De passage à Abidjan, dans le cadre d’une activité organisée par la Banque Africaine de développement (BAD), l’écrivain, journaliste nigérien, Seidik Abba, spécialiste des questions africaines et chroniqueur sur plusieurs chaînes de télévision Française a accordé une interview à Fratmat.info. Dans cette première partie de l’entretien, il parle de ses rapports difficiles avec les autorités compétentes de son pays.
Quelle est votre réaction après votre désignation comme meilleur journaliste de la diaspora 2016 en France ?
Cette distinction de meilleur journaliste de la diaspora en France pour l’année 2016, je l’accueille comme un encouragement à poursuivre dans la pratique professionnelle qui a toujours été la mienne jusqu’ici, celle de privilégier la rigueur professionnelle, l’objectivité et la recherche toujours de la bonne information dans les règles qui ont été celles qui nous ont toujours été enseignées. Je ne prends pas ce prix comme une consécration, mais je le prends comme un encouragement à poursuivre dans le chemin qui a toujours été le mien. Je considère surtout que ce prix comme le résultat d’un travail collectif. Je parle de ceux qui m’ont formé quand j’étais jeune journaliste au Niger. Je pense notamment à Ibrahim Cheick Diop, le fondateur de Aské, le journal indépendant qui m’a ouvert ses portes. Je pense aussi à Morisseni, le fondateur de l’hebdomadaire, le Démocrate qui m’a fait confiance comme rédacteur en chef jusqu’à mon départ du Niger pour la France. Je pense aussi à tous mes confrères nigériens avec lesquels j’ai travaillés. Ainsi que les confrères avec lesquels j’ai travaillés par la suite sur le plan panafricain et ceux rencontrés à l’occasion des différents reportages et couvertures de manifestations internationales. Je considère que leur apport a été d’une grande utilité dans la trajectoire professionnelle qui est la mienne.
En l’espace de 10 ans vous êtes passés dans plusieurs journaux en France. Qu’est ce qui fait courir Seidik Abba ?
J’ai toujours observé les mêmes règles, telles que je les ai reçues à Aské où j’ai commencé le métier. Aujourd’hui, je suis chroniqueur à lemondeafrique.fr, un journal en ligne rattaché au groupe Le Monde, après être passé à Panapress, Jeune Afrique et Mondafrique. Et je remarque avec beaucoup d’humilité que pour la plupart des organes là où j’ai toujours été sollicité. Je n’ai pas fait acte de candidature. Pour aller à Jeune Afrique, je n’ai pas fait acte de candidature. Il en est de même pour Mondafrique et lemondafrique.fr. A chaque fois, les gens ont estimé que ma modeste personne pouvait apporter quelque chose. A savoir, une valeur ajoutée éditoriale, une sorte de renouvellement de leur offre éditoriale, à part Panapress où j’ai été incité à faire acte de candidature. Pour le reste, toutes les publications et sites d’informations dans lesquels je suis passé, j’ai été sollicité et travailler avec la même rigueur et je constate que ceux qui m’ont sollicité n’ont pas été déçus.
Qu’est-ce qu’il en est avec France 24 et TV5 ?
J’ai aussi des collaborations ponctuelles avec des médias français qui me sollicitent comme analyste. Par exemple avec France 24 et TV5 où je vais souvent pour analyser l’actualité africaine. Je constate avec beaucoup de satisfaction et d’humilité que je suis régulièrement sollicité par ces chaînes de télévisions parce qu’elles estiment que mes analyses apportent un éclairage à leurs téléspectateurs, auditeurs et internautes.
Beaucoup de rumeurs circulent sur votre départ de la rédaction en chef de Jeune Afrique. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
C’est une question sur laquelle, j’ai appris à ne plus m’étendre, à ne plus y revenir. Ce que je peux dire c’est qu’il y a eu une incompréhension. Et à un moment, la direction de Jeune Afrique et moi-même, nous avons décidé de nous séparer à l’amiable. Nous avons gardé des relations cordiales avec Marwane Ben Yahmed, le directeur de publication pour lequel j’ai une grande estime et avec François Soudan. Mais après mon départ, j’ai constaté avec regret que certains proches des autorités du Niger, mon pays se sont réjouis. Ces personnes étaient persuadées que c’était fini pour moi. A leur grand regret, sans doute mon chemin a continué. Ma carrière a continué. J’ai acquis une notoriété beaucoup plus importante même plus qu’au temps où j’étais à Jeune Afrique.
Donc ce ne sont pas les autorités nigériennes qui ont orchestrée votre départ ?
Je peux avoir des présomptions puisque je pars du fait que les gens se soient réjouis. Il y a effectivement des présomptions qui peuvent amener à considérer qu’il y ait une main invisible derrière mon départ de Jeune Afrique. Mais moi, je n’ai pas l’habitude d’avancer des choses que je ne peux étayer. En l’occurrence je ne peux pas prouver la responsabilité du gouvernement du Niger. Mais je sais que dans certains milieux du régime actuel à Niamey, je ne suis pas du tout apprécié pour des raisons que j’ignore. A la limite même si on pouvait empêcher mon épanouissement professionnel, on l’aurait fait. Des tentatives ont été faites mais elles n’ont pas aboutis. Et ce que je suggère à ces gens-là c’est d’abandonner puisque qu’ils ne peuvent pas arriver. Ils vont perdre leur temps, à gaspiller leur énergie à vouloir me nuire mais mon chemin est tracé et ma trajectoire sera ascendante tant que je continuerai à faire le travail avec toute la rigueur qu’il faut.
A partir de quel moment vous avez commencé à voir un différend avec le gouvernement du Niger ?
A partir de la publication de mon livre ‘’ Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011)’’ sorti en 2013. Cela a été visiblement un tournant dans mon différend avec le gouvernement du Niger. Jusqu’en 2012, les choses allaient bien. Je connais beaucoup de responsables du gouvernement actuel. Nous avons des relations personnelles. Mais à partir de la publication du livre en 2013, beaucoup de relations se sont détériorées. Un communiqué de presse lu sur la chaîne publique de la télévision du Niger a indiqué que j’étais à l’origine des articles qui sont sortis dans la lettre du Continent qui mettaient à mal la gestion au Niger.
N’est-ce pas parce que vous n’avez rien fait pour soutenir votre Pays. Alors que vous étiez le Rédacteur en chef de JA, l’un des journaux les plus lus en Afrique ?
J’ai constaté avec beaucoup de regret d’ailleurs que beaucoup de gens au Niger se soient réjouis que je sois arrivé à Jeune Afrique sauf qu’officiellement personne ne s’était réjouie. Donc à partir de 2013, je crois qu’il y a eu cette difficulté, ce tournant dans mes relations que j’ai essayé d’apaiser, j’ai essayé par plusieurs canaux. Je ne suis pas contre le régime. J’ai essayé de passer le message. Mais j’ai constaté avec regret qu’il y avait une persistance à vouloir empêcher mon épanouissement professionnelle. Quoiqu’on dise puisque je suis nigérien. Aujourd’hui, les gens qui se réjouissent de ce prix, disent le journaliste nigérien. Donc c’est dans l’intérêt du Niger pour avoir l’image du Niger aussi que un de ses citoyens arrivent à ce stade. A priori je ne vois pas quelle est la raison fondamentale pour laquelle le gouvernement du Niger peut s’acharner sur moi. Je suis un citoyen du Niger. Mon pays peut même profiter de ma position professionnelle pour sa notoriété, pour son image, etc.
Certains de vos détracteurs n’hésitent pas à vous accuser de manœuvrer pour votre frère aîné qui a été ministre au Niger durant la transition après le coup d’Etat contre le Président Mamadou Tandja en 2010 ?
Non, cela n’a rien avoir avec mon frère qui a été ministre pendant la transition et a eu un moment donné des soucis parce que la transition militaire s’est cassée en deux. Il y a eu l’aile de la famille Djibo qui a gardé les reines pouvoir et l’aile du Colonel-major Abdoulaye Badjé considéré comme proche de lui, a été évincé du gouvernement. Mais à l’époque je n’avais aucun problème avec le régime. Et mon frère sait que quiconque que mon appréciation des choses. Je ne considère ni l’ethnie, ni la religion, ni la fraternité. J’ai critiqué le gouvernement dans lequel mon frère était. Donc, c’est un des arguments avancés comme ça pour justifier le combat qui est mené contre moi. Il a même été prétendu que j’étais un proche de Hama Amadou (opposant nigérien) qu’il me finançait pour nuire le gouvernement. Ce dernier qui a été mis en prison. Alors qu’au moment où Hama Amadou était l’allié du gouvernement actuel, c’est-à-dire avant la rupture qui date de décembre 2013, moi j’étais déjà combattu par le gouvernement. Donc prétendre que moi, être un proche de Amah, est un prétexte pour justifier tout l’acharnement parce qu’il faut parler d’acharnement.
Vous faites allusion à quoi ?
Le Niger a mis à contribution des alliés en Europe pour essayer de me nuire. Quel que soit les moyens colossaux, techniques qu’on peut engager, on ne peut pas transformer un mensonge en vérité. On ne peut pas empêcher l’épanouissement d’un journaliste en France, parce qu’il y a des règles en Europe. On ne peut pas m’empêcher d’avoir la carte de presse française si je remplis les conditions. C’est une commission indépendante qui octroie la carte de presse. Je trouve qu’aujourd’hui notre pays a beaucoup d’autres défis que de s’acharner sur un journaliste.
A un moment donné vous n’avez pas hésité à accuser les services secrets Français de vous espionner pour le compte du Niger !
Oui, je ne retire absolument rien dans ce que j’ai dit. Je soutien qu’il il y a eu une surveillance humaine et technique. En principe, une personne fait l’objet d’une surveillance pour la sécurité du pays qui l’accueille, pour la sécurité du pays dont il est originaire. Mais la surveillance manifestement avait pour but d’empêcher mon épanouissement professionnel. Cette surveillance humaine et technique, Je l’avais déjà dénoncée publiquement à plusieurs reprises. Les personnes qui étaient mises en cause n’ont jamais contesté, ni porté plainte. Et si je le dis, il y a des faits objectifs sur lesquels je me base pour le dire.
N’est-il pas un peu prétentieux de penser que le Niger, un ‘’petit pays africain’’ puisse demander à la grande France de surveiller un simple journaliste ?
Si vous lisez l’excellent ouvrage de notre confrère Christophe Bouabouvier, « Hollande l’Africain », vous verrez ce qu’on appelle les petits arrangements entre amis et vous savez aussi que le Niger est un pays producteur d’uranium. Donc, il y a beaucoup d’enjeux. Moi je ne fais pas de lien. Mais le Président Mahamadou Issoufou et son régime ont beaucoup d’entrées en France. La seule chose qu’il est important de souligner c’est que moi je suis d’abord correspondant de presse. Et quand le ministère des affaires étrangères en France doit vous donner une carte de presse. Votre dossier est d’abord transféré par le ministère des Affaires étrangères au ministère de l’Intérieur. Le ministère de l’intérieur mène une enquête sur votre passé, sur votre présent pour savoir si vous êtes en règle vis-à-vis de la loi. Donc à l’issue de cette enquête le ministère de l’intérieur va donner l’autorisation au ministère des Affaires étrangères de délivrer la carte de Presse.
Selon des indiscrétions vous êtes interdit de séjour au Niger. Est-ce une réalité ?
On ne peut pas dire que je suis interdit de séjour au Niger. On peut être dire que je ne suis pas le bienvenu. C’est différent. L’opportunité d’aller au Niger ne sait pas présentée. Mais je compte y aller bientôt. Parce qu’au départ je n’ai aucune interdiction. C’est-à-dire que je n’ai pas commis d’infraction à la loi nigérienne. Je ne suis pas recherché par une juridiction ou par la police judiciaire. Mais je sais que certaines personnes proches du système ne sont pas contentes de ce que j’ai écrit récemment. Pendant que je suis ici à Abidjan (NDLR : Courant janvier ) , il y a un article très critique sur le régime du Niger paru dans un journal occidental. J’ai reçu un coup de fil d’une des personnes mises en cause et qui m’accuse d’avoir été l’auteur de cet article. Alors que moi je ne savais pas l’existence de cet article. Tous les articles sur le Niger et qui critiquent le régime, les gens pensent qu’ils sont l’œuvre de Seidik Abba. Il y a 50 mille journalistes en France. Je n’ai aucun pouvoir pour influencer ce qu’ils écrivent. A la veille des élections présidentielles, j’avais été invité à RFI et j’ai dit que le Président Issoufou avait un bon bilan sur certains aspects et des insuffisances sur certains autres. Et j’ai été pris à partie par certains membres de l’opposition à l’époque.
Quelle est aujourd’hui votre position si le Président veut vous nommer ministre ?
Non je n’irai pas. Je n’accepterai pas d’être ministre dans le gouvernement actuel. Parce que d’abord je pense que c’est un boulevard pour échouer. Il y a 43 ministres. Je ne peux pas travailler avec 43 collègues. C’est plus qu’une assemblée générale. Et dans la posture qui est la mienne, je ne vois pas ce qu’un poste de ministre peut m’apporter. J’aurai accepté de devenir ministre dans un gouvernement, si j’étais sure de réussir et d’apporter quelque chose à mon pays. Maintenant je ne peux pas accepter de m’associer à l’échec. Donc, je ne peux pas accepter de devenir ministre.
Sur les réseaux sociaux, Seidik Abba fait la fierté de nombreux Africains. Mais pourquoi les autorités nigériennes ne peuvent-ils pas tirer profit de cette situation ?
Je crois qu’il y a une incompréhension dans la conception même du journalisme. Les gens pensent que, puisque j’ai une notoriété et que j’ai accès aux médias internationaux je dois faire la promotion de leur gouvernance. Moi je ne suis pas dans cette dynamique. Je ne peux pas le faire parce que je ne serai pas crédible professionnellement. Je ne peux pas le faire non plus parce ce que je pourrai être cité en exemple auprès de mes jeunes journalistes que j’ai encadrés. J’ai toujours enseigné une certaine rigueur, une certaine objectivité, une certaine honnêteté. Moi je ne me vois pas aujourd’hui en train de dire qu’un pays qui a 43 ministres est quelque chose qui ne parait pas critiquable. Je ne peux pas le faire, je ne peux pas non plus dire que c’est tout à fait normal que le Président du Niger achète un avion dans le contexte actuel de difficultés que le pays traverse. Que le régime soit d’accord ou qu’il ne soit pas d’accord, je continuerai à faire mon travail comme je dois le faire mais j’ai toujours précisé que je ne suis pas l’ennemi du Niger. Je ne suis pas son adversaire du Niger, ni contre le régime parce en place. J’ai une dette envers ce pays qui a investi dans ma formation, même si par la suite j’ai fait un parcours individuel. J’ai une dette morale envers le régime du Niger. Simplement on est opposé sur la conception du journalisme. Ce que un journaliste doit faire ou ne doit pas faire.
Comment voyez-vous le futur du Niger ?
Nous sommes 17 millions aujourd’hui. Nous serons 40 millions en 2040 ou 2050. Nous devons réfléchir à relever ce défi. Le défi de la sécurité avec la situation à Boko Haram, la situation au Nord avec l’Etat islamique en Lybie et avec Acqmi. Nous devons relever tout ça et nous devons penser aussi au défi de la mécanisation de l’agriculture. Le Niger ne se nourrit pas encore. Donc il faut réfléchir à tout ça. Ce sont les urgences de notre pays. Et si moi je peux apporter une contribution modeste soit-elle, je n’hésiterai pas. Mais Il faut que les conditions pour que j’apporte ma contribution soient réunies. Je n’ai pas d’ambition politique. Mais si je peux aider mon pays je n’hésiterai pas. Et il y a un domaine dans lequel je peux contribuer aujourd’hui, c’est celui de la professionnalisation de la presse nigérienne. Je suis auteur d’un ouvrage publié en 2009 aux éditions l’Harmattan dans lequel j’ai fait un état des lieux de la presse au Niger. Je propose des solutions. Je pense que j’ai un devoir celui d’accompagner les jeunes. Si jamais l’occasion m’est donnée je continuerai dans cette visée.