Point de presse sur la mobilisation autour du projet de loi de finances 2018
Depuis bientôt six (6) semaines, toute l’attention des citoyennes et citoyens de notre pays, et particulièrement des organisations de la société civile, est tournée vers l’Assemblée nationale où va se décider le sort du projet de loi de finances 2018 soumis par le gouvernement; un projet dont l’une des principales caractéristiques est de comporter toute une batterie de mesures à caractère fiscal et administratif susceptibles d’affecter sérieusement la situation, déjà difficile, des ménages nigériens.
En effet, le gouvernement nigérien envisage, à travers ce projet de loi de finances, d’accentuer la pression fiscale sur les couches défavorisées de la population, tout en accordant des cadeaux fiscaux inacceptables à certaines catégories de contribuables, notamment les compagnies de téléphonie et les marketteurs et promoteurs indépendants du secteur des hydrocarbures. Les mesures à caractère fiscal contenues dans ce projet et affectant les couches populaires, concernent notamment :
1-la création d’une taxe d’habitation que devront désormais acquitter toutes les personnes disposant d’un compteur relié au réseau d’électricité ou d’un système autonome d’énergie électrique, qu’elles soient propriétaires des maisons, simples locataires ou de personnes y habitant à titre gratuit;
2- le rehaussement du taux de l’Impôt Synthétique de 2 à 5% pour les activités commerciales et de 3 à 7% pour les prestations de service, assorti de la fixation de minima de 60 000F pour le commerce et 80 000F pour les prestations de service ;
3- l’extension de l’assiette de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) qui sera appliquée désormais au transport routier des marchandises et des voyageurs, aux affaires faites par les commerçants qui se livrent à la commercialisation des produits agricoles après acquisition auprès des producteurs ruraux, à divers produits, notamment des denrées alimentaires, des intrants agricoles, des fournitures scolaires jusque là exonérés;
4-la réévaluation du prix de base de cession des terrains relevant du domaine privé de l’État;
5-l’institution du prélèvement d’un acompte constituant un minimum de perception de l’impôt sur les plus-values de cession immobilières;
6- l’institution de l’apposition d’un droit de timbre de 200F sur tout document légalisé sous peine de nullité ;
7-la réactualisation et la diminution de certains taux de droits de mutation par décès pour la part nette recueillie par chaque ayant droit.
A travers toutes ces mesures à caractère fiscal ciblant les contribuables les plus modestes, c’est-à-dire ceux qui reçoivent également moins de la part de l’État en termes de prestations de services, le gouvernement a voulu surtout compenser le « manque-à-gagner » lié à la suppression de la taxe sur la terminaison du trafic international entrant (TATTIE) et à la révision des taux et modalités de calcul de l’impôt sur le minimum forfaitaire. L’objectif est clair : il s’agit de faire payer aux contribuables les plus modestes les cadeaux fiscaux destinés à des amis.
Les informations que nous avons recueillies auprès de diverses sources indiquent que ces cadeaux fiscaux s’élèvent à environ 29 milliards de francs CFA pour les seules compagnies de téléphonie du fait uniquement de la suppression de la taxe sur la terminaison du trafic international entrant (TATTIE) ; tandis que le « manque-à-gagner » lié à la modification des taux et des modalités de calcul de l’impôt minimum forfaitaire pour les marketteurs et les promoteurs indépendants du secteur des hydrocarbures, est estimé à près de 15 milliards de francs CFA.
Au cours de notre rencontre lundi 13 novembre 2017 dans la matinée avec la Commission des affaires économiques et du plan, et dans l’après midi avec la commission des finances et de budget de l’Assemblée nationale, nous avons, de vive voix et de façon claire, signifié aux députés nationaux notre refus d’accepter le choix injuste et scandaleux opéré par le gouvernement. Nous avons expliqué avec beaucoup d’insistance les conséquences néfastes des mesures envisagées pour les ménages les plus modestes; nous avons également décrié la façon dont les ressources ont été allouées dans le cadre du budget de l’État pour l’exercice 2018.
Lors de ces rencontres, les représentants des organisations de la société civile ont partagé avec les parlementaires les constats suivants relativement au volet dépenses du projet de loi de finances 2018 :
-Primo, comme c’est le cas depuis bientôt une décennie, la part des secteurs sociaux de base, notamment l’éducation, la santé, l’agriculture et l’élevage, qui sont érigés en priorité par la Constitution du 25 novembre 2010, reste encore très faible et largement en dessous des engagements internationaux de l’État du Niger et des promesses faites par les autorités elles-mêmes. La part de l’enseignement, tous ordres confondus, dans le budget 2018 est seulement de 11,99%; celle de la santé est seulement de 5,12%; tandis que l’agriculture et l’élevage ne représentent que 6% des ressources inscrites au budget 2018;
-Secundo, comme c’est le cas depuis pratiquement cinq (5) ans, la part des dépenses du ministère de la défense dans les allocations budgétaires se situe au-delà de 120 milliards de francs CFA. Les dépenses de la défense représentent 7,19% du total des dépenses inscrites au budget 2018; tandis que celles destinées à l’ordre et à la sécurité publique est de 1,93%. Le niveau élevé de ces dépenses constitue un sujet de préoccupations majeures, eu égard à ses conséquences sur les secteurs sociaux de base, et aussi compte tenu de l’absence de transparence et contrôle des fonds alloués;
-Tertio, comme il est désormais de coutume, l’examen des différentes rubriques de dépenses du projet de budget 2018 montre clairement qu’aucune mesure n’est prise pour réduire le train de vie de l’État et mettre fin à la pratique des emplois fictifs entretenue par les plus hautes autorités à travers la nomination massive de ministres à la présidence, de conseillers et chargés de mission en tous genres. L’examen des budgets affectés à certaines institutions et ministères, notamment la Présidence de la République, l’Assemblée nationale, les ministères des finance, de l’intérieur et de la défense, montre qu’il est possible de faire des économies de l’ordre de 55 milliards de francs, affectés à des dépenses superflues ou de prestige telles que la construction d’un nouveau palais présidentiel, la construction de divers bâtiments, l’acquisition de moyens de transport, etc.
Aussi, conscientes du fait que notre pays fait aujourd’hui face à une situation économique et financière particulièrement difficile, et constatant que les autorités en place n’ont rien trouvé de mieux que de s’orienter vers une politique fiscale susceptible de renchérir davantage le coût de la vie, nous saisissons l’occasion de ce point de presse pour rappeler à l’ensemble des citoyens et citoyennes, quels que soient leurs bords politiques, l’enjeu que représente pour tous l’adoption d’un tel projet de loi de finances dont le caractère antisocial ne fait point de doute.
Si ce projet de budget venait à être adopté en l’état par le parlement, les contribuables nigériens, en particulier ceux qui profitent déjà moins des prestations de l’État, auront à supporter des charges fiscales plus lourdes, sans aucune garantie de voir s’améliorer la gestion des deniers publics. Comme beaucoup de citoyens et citoyennes l’ont déjà compris, le projet soumis par le gouvernement est l’illustration parfaite de sa propension à privilégier et défendre les intérêts étrangers, notamment celles des grosses compagnies multinationales, au détriment de ceux du peuple nigérien.
C’est le lieu de rappeler que notre pays est devenu un véritable eldorado pour les quelques grosses compagnies étrangères qui s’y sont installées; car, elles y bénéficient non seulement de divers avantages fiscaux légaux, mais aussi de la complaisance totale des autorités en matière de contrôle de la qualité des services et des conditions environnementales. C’est le cas notamment d’AREVA, qui refuse l’application de la loi minière 2006 et qui exploite notre uranium sans avoir signé une convention en bonne et due forme; c’est aussi le cas des compagnies de téléphonie, qui refusent une taxe appliquée partout dans le monde; c’est enfin le cas de la CNPC qui exploite notre pétrole dans des conditions opaques.
Dans quelques jours, les députés nationaux auront à se prononcer publiquement sur le projet de loi de finances 2018 soumis par le gouvernement; et ce, conformément aux dispositions de la Constitution de notre pays, qui leur attribue la prérogative de l’avaliser entièrement ou de le modifier.
Quels que soient les partis politiques ou groupements de partis dont ils sont issus, qu’ils soient affiliés à l’opposition ou à la majorité, les députés nationaux auront à assumer leurs responsabilités face à l’histoire; ils auront à choisir chacun, en son âme et conscience, entre se placer du côté du peuple souverain qui les a élus, ou se ranger derrière un gouvernement qui a fait le choix de l’étouffer; un gouvernement qui, après avoir aliéné la souveraineté nationale en autorisant les forces militaires étrangères à s’installer durablement sur le territoire national, cherche à présent à faciliter le pillage économique du pays par des compagnies étrangères.
Nous invitons tous les citoyens et les citoyennes à saisir, par tous moyens à leur portée, les députés pour attirer leur attention sur la lourde responsabilité qui pèse sur eux. Nous les invitons également à suivre attentivement les débats qui auront lieu à l’hémicycle lors du vote du projet de loi de finances 2018, afin d’être témoins du choix de chacun des 171 élus qui y siègent.
En tout état de cause, nous tenons à informer l’opinion nationale et internationale que les organisations de la société civile attendent de voir dans quel sens les députés nationaux vont voter dans les jours à venir, tout en restant déterminées à faire échec à ce sinistre projet.
Nous attendons de voir quel sort sera réservé aux propositions concrètes faites par la société civile, propositions relatives notamment à la réduction du train de vie de l’État, à la lutte contre la corruption à travers des mesures visant à combattre les surfacturations, le détournement des deniers publics, l’enrichissement illicite, les fraudes diverses, les rétro-commissions, et autres pratiques dont les princes qui nous dirigent aujourd’hui sont devenus les champions.
En attendant le vote de l’Assemblée nationale, nous demandons à tous les citoyens et à toutes les citoyennes de rester vigilants, mobilisés, prêts et résolus à se battre pour arrêter, par des moyens démocratiques, la dérive antisociale en cours dans notre pays. Nous engageons toutes nos structures régionales à organiser partout des conférences publiques, des causeries, des débats, des points de presse en vue d’expliquer les enjeux liés au projet de loi de finances 2018. Nous les engageons également à mettre en place des comités d’initiatives pour continuer la mobilisation.