fait sous le nez des forces de sécurité, moyennant un bakchich de 10000 francs Cfa par migrant, confie Agdil, l’homme orchestre.







L’enfer du Far West libyen



La Libye, point de passage de certains migrants subsahariens, est devenue une plaque tournante des réseaux de passeurs. Tous les témoignages concordent sur la violence dont sont victimes ces jeunes. S’ils ne sont pas employés au noir, ils sont traqués par la police, dépouillés de leurs biens ou enfermés pendant de longs mois avant d’être refoulés. Les migrantes, elles, sont exploitées. Dans la plupart des cas elles tombent dans des réseaux de prostitution qui les appâtent en leur miroitant des emplois bien rémunérés. Sebha, Tripoli et Misrata sont les pires lieux où on rapporte des violations des droits humains.



Au centre d’accueil de l’Oim à Agadez, les rescapés de «l’enfer libyen» qui attendent leur rapatriement dans leurs pays d’origine, témoignent de l’horreur. En cette fin de mois d’octobre 2016, ils sont cinquante-huit, dont deux femmes et un enfant. A part un Camerounais, tous sont originaires des pays de la Cedeao. Les Sénégalais sont les plus nombreux.



Tidjane B.., un Sénégalais de 35 ans rapporte : «J’exerçais dans mon pays comme chauffeur. Il y a un an, j’ai quitté pour aller en Libye. Arrivé là bas, j’ai travaillé dans le bâtiment. Mon patron me maltraitait. Il me bastonnait et ne me payait que 10 dinars (environ 4 000 F Cfa) par jour. J’en ai eu marre de subir un tel traitement. C’est pourquoi j’ai décidé de rentrer.»



Alpha B., un autre Sénégalais de 34 ans, travaillait depuis juin 2013 dans le bâtiment à Tripoli. Il gagnait 30 dinars par jour, soit 12 500 francs Cfa. Mais chaque fois qu’il rentrait à son domicile, il était dépouillé de son argent par des bandes armées qui ne braquent que les Africains à peau noire. Malgré tout il a fait quelques économies et se préparait à regagner son pays quand la police l’a arrêté. Il passera quatre mois en prison, subissant des violences physiques de «toutes sortes».Sur la route du retour, des hommes armés ont attaqué leur véhicule. Avec un couteau ils lui ont coupé les doigts. Dans un souffle, il soupire :«Par la grâce d’Allah, je suis à Agadez. J’ai appelé hier mon épouse au Sénégal. Elle pleurait au téléphone. Je n’ai rien, mais je vais retourner chez moi....».



M. Ndiaye, 23 ans, originaire de Dakar, lui, ne peut rejoindre sa famille de sitôt. Sur le chemin du retour, fuyant l’enfer libyen, il a reçu une balle dans la jambe après l’attaque de leur véhicule par des bandits armés. Il suit des soins intensifs à l’infirmerie du Centre d’accueil de l’Oim.



Bemba M. est Ivoirienne, natif du quartier d’Adjamé à Abidjan. Elle a passé plus de deux ans en Libye, où elle vivait avec son mari, un ouvrier dans le bâtiment, et leur enfant de six ans. Cela fait un mois qu’elle n’a aucune nouvelle de son époux. Raflée par la police, elle a passé deux mois en prison avec son enfant, avant d’être refoulés.



I.Diallo, un Guinéen de 27ans, a renoncé lui à partir pour la Libye. Non pas que les témoignages des rescapés le dissuadent, mais parce qu’il a été dépouillé de tout son argent. Trois cent mille francs Cfa dont il déclare que la police des frontières du Burkina Faso et du Niger l’ont délestés. Remonté contre la Cedeao et son protocole, il agite son passeport en criant : «A quoi sert ce document ? A quoi sert le Protocole sur la libre circulation des personnes » Sans un rond, il a été accueilli dans le centre de l’Oim avant son rapatriement. Diplômé d’une école islamique, il projetait de partir au Maroc pour poursuivre ses études. Il ne renonce pas pour autant à ce projet migratoire. Comme nombre de jeunes candidats à la migration, il l’a juste différé. Ni le durcissement de la répression ni les tentatives de fermeture des routes entre le Niger et la Libye ne semblent les décourager.



Ils sont encore nombreux à quitter Agadez avec toujours cette rime qui exprime leur résilience à partir : «Mieux vaut mourir dans la mer qu’à côté de sa mère, dans la misère».



Albert Chaibou

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