Le Sahel est devenu en quelques années l’un des points de fixation de l'attention de la communauté internationale, donc du monde médiatique particulièrement. Connu dans les années 70 et 80 comme une zone de désolation dans laquelle sévissaient sécheresses et famines, le Sahel était alors essentiellement synonyme de misère et de souffrances. Cependant, depuis quelques années, on parle à nouveau du Sahel comme, cette fois, un enjeu géostratégique et une plaque tournante d’initiatives destinées à contrôler ou à influencer les équilibres qui se dessinent dans le monde.
La maîtrise des ressources énergétiques et des richesses minières à haute valeur stratégique constitue un enjeu majeur qui structure les équilibres mondiaux, donc la stabilité des Etats et la paix en général.
La prise en charge par certaines puissances occidentales de la sécurité au Sahel est souvent justifiée par la proximité géographique de cette bande sahélo-saharienne avec l’Europe, ce qui en fait de facto son arrière-cour stratégique dont la stabilité et la maîtrise lui sont impératives. Les potentialités économiques que recèlent ces grands espaces qui n’ont pas encore dévoilé l’étendue de leurs réserves en matières premières font en outre l’objet de toutes les convoitises. Et leur proximité avec l’Europe et le Moyen-Orient, ainsi que leurs accès pas si lointains à l’Atlantique, à la Méditerranée et à la mer Rouge représentent un atout majeur qui aiguise également les appétits. Par ailleurs, les perspectives d’arrimer ces espaces au monde méditerranéen et de favoriser ainsi l’émergence d’un marché économique de taille pourraient constituer un objectif stratégique de développement.
Le Niger, par sa géographie et l’impératif vital de préserver sa cohésion nationale, est en situation de contribuer de manière significative à la stabilité de ces espaces. Il se trouve par conséquent dans une position de pivot structurant l’avenir de la bande sahélo-saharienne du fait de son rôle de carrefour des échanges entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Pour jouer pleinement cette partition, le pays a cependant besoin d’un leadership politique crédible à même de le placer de manière volontaire au cœur des mutations sociologiques et politiques qui se dessinent. Il s’agira de consolider le rôle majeur que le Niger se doit de jouer dans toutes les orientations qui engagent l’avenir de la sous-région et du continent.
Afin de se mettre en situation et d’assumer cette responsabilité, le Niger a besoin de stabilité pour être en mesure de construire un schéma stratégique prenant en compte les réalités du moment et d’une vision claire de ses intérêts à court, moyen et à long terme. Il est par conséquent au confluent de deux difficultés qui focalisent l’attention de la communauté internationale au Sahel : la question de l’insécurité et celle des mouvements migratoires vers l’Europe.
Une approche sécuritaire réaliste, donc ancrée dans l’environnement socio-politique
Au Sahel, les projecteurs médiatiques ne sont apparus qu’à la faveur de l’émergence de groupes armés dits islamistes et les dispositifs militaires mis en place par des puissances occidentales pour les contenir.
La multiplication d’attaques armées et l’enlèvement de nombre de personnes contre des rançons ont installé un climat d’insécurité qui a réduit à néant les activités comme le tourisme et l’action des organisations étatiques et non étatiques destinée à soutenir les efforts de développement de ces régions.
Les dispositifs militaires qui se mettent progressivement en place au Sahel au côté des Forces de défense et de sécurité (FDS) nationales intègrent la dimension locale de leur mission et devraient tisser des liens avec les autorités permettant de rassurer les populations et de leur faire accepter une présence qui est appelée à se prolonger compte tenu de la complexité de la mission et des réalités politiques. Cela permettrait également de minimiser les risques d’incompréhension à la suite d’éventuels incidents toujours possibles dans ce type de configuration.
Ici plus qu’ailleurs au Niger, la stratégie sécuritaire a peu de chance d’être efficace si elle n’associe pas les populations locales à travers leurs organisations traditionnelles et la société civile. La dimension sécuritaire tiendra forcément compte des réalités politiques de terrain et des facteurs ethnoculturels qui demeurent pertinents pour comprendre certains leviers nécessaires à la réussite de toute action d’ordre général. Une évolution de la stratégie sécuritaire constitue à présent une urgence absolue avec une nouvelle approche des politiques de recrutement au sein des Forces de défense et de sécurité. L’expérience de ces dernières années montre que l’efficacité de la dimension militaire de toute politique sécuritaire dépend nécessairement de la motivation des soldats à défendre des territoires auxquels ils sont intimement attachés et dont ils ont une réelle connaissance. Les faiblesses constatées lors des différentes attaques seraient dues entre autres à ces critères que les hiérarchies politiques et militaires au Niger hésitent encore à prendre en compte
Ces déploiements militaires constituent une réaction d’urgence qui apporte des réponses rapides aux conséquences immédiates de cette menace. Il apparaît néanmoins tout aussi urgent de penser à prendre le problème à sa source et à travailler sur les réalités humaines qui conduisent à ce type de situations. La question du développement représente une solution capable d’apporter des réponses pérennes au mal-être qui pousse les jeunes à la violence, à la délinquance et qui les expose à l’influence de nouvelles idéologies ou à celle des réseaux aux motivations déstabilisatrices pour nos fragiles pays.
Par ailleurs, comme cela est réclamé de plus en plus par plusieurs voix et au regard de l’intérêt supérieur du pays, le climat politique national devrait s’apaiser. Il s’agira pour la classe politique de faire front et de donner au pays toutes les chances non seulement de consolider sa stabilité, mais aussi d’être en capacité de participer de manière active aux décisions qui engageront l’avenir de la sous-région.
Le casse-tête des flux migratoires au Sahel
La fuite de la jeunesse africaine vers « l’eldorado européen » résulte aussi bien de l’insécurité, du sous- développement que de l’attrait amplifié par l’impact des nouveaux médias. C’est naturellement un fléau aussi bien pour l’Afrique que pour l’Europe, et toujours une tragédie pour les concernés. Un consensus se précise sur l’importance des politiques de développement des zones d’origine des migrants pour espérer juguler ce phénomène avant qu’il ne devienne totalement incontrôlable.
Ainsi, au Niger, la question est devenue ces dernières années l’une des préoccupations majeures des autorités de Niamey sous la pression conjuguée de l’Union européenne et du risque sécuritaire que cela comporte pour le pays. En effet, dans un pays de transit comme le Niger, l’arrivée massive et mal encadrée de personnes, souvent de cultures très différentes de celles des populations locales, risque de déstabiliser le tissu social et de fragiliser davantage les équilibres socio-politiques en place. Une approche pragmatique paraît nécessaire dans la gestion de ce problème afin de désamorcer les mécontentements et les risques de violence que cela pourrait provoquer. Une telle démarche permettrait ainsi d’éviter de titiller les susceptibilités des populations locales dont les rapports avec l’Etat ne sont pas encore complètement normalisés.
Les approches purement sécuritaires seront toujours perçues négativement par les populations locales si elles ne sont pas intégrées dans une démarche d’ensemble qui prendrait également en compte leurs intérêts. Une vision technique ou institutionnelle de ces questions ne suffirait donc pas à venir à bout de la complexité des rapports humains et à garantir la stabilité de la sous-région. L’expertise en la matière devrait se renouveler régulièrement et sortir des schémas, souvent dépassés et trop longtemps imposés par des officines qui peinent à se départir de certains préjugés. Ces derniers altèrent d’ailleurs gravement la qualité des analyses, donc celle des solutions susceptibles d’être proposées aux décideurs.
Les dispositifs envisagés pour la prise en charge au Niger de ces flux de migrants risquent de crisper davantage les populations s’ils n’apportent pas de réponses claires aux questions liées aux conséquences de leur installation. Quel sort sera réservé à ceux, parmi les candidats, qui ne pourront pas poursuivre leur aventure vers l’Europe ? Les lâcher dans la nature au risque de les voir emprunter d’autres voies pour continuer ne constitue pas une solution au regard des objectifs poursuivis. Les laisser dans des camps en attente d’être pris en charge risque d’exaspérer les tensions avec les populations locales comme cela commence déjà à se constater dans certaines villes du nord du pays. L’administration nigérienne gangrenée par une corruption tentaculaire pourrait ainsi être dans l’incapacité de faire face, de manière satisfaisante, à cette situation. Les risques sont grands de voir se développer une sorte de modèle économique mafieux qui fera obstacle à toute initiative qui ne s’inscrirait pas dans une certaine logique opportuniste propre à servir certains intérêts privés. Cela a déjà été constaté dans d’autres domaines et tous les niveaux de l’Etat pourraient être ainsi affectés par ce mal.
Même la collaboration étroite avec des partenaires traditionnels comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ne suffirait pas à contrer certaines habitudes néfastes qui réduisent considérablement les efforts de l’Etat ou de la communauté internationale pour venir en aide aux populations concernées.
Reste la solution de les reconduire dans leur pays d’origine, où ils seront pris en charge par des structures mises en place pour gérer leur réinsertion et assurer leur accompagnement vers des projets économiques qui leur permettraient d’envisager un avenir chez eux. Cette solution ne serait envisageable que si des obstacles juridiques liés à la libre circulation au sein de l’espace de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sont préalablement levés, ne serait-ce que par un aménagement limité dans le temps.
Une aide au développement rénovée et mieux contrôlée
Il est aujourd’hui communément admis que la solution à terme, pour maitriser ces phénomènes migratoires, passe nécessairement par une meilleure approche des politiques d’aide au développement destinée aux pays d’origine et de transit de ces migrants. Les dispositifs juridiques, administratifs et sécuritaires ne peuvent servir qu’à contenir et à contrôler les flux. Pour en tarir la source, il faudrait en parallèle une action d’envergure et rapide destinée à fixer les candidats au départ en leur proposant des solutions concrètes susceptibles de les convaincre de rester dans leur pays et de reprendre espoir en l’avenir. Cela pourrait s’accompagner d’une campagne tout aussi importante d’information pour expliquer les risques et les désillusions de l’aventure vers d’hypothétiques meilleures situations en Europe.
Au Niger, les autorités locales devraient être mises en situation de développer des partenariats techniques et financiers à la hauteur des résultats attendus par l’Etat et ses partenaires internationaux. La lourdeur et l’efficacité relative des schémas traditionnels d’aide au développement devraient inciter à imaginer d’autres pistes d’action. Cela permettrait apporter des réponses appropriées à une situation particulière eu égard à l’urgence économique et à la nécessaire réinsertion sociale des bénéficiaires. La promotion d'activités génératrices de revenus et de lien social pourrait être une réponse à travers une vision sociale et solidaire de l’économie. Il s’agit de l’une des pistes qui pourraient être explorées comme solution innovante adaptée au développement local et pouvant apporter des réponses dans différents secteurs d’activités économiques. Il faudra pour cela encourager une culture de la mutualisation des moyens de production, notamment par une attention plus soutenue au mode coopératif. L’économie sociale et solidaire devient aujourd'hui une voie non négligeable pour résorber le problème de chômage dans certains bassins d’activités. Cela se fait par un accompagnement spécifique des publics cibles en fonction des paramètres tenant compte des facteurs culturels et environnementaux. Les valeurs véhiculées notamment par l’entreprenariat social contribueront à retisser les liens distendus entre les porteurs de projets, les autres acteurs locaux et l’environnement social de manière générale.
L’accompagnement à la création d’activités économiques devra constituer un volet central pour structurer un tissu économique alternatif aux différents trafics qui occupent une bonne partie de la jeunesse actuellement. Il sera d’autant plus aisé de combattre ces trafics et de résorber le banditisme résiduel qu’on aura préalablement préparé un terrain favorable à la reconversion des personnes vivant de cette économie pleine d’avenir. Il est entendu que tout dispositif d’accompagnement de ces publics cibles ne devrait pas être dévoyé en favorisant une prise en charge des migrants étrangers sur le territoire nigérien, alors que ces derniers pourraient plus aisément en bénéficier dans leur propre pays d’origine. En effet, si les autorités nigériennes se hasardaient à vouloir fixer les migrants sur le territoire, cela risquerait de créer d’autres problèmes et ne manquerait pas de déstabiliser les équilibres socio-politiques des régions concernées.
Une amélioration globale de la gouvernance devrait constituer un objectif prioritaire pour garantir l’efficacité des politiques publiques de développement. Une responsabilisation accrue des autorités locales devient nécessaire à travers le processus de décentralisation déjà en cours d’achèvement. Il faudrait pour cela une accélération du transfert des compétences.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE)