Aux avant-postes du lac Tchad, porte d’entrée de Boko Haram au Niger, la ville de Bosso voit revenir ses habitants, qui avaient dû fuir les attaques de la secte. Bosso est un thermomètre de la crise de Boko Haram au Niger. Aujourd’hui, le mercure ne monte pas trop haut. Un soldat tchadien réclame de poser pour une photo. Les enfants sortent de l’école en piaillant avec leurs sacs bleus Unicef. Des paysans courbés ramassent le poivron dans les champs alentours, l’or rouge de la région. Assise en tailleur, Ya Walou Moustapha est hilare : «On est très à l’aise, bien protégés par nos forces armées. On se distrait très bien.» La vendeuse couve ses légumes et condiments : «Regarde tout ce que j’ai, on trouve tout !» Le ballet des camions chargés de poisson du lac n’a pas repris, l’électricité est toujours coupée, mais Bosso souffle un peu. A quelques centaines de mètres du Nigeria, à l’extrême sud-est du Niger, la ville de 6 000 habitants est le dernier avant-poste sur les rives du lac Tchad, à cheval sur quatre pays, et investi par des combattants de Boko Haram.
Réfugiés et soldats nigérians en déroute avaient déjà afflué depuis l’autre côté de la frontière, quand, le 6 février 2015, Bosso est attaqué. Pour la première fois, Boko Haram déborde violemment au Niger. Les troupes nigériennes et tchadiennes repoussent l’assaut. Des centaines de combattants islamistes sont tués. Il faut les enterrer dans des fosses communes. Bosso est déserté, puis les habitants reviennent.
«Immunisés»
Trois mois plus tard, les autorités prennent une mesure radicale : évacuer les populations vivant sur le lac Tchad. Objectif : empêcher Boko Haram de mener des actions de guérilla, éviter les complicités et faciliter les opérations militaires. Le lac se vide de ses habitants. Il devient zone interdite. Depuis, Bosso a pour seul cordon ombilical la piste sablonneuse qui part vers l’Ouest, franchit une plaine blanche parsemée d’épineux, pour rejoindre le goudron et atteindre Diffa. Il faut près de trois heures de route et une multitude d’autorisations pour passer les check-points.
Pourtant, un an et demi plus tard, le 3 juin, ça recommence. Boko Haram entre dans la ville. Le secrétaire général de la préfecture, Lamine Ousmane, s’en souvient bien. C’était un vendredi - «ils pensent que c’est leur jour sacré» - et «les hostilités ont commencé» à l’heure de quitter le travail. Le fonctionnaire se cache, écoute les mouvements dans la nuit et les cris «Allah Akbar». Au petit matin, il entrouvre la porte : «La situation était gâtée.» Comme le reste de la population, il déserte la ville. Les fuyards parcourent 25 kilomètres dans le sable pour parvenir à Toumour. «A un certain niveau, on est comme immunisés. On n’avait pas d’autre choix que de s’en remettre à Dieu», dit-il dans son bureau criblé d’impacts de balles «anciens», contrairement à ceux du bâtiment d’à côté.
Le bilan officiel est de 26 soldats tués, ainsi qu’un civil. Ce jour-là, «on a eu la chance que la faction qui est venue, celle de Mamman Nur, ne soit pas la plus farouche, se félicite-t-il presque. Ils s’attaquent aux forces de défense, rarement aux populations civiles.»
Depuis, les deux tiers de la population sont revenus, estime Ya Walou Moustapha, la vendeuse de légumes. Elle refuse de parler de cet événement qu’elle s’applique à essayer d’«oublier». Tout juste soupire-t-elle : «Ils ont volé mes réserves.» A côté, Aboubacar el-Hadji Tam s’est fait piller, comme «toutes les grandes boutiques de la ville». «Ils sont organisés : certains attaquent, d’autres prennent les vivres ou transportent des objets susceptibles d’être intéressants pour eux, explique le secrétaire général de la préfecture. Ils manquent cruellement de nourriture.»
Le centre de santé a aussi été saccagé. Dans la cour, allongé sur une natte à l’ombre d’un grand arbre, Moukaila Hassan, médecin chef adjoint du district prend sa pause en écoutant la radio. La journée est calme. Ici, il rencontre beaucoup de «cas de stress post-traumatique». Comme cette femme enceinte de sept mois qui ce matin encore est venue pour des «tremblements et des palpitations inexpliqués», alors que l’examen clinique ne révèle «rien de particulier». «Les gens ont été terrifiés et ils sont très perturbés» , observe le médecin.
«Il ne manque pas d’enfants avec des traumatismes», abonde Boukar Koulouma Bintumi, inspecteur d’enseignement primaire, devant le groupement d’écoles couvertes de bâches Unicef. Des troubles qui se manifestent «par la timidité, le renfermement sur soi ou la peur». Des signaux que les enseignants ont appris à identifier et interpréter pour ensuite rechercher «quel choc l’enfant a subi et trouver une solution».