Un tour dans une superette, précisément dans le rayon réservé aux boissons pour étancher la soif en cette période de forte chaleur puis… une découverte. Des bouteilles de jus locaux portant des étiquettes attirent l’attention parmi le lot des boissons importées. Il s’agit des jus de mangue, de banane, d’orange du Niger disponibles en différentes unités de mesure. A l’ordre des ingrédients sur l’étiquette, pas de produit chimique ni de colorant mentionné. L’on s’y intéresse et pose quelques questions au caissier. « C’est un bon jus. J’ai l’habitude de le prendre régulièrement, vous allez l’aimer, » répond Ahmed. Curieux, le produit portant le nom de la structure productrice « Technopole agroalimentaire » est acheté. Quelques recherches sur le net et l’on localise la structure opérant dans la capitale Niamey. C’est parti pour une double mission : un reportage et un portrait du responsable.
Quelques minutes de route sous le chaud soleil cet après-midi de mai 2017, l’on s’immobilise devant une mini villa au quartier Koira Kano. Maison calme dont le fronton porte une bannière à l’effigie de l’entreprise, des peaux de mangues séchées sur des supports à l’intérieur, des bouteilles en plastique en stock sur la terasse, des kilogrammes de mangue regroupés en tas de l’autre coin d’une salle, des matériels de travail et des échantillons de jus de mangue prêts à livrer, des pots de confiture servant de test en termes de péremption dans l’autre coin, l’on est bien arrivé au centre de production des jus de mangue dénommé « Sahel Agropole ».Professeur dans une université à Nantes
Adamou Boubacar, 38 ans, Ingénieur en Technologie alimentaire et nutritionniste de formation est le Responsable de l’entreprise. Simple, tout souriant, visiblement courtois, ce jeune Nigérien nous accueille dans son bureau.
Le parcours de ce trentagenaire est bien inhabituel. Diplômé en Technologie alimentaire en Algérie avec un perfectionnement en Qualité des produits alimentaires et nutrition en France, ce père d’un jeune garçon travaillait en tant que Professeur dans une Université à Nantes jusqu’au premier semestre 2016. De là, il a préparé le projet « Sahel Agropole » puis il a décidé de rentrer. « Lorsque j’étais Enseignant en France, je rencontrais régulièrement des jeunes migrants ouest-africains venus en aventure en Europe. La plupart d’entre eux n’est jamais allé à l’école. Mais pour décrocher un titre de séjour, ils sont obligés de s’inscrire dans une école, » raconte-t-il. « En voyant ces jeunes comme moi, je me suis dit que ma place est en Afrique et c’est là qu’il faut agir, pour mettre nos compétences au service de nos pays. »« En voyant ces jeunes comme moi, je me suis dit que ma place est en Afrique. »
Voilà le déclic qui a motivé Adamou Boubacar à monter le projet de développement intégré « Sahel Agropole ». Divisé en plusieurs compartiments, la partie production primaire permet de faire de l’agriculture, l’élevage, la pisciculture. La partie secondaire est consacrée à la transformation des produits agricoles et la troisième partie destinée à la commercialisation. « L’idée, c’est de faire en sorte que notre jeunesse s’intéresse à l’agriculture qui est la base, et qu’elle maîtrise les techniques de transformation et de commercialisation,» glisse-t-il au détour d’une descente sur le terrain. « La transformation demande une importante main d’œuvre. Il faut que nous nous lancions dans l’industrialisation du continent, sinon ca ne marchera pas, » exhorte-t-il.
Transformation agroalimentaire de qualité.
« L’Afrique produit déjà beaucoup de fruits et légumes de très bonne qualité que nous pouvons transformer. La mangue, l’ananas, la goyave, la banane… j’aime faire ça». Voilà l’ambition de « Sahel Agropole », offrir une autre alternative en termes de consommation de produits alimentaires locaux tout en créant de l’emploi.
Etant en phase de test, M. Adamou ne produit pas encore. Il part à la périphérie, à des dizaines de kilomètres de la ville pour faire ses achats de produits locaux auprès des détenteurs de jardins.
Le Niger est en pleine saison des mangues. Sauf qu’avec l’intensité de la chaleur (entre 45 et 50 degré), les mangues murissent très vite et ont une durée de vie de 24 heures.
Pour ce faire, Adamou Boubacar laisse entendre que la panacée réside dans la transformation. « Il faut qu’on aie des industries capables de transformer une partie de notre production nationale. C’est du gâchis de jeter des tonnes de mangue quotidiennement. A Sahel Agropole, on en fait du jus de mangues et des confitures capables de durer longtemps avec les techniques de conservation adéquates.»
Sur les étiquettes de cette jeune entreprise, le taux de représentativité des fruits locaux est fort. Comme sur le pot de confiture de mangue où ce fruit est représenté à 95%. La dégustation montre tout de même une nette différence. « Ce sont des produits que j’adore puisque je les consomme moi-même. Ils sont sans produits chimiques, pas de conservateur, tout est naturel dans ce que je fais. Nous avons souvent des problèmes de diabète et j’en tiens rigoureusement compte,» détaille ce nutritionniste. « Pour une confiture par exemple, il est recommandé au maximum 50% de fruits et 50% de sucre. Mais pour un pays où la population ne fait pas beaucoup de sport, cela va créer du surpoids, des problèmes cardio-vasculaires. Les mangues en Afrique sont naturellement sucrées à cause du soleil. Donc, pour ma confiture, je me base juste sur le sucre naturel de la mangue. Pour des raisons technologiques, j’ajoute quelques grammes de sucre. Il m’arrive aussi de faire de la confiture sans sucre. »
Pour un début, Adamou Boubacar travaille avec son jeune frère pour cette période de test. Il produit environ 50 litres de jus par jour dans des bouteilles de 33cl à un litre pour un prix de 1000 fcfa maximum pour le citoyen. « Je n’arrive même pas à couvrir la demande pour le moment, parce que les gens commencent par comprendre que ce ne sont pas toutes les boissons importées qui respectent les conditions sanitaires» regrette-t-il.
Mais, dans quelles conditions travaille-t-il ? Comment se passe cette étape de la production jusqu’à la livraison ? Pour en savoir davantage, l’on retourne vers ce monsieur pour le suivre une journée entière.
Une journée en apprenti
Il est 9 heures (GMT+1) ce matin de juin 2017, la température affichait 39 degré. L’on franchit le seuil de « Sahel Agropole ». Adamou Boubacar a bossé toute la nuit pour être dans le temps en journée (c’est le temps du carême et les jus locaux sont fortement consommés le soir à la rupture). Les fruits ont déjà été épluchés, l’on passe à l’étape de la préparation du jus proprement dit. De l’autre côté, l’entretien des bocaux qui serviront à la mise en condition du jus se déroule simultanément. « Avec les conditions d’hygiène rigoureuses, mes produits peuvent être conservés pendant un an. C’est ça l’enjeu dans la transformation. Il faut maîtriser les techniques de conservation. »
Du mixage à la mise en bouteille en début d’après-midi, pas de produit chimique ni de colorant. Seuls ingrédients au laboratoire, l’eau, le sucre… et du citron.
Il sonne 17h30 (GMT+1), les produits sont prêts pour la livraison. Adamou et son jeune frère se partagent les zones d’intervention. Notre équipe décide de suivre le patron. Après une heure de navettes dans les boutiques et superettes du quartier et ses environs, les jus d’Adamou sont bien en place. Pas de livraison de nouvelles bouteilles ce soir. « Je les avais ravitaillé, il y a deux jours. Parfois, ça finit vite. Aujourd’hui ce n’est pas le cas, » explique-t-il.
Dans cette superette proche de l’Ambassade du Mali, le caissier laisse entendre qu’il en consomme lui-même souvent. « C’est du bon jus, j’en prends quand j’ai l’occasion. Et les curieux qui en payent reviennent dans la plupart des cas,» témoigne-t-il.
Sur le chemin du retour, Adamou Boubacar n’est surtout pas désolé. Il reste confiant et concentré sur sa vision. Mais comment arrive-t-il à s’en sortir vu le niveau de production très local. Comment cible-t-il ses clients ? Quelle technique utilise-t-il pour pénétrer le marché ?
«J’emmène mes produits dans les boutiques et hôtels. Ils goûtent le produit et demandent des livraisons s’ils sont intéressés. C’est là que nous négocions le prix. »
Pour que le produit ne connaisse pas une flambée anarchique, le patron de « Sahel Agropole » a sa technique : « Je discute avec les responsables des boutiques en amont parce qu’il y a un prix à ne pas dépasser pour chaque capacité (33 cl, demi-litre et litre) de jus livré. »
En ce qui concerne ses revenus, Adamou Boubacar laisse entendre qu’il réinvestit les revenus de sa production pour passer à l’étape d’industrialisation.
L’environnement des affaires
A l’ordre des difficultés auxquels il fait face en tant que jeune entrepreneur, Adamou Boubacar pointe du doigt l’environnement économique. «Ce n’est pas facile. Le cadre réglementaire également, il y a la fiscalité que les Pme paient au même titre que les multinationales alors que nous n’avons pas les mêmes moyens. »
A cela s’ajoute selon lui, l’insuffisance énergétique : « Les coupures d’électricité sont trop fréquentes et agissent sur notre production. Si on coupe le courant, nous n’arrivons plus à travailler. On ne peut pas industrialiser le pays dans ces conditions, » regrette-t-il.
Recruter de la main d’œuvre
Au rang des perspectives, Adamou Boubacar compte recruter de la main d’œuvre : « Nous voulons intensifier la production. Il va falloir passer de l’étape artisanale à celle industrielle, s’équiper pour augmenter la production et la qualité ». A long terme, « Sahel Agropole sera un lieu où on fait de l’agriculture, l’élevage et la pisciculture. »
L’Ingénieur compte aussi sensibiliser la clientèle. « Nous proposons des produits de qualité que les gens ne connaissent pas. Il faut que nous travaillions aussi ce côté parce que les consommateurs ne font pas la différence entre un produit sain et chimique. » « Il faut arriver à faire comprendre aux gens que l’on peut contrôler l’origine de toute notre production contrairement aux produits importés. Cela créera de la richesse pour le pays également.»
Pour faire prospérer ses activités, Adamou Boubacar laisse entendre qu’il compte proposer des offres aux investisseurs et se rapprocher aussi de l’Etat pour examiner les aides disponibles à l’endroit des entrepreneurs.
Il sonne 19 heures, en ce mois béni du ramadan, la rupture du jeûne est prévue pour les minutes qui suivent. Adamou Boubacar compte rompre en famille. L’on prend alors congé du patron de « Sahel Agropole », cette toute jeune entreprise qui, aujourd’hui à l’étape de la pénétration du marché, n’influe pas encore l’économie du secteur. Mais dont la simple vision présage des lendemains prometteurs et pourra inspirer beaucoup d’autres jeunes qui échouent par faute de témérité et de passage à l’action.