Rien ne va plus entre le président de la République et son ministre de l’Intérieur par ailleurs président du parti au pouvoir. La dernière discorde en date est relative à l’attaque d’Ayorou ayant causé la mort d’une dizaine de gendarmes. Outre le fait que le président de la République n’a pas daigné faire le déplacement – alors qu’il avait parcouru plus de 5 000 kilomètres pour marcher suite aux évènements de Charlie Hebdo en France – même son ministre de la Défense, autorité tutrice de la gendarmerie, n’est pas non plus allé soutenir le moral des FDS. Selon des sources proches du ministère de la Défense que nous avons contacté, le patron des lieux Kalla Moutari serait en déplacement et serait rentré le jour même de l’attaque. Les mêmes sources précisent que « la gendarmerie et les sapeurs pompiers sont autant sous l’autorité du ministre de la Défense qu’ils sont employés par le ministre de l’Intérieur ». Toutefois, pour notre part, nous retenons que le ministre de la Défense n’est pas allé à Ayorou et c’est son homologue de l’Intérieur qui y est allé.
Le ministre de l’Intérieur Bazoum Mohamed, lui, est allé et a parlé. Un peu trop d’ailleurs. Le premier flic de notre pays a déclaré face aux soldats : « Je suis venu vous exprimer notre soutien, vous marquer notre solidarité indéfectible. Le président de la République vous présente ses condoléances pour vos camarades morts dans une action de vaillance dont je viens de prendre la mesure parce que je suis venu sur le terrain constater ce qu’il en est. Hier, vous avez été soumis à un feu intense. »
« Je suis venu sur le terrain » ! On ne peut pas être plus clair pour condamner le déficit de solidarité du président de la République et son ministre de la Défense nationale. Mieux, Bazoum a mis le doigt là où ça fait mal : il a percé le secret de polichinelle relatif aux manques de moyens de nos Forces de défense et de sécurité. D’ailleurs, selon notre confrère L’Éclosion dans sa dernière parution, le ministre de l’Intérieur a été censuré sur la chaîne publique Télé-sahel parce qu’il a dit aux gendarmes d’Ayorou : « si le rapport de force, et en nombre d’hommes et surtout en capacité de feu n’était pas si disproportionné, je suis sûr que le résultat aurait été bien différent. »
Dans le camp présidentiel, ces paroles sont perçues comme de l’huile sur le feu qui brûle déjà entre le chef de l’État et le patron du parti politique qui l’a porté au pouvoir. Comment Bazoum peut-il oser faire de telles déclarations alors que des dizaines de milliards sont, chaque année, censés être affectés au ministère de la Dé- fense pour l’équipement de nos forces. Surtout, ces paroles rejoignent celle de l’opinion publique dont l’opposition politique qui s’interroge sur la destination que prennent les fonds alloués à la dé- fense du territoire. Rien que dans le projet de loi de finances 2018, c’est un total de 127 620 531 550 FCFA qui sont alloués à ce département. Dans cette enveloppe, la « Gouvernance et appui institutionnel du Ministère de la Défense Nationale » bouffe54 170 331 550 FCFA, la « Sécurisation du territoire national »72 589 000 000 FCFAet la « Contribution à la consolidation de la paix »861 200 000 FCFA. Si l’on comprend moins que plus de 54 milliards soient affectés à la gouvernance et l’appui institutionnel de ce ministère stratégique en ce temps de guerre, l’on cerne mieux le manque de moyens décrié par le ministre Bazoum.
Le président du PNDS-Tarayya voulait-il faire mal à son régime en décriant cette situation ? Au Monde d’Aujourd’hui, nous ne le pensons pas. D’abord parce que le ministre Bazoum est un homme politique sincère. Il n’est pas habitué aux mensonges grotesque et grossier dont certains de ses camarades sont passé maîtres depuis leur accession au pouvoir d’État. Ensuite, parce que tout celui a qui suivi l’intervention du ministre de » l’Intérieur sur Télé- sahel a pu constater à quel point il était touché par ce qu’il a vu sur le terrain, 24 heures après la sanglante attaque.
Quoi qu’on dise, Bazoum est avant tout un humain et il ne peut rester insensible face à tant d’atrocités surtout qu’il est membre du gouvernement sur lequel repose la sécurité du pays et des FDS. Autre certitude, ses déclarations à Ayorou constituent un autre pré- texte pour le Président Issoufou qui, vraisemblablement, voudrait le mettre en disgrâce avant les prochaines échéances électorales. Peut-être et certainement que Bazoum Mohamed tombera parce qu’il ne fait pas le poids face au président de la République qui dispose de l’appareil de l’État, mais l’histoire retiendra qu’il n’a pas accepté d’être l’esclave politique de celui qu’il a aidé à conquérir le pouvoir.