C’était un campement touareg balayé par des rafales de simoun saharien. C’est aujourd’hui une ville qui porte la marque de son développement comme de sa décadence. A Arlit, dans le nord du Niger, l’uranium a nourri des espoirs depuis que le groupe français Areva (renommé Orano en janvier) a commencé à en exploiter les gisements dans les années 1970. Nomades et travailleurs venaient nombreux dans cette région aride remplir la cité ouvrière que l’on appelait alors « le second Paris ». Aucun ne se doutait du danger invisible de la radioactivité.
Quarante ans plus tard, le Niger est devenu le deuxième fournisseur d’uranium d’Areva, mais l’exploitation des mines de la Cominak et de la Somaïr a contaminé la population dans ses activités quotidiennes. C’est dans les rues ensablées de son enfance qu’Amina Weira, réalisatrice nigérienne de 29 ans, a posé sa caméra face aux anciens qui ont vécu les débuts de l’exploitation minière. Dans ce film intitulé La Colère dans le vent et présenté à Dakar dans le cadre du festival Films Femmes Afrique, elle montre la menace invisible qui plane sur Arlit. Entretien.
Lire aussi : Areva au Niger : plusieurs centaines de licenciements en perspective
Dans votre film, le protagoniste principal est votre père. Vous visitez vos proches et contez la ville de votre enfance. Pourquoi avoir choisi ce cadre intimiste ?
Amina Weira Parce que la mine a toujours fait partie de nos vies. Mon père y travaillait comme électricien. Quand mes sœurs et moi le voyions partir au travail, on imaginait qu’il allait dans un bureau. La mine, on la voyait de loin, jusqu’à ce qu’en 2010 on visite son lieu de travail et qu’on se rende compte qu’il descendait dans ce grand trou. J’ai alors décidé de faire un film à ce sujet. J’ai rapidement compris, après des recherches, que derrière cette activité se cachait autre chose de moins visible : l’irradiation. J’ai donc dirigé mon film sur l’aspect sanitaire.
Comment vous êtes-vous rendu compte de l’impact de la mine sur la santé des habitants ?
Quand j’étais petite déjà, la mère d’un de mes camarades avait des problèmes de santé à chaque fois qu’elle venait à Arlit. Il fallait l’évacuer à Niamey, à plus de mille kilomètres, pour la soigner. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne pouvait pas vivre ici. Plus tard, quand j’ai voulu faire le film, j’ai questionné des scientifiques et des médecins sur les dangers de l’activité minière. À Arlit, il y a beaucoup de problèmes de santé. Difficultés respiratoires, cancers, femmes qui accouchent d’enfants mal formés… Petits, on voyait tout ça, mais on ne faisait pas le lien. Les gens avaient l’habitude de dire, comme souvent en Afrique, « c’est son destin, c’est Dieu qui lui a donné un enfant comme ça ». Ce sont surtout les retraités de la mine qui sont touchés. Beaucoup meurent de paralysies et de maladies étranges.
Lire aussi : Niger : où est passé l’argent de l’« uraniumgate » ?
Dans le documentaire, vous montrez cette poussière radioactive, l’eau empoisonnée, les maisons construites avec la terre des mines, la nourriture contaminée, le bétail qui meurt…
Je voulais faire ressortir la vie quotidienne, montrer toutes les activités de la ville. On voit la fabrication des marmites : les gens récupèrent la ferraille de la mine, la fondent et la transforment en ustensiles de cuisine qu’ils vendent à la population ou exportent au Nigeria. Ils ne mesurent pas le danger de cette activité. Lorsqu’ils fondent le fer, la radioactivité se libère. C’est là qu’Areva doit intervenir, en empêchant la population de récupérer cette ferraille contaminée.
Des maisons doivent même être détruites car les murs d’argile contiennent de la radioactivité.
Il faut comprendre qu’au début, Arlit était un campement, une cité de mineurs, puis les gens sont venus s’installer, espérant tirer profit de cette activité. Aujourd’hui, il y a près de 150 000 habitants, dont environ 4 000 travailleurs de la mine. Areva a créé cette ville de toutes pièces. Il fallait que les travailleurs aient toutes les conditions possibles pour rester. Ils avaient des enfants, il a fallu des écoles. Ils étaient malades, il a fallu des hôpitaux. Pour construire, les habitants ont utilisé l’argile contaminée autour d’eux. Certains quartiers sont à moins de 200 mètres de la mine. Les normes ne sont pas respectées. Et les tempêtes de sable propagent la radioactivité dans la ville.
Lire aussi : Affaire UraMin : la chute d’Anne Lauvergeon vue d’Afrique
On voit aussi des femmes dont le bétail meurt inexplicablement.
Quand on boit l’eau d’Arlit, on sent qu’elle n’est pas tout à fait potable, qu’elle est différente du reste du pays. Les femmes parlent des employés d’Areva qui ne boivent que de l’eau minérale, alors qu’elles n’ont pas les moyens. Une des mines se trouve en dessous de la nappe phréatique. Certains se font donc livrer l’eau des régions voisines. Un château d’eau vient d’être construit, mais il n’est pas suffisant pour alimenter toute la ville.
Vous ne présentez pas votre film comme une enquête, il n’y a pas de scientifiques ou d’organisations qui viennent appuyer vos propos. Pourquoi ?
Je n’ai pas voulu m’attarder sur les chiffres, mais donner la parole à la population. Trop souvent, on donne la parole aux responsables d’Areva. Mais de nombreuses organisations ont fait des recherches et des analyses sur la radioactivité de la région, comme la Criirad [Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité], Greenpeace, l’OMS [Organisation mondiale de la santé]. Les taux de radioactivité sont supérieurs au reste du pays.
Lire aussi : Areva devient Orano pour tourner la page des années Lauvergeon
Que reprochez-vous à Areva ?
Qu’ils se soient accaparé nos richesses sans prévenir les travailleurs des risques encourus. Ils ont tablé sur l’ignorance de la population pour faire du profit. Les ouvriers vivent dans une cité où ils ne paient ni l’eau, ni l’électricité, ni le loyer. Il y a un certain luxe qui permet de les conserver dans le silence, car il est difficile de cracher dans la soupe. Le Niger a un taux de chômage très élevé. Un jeune sans emploi ne va pas y penser à deux fois si on lui propose ces avantages. Il s’habitue à ce luxe et même s’il se rend compte des effets néfastes sur sa santé, il ne dira rien de peur de perdre son travail.
Avez-vous subi des pressions d’Areva durant le tournage ?
Non, pas du tout, ce sont plutôt les autorités nigériennes qui ont voulu me bloquer. J’avais obtenu des autorisations de tournage du Centre national de la cinématographie et de la mairie d’Arlit. On s’est fait arrêter deux fois, mais puisque j’étais en règle, ils m’ont laissée tranquille. Le titre du film, La Colère dans le vent, m’a beaucoup aidée. Ils ont cru que je faisais un film sur le vent, le désert, sans trop chercher à connaître le synopsis.
Lire aussi : Au Niger, Macron veut mettre en scène sa stratégie pour le Sahel
Pourquoi le film a-t-il été censuré au Niger ?
Par peur. Quand je propose le film à des exploitants de salles de cinéma, ils me répondent qu’ils ne veulent pas de problèmes. Ils ont peur que mes producteurs, qui font partie du milieu alternatif, soient perçus comme des opposants. J’ai diffusé mon film dans plusieurs instituts français en Afrique. Celui de Niamey voulait aussi le diffuser, mais il n’a pas reçu l’aval de l’ambassade de France.
Cette crainte est aussi présente dans la population ?
Le mot Areva fait peur. C’est un sujet tabou, sauf si c’est pour magnifier l’entreprise. Les gens ont envie de parler, mais comme le gouvernement nigérien, ils se sentent impuissants face à cette multinationale. Quand je faisais mes repérages, beaucoup de personnes me disaient que je me mettais en danger. Ici, lorsqu’on parle d’Areva, c’est comme un Dieu, il ne faut pas appeler son nom à haute voix.
Lire aussi : Total en Angola, Areva au Niger : plus de 100 millions de dollars évaporés
Le film a-t-il eu du succès à l’étranger ?
Oui, il a fait le tour du monde depuis 2016 et a remporté une dizaine de prix. Après le Brésil et les États-Unis, j’ai été invitée au Japon. Je ne pensais pas un jour faire un film qui serait vu jusque là-bas. C’est une fierté, je me dis que mon travail a servi à quelque chose. Mais j’ai fait ce film pour mon pays d’abord et j’espère qu’un jour il pourra y être vu.
Vers la fin du film, un groupe de jeunes Nigériens dit : « Nous avons la richesse dans notre sous-sol, mais tout ce qu’on nous laisse, c’est la radioactivité. » Est-ce un sentiment partagé ?
Ces jeunes font partie d’une association dont le slogan est : « l’après-mine ». Ils se disent que l’uranium est une ressource naturelle qui s’épuisera un jour ou l’autre. A Arlit, qui n’existe que par l’uranium, si cette ressource disparaît ou si Areva décide de ne plus l’exploiter, que va-t-on devenir ? La ville va-t-elle continuer d’exister ? Si Areva s’en va aujourd’hui, le seul héritage qui leur restera, ce sont ces déchets radioactifs. Il faut prévoir cet « après-mine » maintenant. Il faut se préparer à ça.