Ils ont passé des mois sur les routes de l'exil et connu l'enfer des prisons libyennes: à Niamey, dans les locaux clairs de la "case de passage", les réfugiés que le HCR a réussi à évacuer de Tripoli respirent enfin.
"Depuis qu'on a quitté la Libye, ça va": installée sur la terrasse avec son mari, Amina (tous les prénoms ont été changés, NDLR), 20 ans, raconte combien elle a "hâte de partir" pour la France, qui s'est engagée à accueillir un premier groupe de 25 personnes - Erythréens, Ethiopiens et Soudanais.
La jeune Ethiopienne a fui son pays en 2016 blessée, après avoir essuyé des coups de feu, à l'époque où le pouvoir durcissait la répression contre son ethnie, les Oromo.
Mais le pire est venu en Libye : "En prison on vous frappe, on vous donne une assiette pour douze. J'étais enceinte de sept mois, j'ai perdu mon bébé...".
Même si elle ne sait "pas du tout à quoi ressemble" son futur pays d'accueil, elle se projette déjà dans l'avenir.
"Merci beaucoup, bonjour, enchanté, je t'aime"... elle énumère en riant les quelques mots qu'elle a appris depuis son arrivée à la "case de passage", une grosse bâtisse confortable d'un quartier résidentiel, aux terrasses accueillantes, mais protégée par des gardes et des barbelés sur les murs.
- 'Ils ne s'aventurent pas très loin' -
Trois repas par jour, 10.000 francs CFA (15 euros) d'argent de poche, visite quotidienne d'un psychologue... "Ils ont le droit de sortir mais ils ne s'aventurent pas très loin", raconte le gestionnaire du centre. Depuis leur arrivée en avion le 11 novembre, avec une halte en Tunisie, les 25 réfugiés trouvent leurs marques, dans un climat paisible.
"Cela faisait plus de quatre mois qu'on était ensemble, au centre d'accueil" libyen où ils ont attendu leur évacuation, "et on espère rester ensemble quand on sera en France", explique Samia, une Erythréenne arrivée avec son mari et ses quatre enfants.
La plus petite n'a pas deux mois, et semble à l'aise dans tous les bras au sein de ce groupe soudé. Aujourd'hui la famille est logée dans une chambre à trois lits, soigneusement faits.
Les paires de chaussures sont alignées sur le carrelage blanc, devant la porte. A l'intérieur, deux valises, quelques jouets. "Ce n'est pas grand, mais c'est juste pour dormir", dit Samia.
La vie se fait dans les pièces communes, la télévision, la terrasse, les jouets pour les enfants. Samia l'assure : C'est pour eux qu'ils partent, "pour qu'ils aient un avenir".
- 'Oublier ce que j'ai vécu' -
Son mari, Mahmoud, a fui un service militaire potentiellement illimité dans son pays, s'est réfugié en Libye, où la situation est devenue intenable pour lui après 2011 : "J'ai été enlevé en pleine rue pour une rançon de 500 dinars" (300 euros), dit-il.
Aujourd'hui, il parle d'"un sentiment de joie", certain "de quitter le pire pour le meilleur".
Parmi les 25 personnes logées là, se trouvent 15 femmes, qui témoignent presque toutes de violences sexuelles, à mots couverts.
Agressée par un chauffeur de taxi en pleine rue "sans que personne ne réagisse autour", Gebere, 35 ans, l'assure : "Mes soeurs ont vécu le même genre de situation. Parfois on n'arrive même pas à en parler entre nous".
"Pour oublier ce que j'ai vécu, il faut que je reparte ailleurs, que j'aille à l'école", raconte Fanous, une Erythréenne de 20 ans emprisonnée en Libye. "J'aimerais travailler dans un salon de coiffure ou de beauté", ajoute la jeune femme aux cheveux soigneusement tirés en arrière, en tripotant la croix de bois pendue à son cou.
Trouver un emploi demandera d'apprendre le français, et de s'adapter à des codes culturels parfois éloignés. Se sentent-ils prêts? "Rien n'est difficile quand on a la volonté", tranche Mahmoud.
Sur la terrasse où elle finit de raconter son histoire, Amina est confiante. "J'entends les armes depuis que je suis née. En Libye, j'ai failli mourir. Je n'ai pas peur".