DISCOURS DE SEM ISSOUFOU MAHAMADOU À L’OUVERTURE OFFICIELLE DU COLLOQUE NATIONAL DES EXPERTS POUR LA VALIDATION DU PROGRAMME DE RENAISSANCE CULTURELLE:
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Haut Représentant du Président de la République,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Représentants des Organisations Internationales,
Mesdames et Messieurs,
Le 12 Février dernier, à l’occasion de la session inaugurale du deuxième mandat du Conseil Économique et Social, j’avais évoqué la question fondamentale de la renaissance culturelle qui constitue l’axe un (1) du plan de la renaissance. J’avais rappelé que la renaissance culturelle a pour objectif les trois modernisations : la modernisation sociale, la modernisation politique et la modernisation économique. J’avais évoqué les valeurs à promouvoir et les contre valeurs à combattre dans cette perspective. J’avais abordé des thèmes comme le contenu de la modernisation sociale, la famille, l’unité nationale, les mariages précoces ou forcés, la scolarisation de la jeune fille, la transition démographique, la corruption, la salubrité et la protection de l’environnement.
Le présent colloque me donne l’occasion d’approfondir cette question, sans revenir sur tous les aspects déjà traités devant les membres du Conseil Économique et Social.
D’abord que voulons-nous ? Nous voulons le progrès pour notre pays, la promotion des Nigériens et des Nigériennes, leur épanouissement sur le plan tant spirituel que moral et matériel. Nous voulons le renforcement des capacités d’action collective de notre peuple. Dans l’histoire, seuls les religions, le marxisme et le nationalisme ont pu créer les conditions de la mobilisation de l’action collective au niveau le plus élevé. Sur quelles valeurs pourrons-nous nous appuyer et quelles contre-valeurs nous faudra-t-il combattre, pour réaliser une telle ambition ? Telle est la question majeure, la question difficile à laquelle le Gouvernement a décidé de s’attaquer.
Mesdames et Messieurs,
En Occident, on entend généralement par modernisation sociale, la suppression de la parenté par l’individualisme. L’église catholique, en instaurant l’héritage bilatéral, en interdisant l’endogamie, en encourageant l’exogamie, en interdisant l’adoption d’enfants, le divorce et le concubinage aurait été l’agent involontaire de cette transformation qui a bouleversé les rapports sociaux. L’individualisme au sein de la famille qui en est résulté s’est transformé en égoïsme au point où a disparu toute piété filiale. Cette mutation a eu des effets positifs sur le plan politique, en créant une liaison directe entre l’individu et l’État, et sur le plan économique, en favorisant notamment l’épargne mais, elle a eu des effets désastreux au plan social comme le prouve le niveau élevé de suicides dans les sociétés occidentales. Pour cette dernière raison, la modernisation sociale que nous voulons pour le Niger doit suivre une autre voie. Il est bon de noter que la modernisation sociale, en Occident, ne serait pas le résultat d’une décision politique, mais la conséquence involontaire des mesures au niveau religieux qui ont transformé la société sur plusieurs siècles.
La modernisation que nous voulons pour le Niger, c’est la cohésion et la stabilisation de la cellule familiale cimentée par la solidarité qui bannit la paresse, l’oisiveté, la mendicité et la mentalité d’assisté. Nous devons tout faire pour éviter la crise de la famille que connaît l’occident où les parents ont démissionné devant leurs responsabilités et où les enfants abandonnent leurs parents dans des asiles, les condamnant à une mort sociale en attendant leur mort biologique.
La modernisation sociale que nous voulons pour le Niger, c’est la détribalisation de notre société, c’est la suppression conformément à notre constitution, des rapports sociaux fondés sur le clanisme, le tribalisme, le régionalisme et le communautarisme.
La modernisation sociale que nous voulons c’est celle qui tourne le dos à la superstition qui nous conduit, par exemple, à penser que ce sont les sorciers qui sont à la base de tous nos maux notamment la mort, les accidents, les famines, les sécheresses, les inondations, les mauvaises récoltes, les épidémies etc…. C’est une telle conception du monde qui amène les gens à s’arc-bouter les uns contre les autres dans des haines, parfois héréditaires, des jalousies et des instincts profonds de destruction. Les spécialistes appellent ce comportement « identité meurtrière » et parlent de « l’Afrique qui tue l’Afrique ». Ce comportement c’est celui de ceux qui ne pardonnent à personne, un succès, une réussite. C’est celui de ceux qui sont prêts à accepter qu’on leur crève un œil à condition qu’on en crève deux à chacun leurs voisins. Malheureusement on sous-estime les conséquences désastreuses de ce comportement, en se contentant de dire : « c’est l’Afrique est ses mystères ». Or, en se trompant de diagnostic, on se trompe forcément de solution. Considérer, par exemple que le paludisme, les inondations, la sécheresse ou la famine sont des manifestations d’un pouvoir surnaturel que détiendrait un sorcier, c’est renoncer de recourir à la nivaquine, à la réalisation de digues, à la lutte contre les effets des changements climatiques, au recours à l’irrigation. Dieu a doté l’homme de toutes les facultés pour faire face à tous les maux, pour entendre, pour voir, pour sentir, pour réfléchir et agir. Nous devons donc encourager la curiosité et la recherche des causes, interroger la nature, l’observer et au besoin l’affronter. La foi en Dieu plus la raison, telle est la solution. En particulier, l’Islam rejette la superstition qui est considérée comme du shirk. Nous connaissons tous l’histoire de la mort d’Ibrahim, fils du Prophète (PSL). Cette mort ayant coïncidé avec une éclipse solaire, aux gens qui ont fait le lien entre les deux évènements le Prophète (PSL) a répondu : « le soleil et la lune sont deux signes d’Allah ; ils ne s’éclipsent sur la mort et la vie de personne ». Affronter la nature et la transformer, c’est la plus grande preuve que nous pouvons donner de notre croyance en Dieu qui nous a dotés de facultés remarquables. Nous devons sortir d’une conception mystique et magique du monde si nous voulons sortir notre peuple de la misère et de la pauvreté.
Par ailleurs, contrairement à ce qu’ on a constaté à certaines époques, en particulier contrairement à ce qu’on constate aujourd’hui avec le terrorisme, dans le cas de l’Islam, la religion n’a pas toujours été un facteur de discorde, de conflit ou de violence. Elle a eu un rôle important dans le renforcement des normes, l’étayage des communautés, et le renforcement de la solidarité. Cela se constate aussi bien dans le cas de l’Islam, de la religion chrétienne, du judaïsme que de l’animisme. Dans ce dernier cas par exemple, le pouvoir des ancêtres a été très fort, la communauté étant la chaîne des générations depuis les ancêtres morts jusqu’aux enfants non encore nés. La parenté, dans les sociétés animistes est chargée d’une signification religieuse associée à des sanctions surnaturelles. La religion joue dans ces communautés un rôle fonctionnel important en facilitant l’action collective à vaste échelle. La croyance religieuse permet aux gens d’atteindre des objectifs que les seules motivations matérielles n’auraient permis. Du reste, il en est ainsi de toutes les convictions. La renaissance culturelle peut puiser dans l’Islam et les autres religions beaucoup de valeurs qui peuvent faire progresser notre société à condition que la foi soit l’alliée de la raison
Mesdames et Messieurs,
La modernisation politique peut contribuer à la création des conditions de mobilisation collective de notre peuple.
On entend généralement par modernisation politique, l’émergence d’États bureaucratiques centralisés et puissants, avec une administration impersonnelle, non patrimoniale, caractérisée par la séparation de la fonction et du fonctionnaire, basée sur des recrutements fondés sur le mérite, sur une discipline au sein d’une hiérarchie, avec une spécialisation des fonctions et une compétence technique.
La modernisation politique que nous voulons, pour le Niger, c’est l’établissement d’institutions démocratiques fortes et stables, dotées d’une administration qui a toutes les caractéristiques que nous venons d’évoquer. Nous en sommes malheureusement loin, ce qui affaiblit nos capacités d’action collective. Les réussites des démocraties modernes sont liées à la force de l’Etat et leurs échecs à ses faiblesses. Sans être exhaustif, permettez-moi de citer quelques faiblesses de nos institutions, qui constituent un obstacle à la modernisation politique, donc aux capacités de mobilisation collective :
- La faible capacité de l’appareil judiciaire,
- La corruption,
- La faible capacité à lever l’impôt,
- Les menaces des organisations terroristes et criminelles,
- Les replis identitaires notamment le communautarisme,
- La mauvaise compréhension du rôle des partis politiques et de la société civile,
- La vaste étendue du territoire avec des zones à faible densité de population,
La justice est le fondement de tout État puissant. La formation des États Européens, par exemple, surtout au début de leur création, a reposé sur une capacité à dispenser la justice. C’est plus tard que la guerre a été, comme en Chine avant elle, le moteur de la construction étatique en Europe, à travers les exigences fiscales de la mobilisation militaire. La responsabilité des pouvoirs publics en Europe a signifié, dès le départ, le respect de la loi. La justice est une des aspirations les plus fortes du peuple Nigérien. La promotion de cette valeur est un des facteurs les plus importants de la modernisation politique. Cela suppose une justice indépendante, une justice déléguée, c'est-à-dire une justice rendue au nom de la loi, au nom du peuple souverain, une justice exempte de corruption.
La lutte contre la corruption est justement le deuxième facteur de la modernisation politique car, la corruption annihile les capacités de mobilisation collective de l’État. Il est important d’approfondir les raisons de la persistance de cette plaie à laquelle certains trouvent une origine biologique du fait de sa liaison avec le népotisme qui tend à se développer s’il n’y a pas une force qui le freine. Cette force qui freine ne peut être que l’État et c’est pourquoi nous avons besoin d’institutions fortes et stables.
L’impôt est, quant à lui, l’instrument, par excellence, d’organisation de la solidarité et de financement de réalisations collectives. La modernisation politique nécessite que l’État démocratique fort et stable, que nous voulons, dispose de ressources fiscales abondantes. Sans impôt aucune réalisation d’intérêt collectif n’est possible. Sans impôt il n’y a ni sécurité, ni infrastructures routières, scolaires, médicales, hydrauliques, ni aucun autre service public. La renaissance culturelle doit promouvoir le civisme fiscal.
Le terrorisme et les organisations criminelles nous imposent une guerre sans merci. Ils sont contre la modernisation politique de notre pays. Leur ambition est de détruire l’État démocratique et de renvoyer notre société au moyen âge. Si nous arrivons à les vaincre, la guerre qu’ils nous imposent peut être un facteur favorable à la construction d’un État moderne comme se fut le cas en Chine où la guerre a permis l’instauration d’une administration impersonnelle ou comme en Europe où la guerre a rendu indispensable la mise en place des capacités de levée d’impôt et la mise en place d’armées puissantes. Celle-ci est justement un de nos objectifs. C’est le lieu d’appeler tous les Nigériens à un sursaut patriotique. Le patriotisme c’est une des valeurs cardinales que doit promouvoir la renaissance culturelle. C’est le lieu de demander à tous les patriotes d’apporter leur soutien, non seulement à nos forces de défense et de sécurité, mais aussi aux forces armées alliées qui se battent avec parfois des pertes en vie humaine. Je demande à tous les patriotes de dénoncer, sans ambiguïté l’agression des terroristes et des organisations criminelles contre notre peuple. Ne pas le faire ou, pire, faire le contraire, ne peut qu’être l’œuvre d’éléments d’une cinquième colonne que nous démasquerons tôt ou tard et que nous punirons conformément à la loi.
Un État démocratique et Républicain est constitué de citoyens tous égaux. L’État ne reconnaît pas les groupes identitaires qui ont tendance à saper son autorité et à déliter la cohésion sociale. Désormais le Gouvernement fera preuve de fermeté dans l’application des lois. Par ailleurs, de la même façon que l’Europe est sortie du tribalisme grâce à la religion catholique, notre société peut sortir du tribalisme et du communautarisme en puisant dans les valeurs de l’Islam et des autres religions qui existent sur notre territoire. Du reste, je me réjouis de constater que la plupart de nos compatriotes sont détribalisés, comme le prouve l’histoire politique de ces trente (30) dernières années
La mauvaise compréhension du rôle des partis politiques et la pratique politique qui a cours dans notre pays constituent un autre obstacle à la modernisation politique. Les partis politiques et le Gouvernement et les partis politiques doivent s’efforcer, en particulier, de faire des nominations fondées sur la compétence et le mérite en vue de la mise en place d’une administration réellement impersonnelle. Les pratiques actuelles, en matière de nomination, constitue un facteur majeur d’affaiblissement de l’État. C’est aussi le cas de certains agissements de la société civile qui n’arrive pas toujours à sortir du rôle qui était à l’origine de sa création : affaiblir et déstabiliser les États du camp socialiste pendant la guerre froide.
Mesdames et Messieurs,
La modernisation sociale et la modernisation politique doivent servir la modernisation économique.
La modernisation économique est généralement définie comme étant le développement d’une économie de marché capitaliste et une division de travail à grande échelle.
L’objectif du plan de la renaissance est de restructurer notre économie. Celle-ci suppose, non seulement la modernisation du secteur primaire, c'est-à-dire la transformation du monde rural, mais aussi l’accroissement du poids des secteurs secondaire et tertiaire dans le PIB. Quels sont les obstacles culturels qui s’opposent à cette modernisation ? Ces obstacles sont : la désinvolture au travail, la mentalité d’assisté, le gaspillage notamment les dépenses ostentatoires, l’étouffement des initiatives privées, la recherche du gain facile, la peur du risque, le faible niveau d’éducation, de formation et d’instruction, un faible niveau d’aspiration, une faiblesse de l’entreprenariat, le cercle vicieux de la faiblesse des revenus, de la demande et de l’épargne, la faiblesse des investissements, de la productivité. Pour surmonter ces obstacles, nous devons nous inspirer des valeurs traditionnelles et religieuses qui magnifient le travail mais aussi de l’expérience d’autres pays, notamment de certains pays asiatiques. En effet, les valeurs dites asiatiques, tirées notamment du confucianisme (organisation familiale des entreprises comme les « Chaebols » en Corée du Sud et les « Zaibatsu » au Japon, sens de la hiérarchie, don de soi au profit du bien collectif, ) ont contribué au développement économique des quatre dragons (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan) et du Japon. Nous devons aussi étudier de très près les raisons de la réussite chinoise.
Il semble que la réussite de ces pays, caractérisée par un esprit novateur et une société sans ostentation, repose sur la stratégie suivante : esprit asiatique, technologie occidentale ; un ensemble de mesures d’encouragement grâce auxquelles il a été rentable d’investir dans des activités à forte proportion de main d’œuvre en économisant des capitaux et une main qualifiée peu abondante ; une large intervention des pouvoirs publics dans l’économie destinée à contrebalancer les distorsions susceptibles de se produire dans une économie de marché ; l’acceptation des contraintes qu’implique le libre jeu de la concurrence, se traduisant essentiellement par des mesures destinées à inciter l’industrie à être concurrentielle sur le marché mondial et donc à faire preuve d’efficience ; une forte rentabilité des investissements et un milieu politique et administratif où les décisions sont rarement arbitraires ou dictées par des considérations personnelles ; l’éducation et l’intégration des femmes ; les traditions culturelles : ainsi le dicton, « le groupe l’emporte sur l’individu » ou « la famille l’emporte sur l’individu », devient « l’État l’emporte sur l’individu » ; les critères plaçant l’individu dans la hiérarchie sont la vertu et le mérite ; la cohésion du groupe est primordiale ; l’individualisme est assimilé à de l’égoïsme.
En résumé, les valeurs confucéennes, à la base de la réussite du modèle asiatique sont : éthique professionnelle, souci de l’épargne, zèle, respect pour l’instruction, souci d’éviter les conflits dans les relations sociales, loyauté à l’égard de la hiérarchie, importance attribuée à l’ordre et à l’harmonie.
Nous devons donc nous atteler à faire évoluer les mentalités sur toutes les questions que nous venons d’évoquer.
Mesdames et Messieurs,
Une fois les valeurs et les contre-valeurs identifiées nous avons besoin de vecteurs au moyen desquels nous pouvons les promouvoir ou les combattre. Ces vecteurs sont : les institutions, la famille, l’école y compris l’école coranique, les leaders d’opinion (chefs traditionnels, chefs religieux, opérateurs économiques), les lieux de culte (mosquées et églises), les médias y compris les réseaux sociaux, les chants, le théâtre, la littérature, le cinéma etc…
La tâche que nous assigne la renaissance culturelle exige, comme vous l’aurez certainement remarqué, la mobilisation d’une équipe pluridisciplinaire comprenant des économistes, des sociologues, des historiens, des démographes, des psychologues, des politologues, des anthropologues etc…C’est la justification de la tenue du présent colloque. Mes propos liminaires ci-dessus sont destinés à lancer le débat. Nous cédons la place aux spécialistes dont les échanges nous permettront de disposer d’un document exploitable sur la renaissance culturelle en vue de la modernisation sociale, politique et économique de notre pays. En souhaitant pleins succès à vos travaux, Mesdames et Messieurs les experts, je déclare ouverts les travaux du colloque sur la renaissance culturelle.