Enrôlés ou attirés par le groupe jihadiste, ils ont déserté, protégés par une amnistie. Dans un camp de transit au Niger, ces hommes confient regrets et peur des représailles. Une trentaine d’hommes sont accroupis dans une cour de la ville de Diffa, dans le sud-est du Niger. Ils ressemblent à n’importe quels jeunes des environs. Calmes, disciplinés, rien ne laisse deviner qu’ils sont des «repentis» de Boko Haram. Ils viennent de se rendre pour profiter d’un programme d’amnistie. Certains d’entre eux sont là depuis quelques jours, d’autres quelques semaines.
La simple évocation des combattants islamistes fait trembler dans cette région frontalière du Nigeria. Plus de 200 000 réfugiés nigérians, retournés nigériens ou déplacés internes se massent dans la zone, essentiellement sur des sites spontanés, le long de la route nationale goudronnée. Ils ont fui les pillages, les meurtres, les viols et les enlèvements. Un refuge précaire. Le conflit né au Nigeria a débordé au Niger en 2015 et les insurgés, bien qu’affaiblis, rôdent encore. Dans la cour inondée de lumière, les jeunes hommes ont les yeux levés en direction du gouverneur venu leur rendre visite. Ils déclinent leurs doléances. Avant tout, ils voudraient pouvoir sortir en ville. Le gouverneur leur répond calmement : «Si je vous laisse sortir, vous pouvez être sûrs que les gens vont vous lyncher. C’est nous qui vous protégeons.
Beaucoup de choses se sont passées et ils ne vous ont pas oubliés. Il faut leur demander qu’ils vous pardonnent et acceptent votre réintégration.» Parmi les repentis, il y a C., pas très grand, yeux vides, jogging noir. A l’écart, il parle d’une voix dénuée d’émotions. Il n’a que 26 ans, mais ce Nigérien affirme qu’il avait 50 hommes sous son commandement. Pendant deux ans, ce combattant a écumé le nord-est du Nigeria, s’attaquant aux localités de «Monguno, Talata N’gam, Baga…» La ville de Baga, qui était un marché aux poissons animé, a été le théâtre de l’une des pires attaques des insurgés - des centaines de civils ont été massacrés, des femmes et des enfants enlevés. Les images satellites des ruines de la ville, diffusées par Amnesty International, ont fait le tour du monde. Ça ne trouble pas C. : «Celui qui va en guerre, c’est pour conquérir et rester.»
«Oui, j’ai tué beaucoup de gens à la guerre.» Il le dit sans affect et ajoute qu’il «regrette d’avoir tué des innocents inutilement. Tu ne fais que tuer tes parents, ton frère, tes amis. C’est entre nous, toujours, qu’on fait cette guerre. Ça ne sert à rien. Alors, je me suis rendu aux autorités.»
Une balle dans le bras
Le programme d’amnistie a été lancé en décembre (lire ci-contre). Les insurgés sont affaiblis, selon les autorités. Des jeunes de la région de Diffa ont été attirés au sein de la secte. Les autorités cherchent à les faire revenir. Ils sont 80 à avoir déjà choisi de profiter de cette «main tendue». Trois maisons ont été louées. Ils y dorment sur des matelas collés les uns aux autres en attendant d’être transférés vers un «camp de réinsertion», à 200 kilomètres de là. Les lieux sont ultrasécurisés : double étage de barbelés, projecteurs et gardes armés - les autorités redoutent une vengeance de Boko Haram. Pour parvenir jusqu’à Diffa, C. est entré en contact avec un intermédiaire travaillant pour les autorités qui aident ceux qui le souhaitent à quitter la secte. Au téléphone, l’homme lui a demandé s’il voulait se rendre. C. a dit oui. L’intermédiaire lui a expliqué la procédure à suivre : s’éclipser discrètement du groupe, franchir la rivière qui marque la frontière avec le Nigeria, ne pas porter d’arme en entrant dans un village et se rendre à l’autorité locale.
Une fuite dangereuse : Boko Haram exécute ceux qui tentent de faire défection. «Je me suis caché, j’ai échangé des tirs, mais j’ai pu traverser la rivière.» Un fuyard s’en est tiré avec une balle dans le bras. Deux autres repentis n’ont pas eu cette chance, selon une source sécuritaire. C. ne dit rien des convictions profondes qui auraient pu le pousser à rejoindre Boko Haram. Il donne juste deux raisons : «Par ignorance et parce que je n’avais pas de travail. Quand quelqu’un est ignorant, il ne peut pas vraiment comprendre ce qu’on lui dit. Ils profitent de la religion pour embobiner les gens.» Pour le travail, «un ami m’a convaincu de les rejoindre pour gagner de l’argent avec eux». C. a commencé à être payé quand il est devenu «soldat». «Ce n’était pas un salaire. On était payés quand on partait en guerre, on gagnait au retour entre 70 000 et 150 000 nairas», entre 200 et 450 euros selon le butin amassé pendant les pillages.