Le gouvernement a décidé de suspendre provisoirement l’application de l’accord de coopération de Genève de juin 2015 pour le recrutement au Niger de la main-d’œuvre et son transfert en Arabie Saoudite. C’est à la suite d’une communication du ministre de l’Emploi, du travail et de la protection sociale, Mohamed Ben Omar, « sur la situation de plus en plus préoccupante de la main-d’œuvre nigérienne transférée en Arabie Saoudite » que le Conseil des ministres du vendredi 19 janvier dernier a préconisé la suspension de l’application de l’accord. Selon le gouvernement, la suspension court « jusqu’à ce que soit mis en place un cadre juridique, administratif et technique, de nature à protéger les travailleurs nigériens vivant en Arabie Saoudite ».
Le gouvernement fait donc marche arrière et suspend un accord qu’il a pourtant négocié et conclu en 2015 et qui a été présenté à l’époque comme « une opportunité d’emploi » et un « palliatif pour développer l’économie et créer de nouvelles activités génératrices de revenus, moyen essentiel pour lutter contre la pauvreté et l’oisiveté ». C’est en tout cas ce qu’a déclaré le ministre de l’Emploi de l’époque, Salissou Ada, lors de la présentation publique de l’opération de recrutement de main d’œuvre nigérienne pour des prestations de services en Arabie saoudite dans divers domaines (domestiques, chauffeurs, assistantes sociales, ouvriers ou bergers).
Des centaines de ressortissants nigériens ont depuis été recrutées puis envoyées en Arabie Saoudite. Cependant quelques temps après l’envoi des premiers contingents, des informations ont commencé à fuser sur des soupçons d’exploitations des travailleurs migrants par leurs employeurs en « Terre sainte » malgré les règles établies clairement dans les contrats de recrutement et sur les conditions de séjour et de travail des recrutés. Plusieurs témoignages envoyés à travers les réseaux sociaux et qui ont circulé dans le pays ont émue l’opinion sur le calvaire des travailleurs pris en étau dans une sorte d’engrenage infernal. D’après ces témoignages, certaines filles envoyées comme domestiques se plaignent des sévices physiques et même sexuelles qu’elles subissent et appellent les autorités à l’aide afin de mettre fin à leur calvaire en les rapatrier au pays.
C’est visiblement ce qui a poussé le gouvernement à suspendre la mise en œuvre de l’accord et par conséquent le recrutement de la main d’œuvre et son envoi en Arabie Saoudite par le Bureau national pour le placement de main-d’œuvre (BNPM) qui est en partenariat avec l’Agence nationale de promotion de l’emploi (ANPE) et la société saoudienne de recrutement Saudian Man Power Solution. Co (SMASCO). RETOUR SUR UN ACCORD
Pour comprendre ce programme de recrutement de la main d’œuvre, il faudrait remonter à la visite officielle de travail et d’amitié qu’a effectuée, du 10 au 14 mai 2014, le président Issoufou Mahamadou au Royaume d’Arabie Saoudite. C’est à cette occasion que parmi les volets de la coopération bilatérale qui ont été examinés pour donner une nouvelle dynamique, le gouvernement saoudien a réaffirmé sa volonté de développer davantage les relations d’affaires avec le Niger. «Le gouvernement saoudien a particulièrement exprimé son désir d’accueillir sur son territoire, des travailleurs nigériens pour qu’ils viennent y travailler, et que cette opération soit bénéfique pour les deux pays » avait expliqué, lors d’un point de presse d’éclaircissements, l’ancien ministre en poste à l’époque des faits, Salissou Ada. Le gouvernement nigérien a donc donné une réponse favorable aux autorités saoudiennes et à la suite, les deux parties ont paraphé le 5 juin 2015 à Genève en Suisse, l’accord de coopération relatif au recrutement de la main d’œuvre nigérienne.
ENGAGEMENTS CONTRACTRUELS NON TENUS
Afin de mettre en œuvre les termes de l’accord, la SMASCO et le ministère de l’emploi ont engagé une série de négociations, d’abord à Niamey du 22 au 26 juin 2015 et ensuite du 10 au 17 juillet 2015 à Riyad. Le ministre s’était d’ailleurs rendu en visite à Ryad avec comme objectif, « créer les conditions d’une mise en œuvre efficace dudit accord, de créer un cadre permanent d’échange et de concertation permettant de surmonter les difficultés éventuelles, d’examiner les différents types de contrats à établir notamment les propositions salariales et avantages, les congés et transfert des économies des travailleurs ainsi que de constater les conditions de travail en Arabie Saoudite des expatriés recrutés par SMASCO ».
Il convient de noter que l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi (ANPE) et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ont été associées à l’opération de recrutement des nigériens désirant travailler en Arabie Saoudite par la compagnie SMASCO et la gestion des opérations d’embauche a été uniquement confié à l’ANPE. Lors du premier recrutement, le premier contingent devrait être constitué de 1.000 domestiques et femmes de ménage, 1.000 chauffeurs poids légers, 200 chauffeurs poids lourds, 100 jardiniers, 500 infirmières et 100 bergers. Au total, c’est 2.900 personnes qui devront être recrutés sur toute l’étendue du territoire national durant la mise en œuvre du programme avec une première phase dès Août 2015.
Par la suite, les recrutements et les envois se sont succédés à un rythme régulier malgré les premières alertes. En ce début d’année d’ailleurs, plusieurs offres de postes pour « couples » ont été lancées par le BNPM.
Avec la décision de suspendre l’application de l’accord, le gouvernement a visiblement entendu le cri de cœur des travailleurs déjà présents sur le sol saoudien ainsi que les mauvais traitements dont sont victimes certains d’entre d’eux, en particulier les femmes. Le temps, d’après le gouvernement, qu’un cadre adéquat soit mis en place pour garantir le respect des dispositions des contrats par les employeurs saoudiens. Pourtant, dans l’accord suspendu, les clauses du contrat de travail et de séjour prévoyaient des « dortoirs sécurisés » pour les femmes recrutées, la libre circulation pour l’ensemble des employés à qui il sera remis des titres de séjours légaux ainsi que la possibilité de réviser les termes du contrat chaque année.
Il convient enfin de noter que le Niger n’est pas le premier à prendre une telle mesure à la suite d’allégations de sévices sur les travailleurs migrants en Arabie Saoudite. L’Ouganda a aussi décidé en 2015 de suspendre l’exportation de la main d’œuvre à destination de l’Arabie Saoudite avant que les deux pays ne conviennent d’un nouveau cadre de coopération en la matière avec de nouvelles garanties pour les employés de maison et autres travailleurs recrutés dans le cadre de ces accords que Riyad multiplie avec les pays africains pour combler son déficit en matière de main-d’œuvre dans des secteurs et pour des services bien déterminés.