Retour à Diffa (4/5). Le long de la rivière Komadougou Yobé, limite naturelle avec le Nigeria, l’armée patrouille pour repousser les incursions de la secte islamiste nigériane.
Le long convoi, ouvert par un véhicule de l’avant blindé (VAB, blindé léger), quitte la route nationale numéro 1 (RN1) à hauteur d’un camp spontané de réfugiés à 35 km de Diffa, région est du Niger, épicentre des activités du mouvement extrémiste nigérian Boko Haram. Il descend à petite allure vers une voie sablonneuse menant sur les berges de la Komadougou Yobé, le cours d’eau qui fait la frontière entre le Niger et le Nigeria.
Lire aussi : Retour à Diffa
Soudain, toute la puissance de feu de l’armada (VAB, automitrailleuses, lance-roquettes) regarde vers un même endroit. Sur la ligne de front de la guerre contre Boko Haram, on aperçoit un gros buisson et de grands arbres. Là, à 600 mètres à peine, sont retranchés des éléments de la secte islamiste, à portée d’arme. Mais pas question pour les soldats des Forces armées nigériennes (FAN) d’ouvrir le feu pour les « neutraliser » : ils sont en territoire nigérian et les règles d’engagement sont strictes.
Chez les militaires, on ne badine pas avec les consignes. Alors que le rendez-vous avait été pris ce jour-là à 10 heures, Salifou Abdoulaye Douka, jeune lieutenant de 30 ans, se présente à nous avec vingt minutes d’avance : « Bonjour, si vous êtes prêts, on peut y aller. » Même ainsi formulée, l’invitation est un ordre. Toutes affaires cessantes, on embarque dans un 4 x 4. Direction le centre de commandement des opérations de la guerre contre Boko Haram dirigé par le colonel Amadou Djibo, sous la supervision du commandant de la zone militaire de Diffa, le colonel major Namata Oumarou.
Dernier briefing
Le colonel Djibo, dont la silhouette sahélienne flotte légèrement dans son treillis, reçoit aimablement et autorise la patrouille à se mettre en route. Derrière l’état-major, dans la cour de cette immense caserne, des militaires sont briefés une dernière fois par Souleymane Rhissa, jeune lieutenant de 29 ans qui dirige ce matin cette opération de traque des partisans d’Abubakar Shekau, sur les berges de la Komadougou.
Sur ses ordres, les hommes de rang, avec casques, gilets pare-balles et armes chargées, retournent dans les deux VAB et les 4 x 4 engagés dans l’opération. Le convoi s’élance sur la RN1 à une vitesse raisonnable. Sur le chemin, on croise des éléments de la garde nationale de retour d’une longue campagne.
Lire aussi : A Toumour, dans le sud-est du Niger, comment soigner sous la menace de Boko Haram ?
Arrivé à 35 km environ de Diffa, l’impressionnant convoi s’arrête à la hauteur d’un camp de réfugiés. Le commandant de la patrouille descend de voiture tandis que les deux blindés légers et des automitrailleuses prennent en tenaille l’endroit, d’est en ouest, du nord au sud.
A cette halte, la patrouille partie de Diffa fait jonction avec une unité de la gendarmerie nationale, l’une des trois forces, avec l’armée et la garde nationale, engagées dans la lutte contre Boko Haram depuis que le mouvement a commis en février 2015 sa première attaque en territoire nigérien.
Petit aparté entre Rhissa et lieutenant de gendarmerie Salifou Inoussa, 40 ans, pour convenir de la suite de l’opération de traque qui associera désormais militaires et gendarmes.
« Le village Assaga où nous nous trouvons est une zone de patrouille qui relève de la gendarmerie. Il était donc normal qu’on s’arrête ici pour coordonner la poursuite de l’opération », explique cet officier nigérien qui avait déjà participé dans le nord du Niger à la traque des terroristes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans le cadre de l’opération « Mali Bero ».
Lire aussi : Au Niger, ces vies humaines brisées par Boko Haram
A partir d’Assaga, le convoi n’avancera plus en file indienne. Des automitrailleuses tracent leur route dans le sable. La tension est palpable. Dans cette partie semi-désertique du Niger, la visibilité ne dépasse pas ce jour-là 800 mètres à cause de la poussière soulevée par le vent. Le lieutenant Rhissa ne quitte pas une minute son talkie-walkie afin de rester constamment en contact avec les hommes engagés dans l’opération.
Champs de poivron abandonnés
Sur le chemin des berges de la Komadougou, on croise des jeunes qui, nullement impressionnés par l’armada, nous saluent. La patrouille croise également des adultes, des bergers, sans s’arrêter. Aucun contrôle d’identité n’est opéré jusqu’ici. « Ce n’est pas le but de la mission, répond le lieutenant Rhissa. Nous sommes dans une opération de sécurisation et de présence qui vise à dissuader l’ennemi et à le neutraliser au besoin. »
Après environ une heure et demie de route, on approche du premier village sur la Komadougou, que l’on reconnaît à ses champs de poivron abandonnés. Tout le monde descend, sauf les chauffeurs.
Lire aussi : Niger : « La victoire sur Boko Haram ne sera pas que militaire »
Coups d’œil à droite, à gauche, doigt sur la cachette, les militaires avancent en demi-cercle avec les chefs et les reporters au milieu. On entre dans le village de Kayawa par le versant sud-est, le côté le plus dangereux puisqu’il donne directement sur les berges, lieu de prédilection des éléments de Boko Haram. Le lieutenant Rhissa connaît visiblement la personne qui vient à notre rencontre et nous conduit chez le chef du village. Les salutations sont chaleureuses. « Rien de particulier à signaler. La nuit a été calme ici », affirme le notable avec une satisfaction débordante.
Les deux lieutenants, qui n’en demandaient pas plus, décident que le convoi doit poursuivre sa route. On met le cap vers Madou Kouri, un autre village sur la Komadougou, à 2 km.
Là encore, la patrouille pédestre prend le relais des véhicules, qui suivent les hommes. Un attroupement se forme devant la maison du chef du village qui en sort pour venir à notre rencontre. Il évoque, après les salutations d’usage, la présence de sept éléments présumés de Boko Haram dans le village de Douanga, de l’autre côté de la frontière. La population redoute qu’ils viennent agir les prochaines nuits. Le renseignement semble sérieux. Le lieutenant Rhissa note consciencieusement. Il sera exploité soit par l’armée nigérienne, soit dans le cadre de la Force mixte multinationale (FMM) dont l’état-major du secteur 4 est censé s’installer à Diffa. Pour l’instant, la force conjointe au Cameroun, au Niger, au Nigeria et au Tchad n’existe que sur le papier.
Virées nocturnes
Le convoi reprend pour se retrouver à la sortie nord du village. « Oscar 1, Oscar 2, revenez », intime le lieutenant Rhissa sur son talkie-walkie. On voit arriver aussitôt des véhicules qui semblaient s’être détachés de nous. Nouvel aparté des lieutenants Rhissa et Inoussa. Les gendarmes repartent sur leur position initiale alors que notre groupe reprend la direction de la RN1. Ce jour-là, on ne croisera pas le feu avec Boko Haram.
Lire aussi : Dans le bassin du lac Tchad, « des mondes oubliés » menacés par Boko Haram
Depuis son arrivée à Diffa, après la sanglante attaque de la ville garnison de Bosso le 3 juin 2016, le nouveau commandant de cette zone de défense, le colonel major Namata Oumara, aidé du chef des opérations le colonel Djibo, a réussi à décourager Boko Haram de venir au contact direct des forces nigériennes.
« Le vrai problème, c’est qu’ils attaquent la nuit, quand l’armée est partie et que nous sommes sans défense », lâche en langue kanourie un habitant.