Discrète, la faction dissidente de Boko Haram dirigée par Abou Mosab Al Barnaoui depuis bientôt un an n'en est pas moins active, misant sur le soutien des populations locales en étendant son emprise de façon moins brutale que son rival Abubakar Shekau au sein du groupe islamiste nigérian.
En août 2016, la désignation par l'organisation Etat islamique (EI) du jeune Barnaoui, 23 ans - et fils du fondateur de Boko Haram Mohamed Yusuf - à la tête de Boko Haram en remplacement d'Abubakar Shekau a fait éclater au grand jour les divergences profondes au sein du groupe.
Ses combattants, selon plusieurs experts, opèrent principalement sur les rives du lac Tchad et le long de la frontière avec le Niger, dans une vaste zone sous embargo militaire à laquelle journalistes et ONG n'ont quasiment aucun accès.
Si Shekau rejette ce changement de leadership et continue à faire parler de lui dans des vidéos de propagande, la faction Barnaoui communique rarement sur ses opérations, généralement relayées par les médias de l'EI, auquel Boko Haram a prêté allégeance en 2015.
De rares témoignages d'habitants recueillis par l'AFP affirment que les exactions de masse ont cessé dans les régions désormais contrôlées par Barnaoui et Mamman Nur, son bras droit plus expérimenté, souvent considéré comme le véritable chef.
A l'époque, les combattants "attaquaient nos communautés, tuaient les habitants, volaient nos vaches, prenaient nos femmes et nos enfants et brûlaient nos maisons", raconte Jabbi Sambo, un Peul de Shuwaram, sur le lac Tchad.
En novembre dernier, "Mamman Nur est venu en personne" s'adresser aux villageois, affirme-t-il. Le chef rebelle leur a assuré qu'ils "étaient libres de se déplacer sans entrave tant qu'ils ne coopéraient pas avec les soldats qui combattent son groupe".
Originaire de Baga, Balaraba Abdullahi, a passé trois ans de captivité aux mains de Boko Haram, et elle assure que les exécutions et les amputations censées punir l'adultère ou le vol ont pris fin avec Barnaoui.
- Cibler les 'croisés' -
La branche dissidente "fait plutôt profil bas et cherche à s'appuyer sur les communautés locales", remarque Yan St-Pierre, consultant en contre-terrorisme pour MOSECON (Modern Security Consulting Group).
"Elle tisse patiemment des réseaux tout autour du lac Tchad pour s'implanter sur le long terme, un peu comme l'a fait Daesh en Irak et en Syrie", poursuit le spécialiste.
Les militants continuent aussi à "harceler les forces de sécurité locales pour gagner progressivement en terrain opérationnel et en capacités (en leur volant plus d'armes)", analyse Omar Mahmood, chercheur à l'Institute for Security Studies (ISS).
L'idée, selon le chercheur, est de créer un "refuge sûr et durable", après avoir été chassé d'une grande partie du territoire lors des contre-offensives menées par les armées de la région depuis 2015.
La cruauté envers les civils, notamment les attentats-suicides utilisant des femmes et des enfants contre les mosquées et les marchés étaient l'un des principaux reproches adressés à Shekau, outre ses dérives autoritaires.
La faction Barnaoui a au contraire affirmé dès le départ vouloir se concentrer sur les "croisés chrétiens" en Afrique, notamment les organisations internationales présentes dans le nord-est dévasté par l'insurrection islamiste qui a fait plus de 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés depuis 2009.
- Financements locaux -
Plusieurs raids sanglants attribués à Barnoui semblent toutefois indiquer que ces combattants n'épargnent pas les civils soupçonnés de déloyauté, musulmans compris.
Le 25 mars, trois hommes accusés de fournir des informations à l'armée nigériane ont été égorgés dans le village de Kalari, tandis qu'un quatrième a été amputé du pied gauche et de la main droite, selon des sources sécuritaires nigérianes.
"Ils montrent un visage plus humain uniquement quand cela correspond à leur agenda. S'ils doivent tuer pour atteindre leurs objectifs, ils seront aussi mauvais que Shekau, voire pire", estime Abubakar Gamandi, responsable du syndicat des pêcheurs de l'État du Borno.
En outre, le camp Barnaoui "tue lentement par la faim en pillant les provisions alimentaires des gens", assène-t-il.
Selon lui, les insurgés ont abattu 100 bêtes appartenant à un éleveur peul "comme punition pour avoir vendu des troupeaux à des +infidèles+", et fouetté un pêcheur qui voulait vendre ses prises dans son village plutôt que de les amener au QG du groupe.
Ces attaques visant à se réapprovisionner pourraient indiquer que les sources de financement du mouvement restent avant tout locales, malgré son affiliation à l'EI dont le soutien paraît très distant.
"Daesh se trouve en grande difficulté en Irak et en Syrie et a bien d'autres préoccupations que la situation dans le lac Tchad...", relève Marc-Antoine Pérouse de Montclos, de l'Institut français de géopolitique.
"Rien n'indique que Boko Haram a bénéficié de financements de Daesh, et encore moins de combattants étrangers envoyés dans le nord-est du Nigeria", affirme le chercheur. "Le seul lien concret établi avec Daesh, c'est qu'ils ont facilité la communication de Boko Haram en lui donnant un relais mondial".