Engagé dans la lutte contre le terrorisme, le pays y consacre 15 % de son budget. Deux ans après sa réélection, Mahamadou Issoufou doit aussi trouver les moyens d’honorer ses promesses en matière de développement économique et social. Avec des choix loin d’être populaires.
Peut-on, lorsque l’on est ministre, être jaloux d’un autre membre du gouvernement, de ses prérogatives, de son influence et, surtout, du budget de son département ? Officiellement, non.
Dans son bureau du ministère de la Défense, sous une grande carte du Niger, Kalla Moutari esquisse d’ailleurs un sourire à l’évocation d’un tel cas de figure. « Il n’est pas question de jalousie au sein du gouvernement nigérien, répond le ministre. Tous ses membres sont conscients de la nécessité de donner une priorité à la défense, à la sécurité de la nation et de ses frontières. Le budget de l’État est une œuvre collégiale. »
Il est vrai que Kalla Moutari dispose d’un atout de poids pour obtenir les crédits suffisants à l’action de l’armée nigérienne : le ministre des Finances, Hassoumi Massaoudou, est aussi son prédécesseur, et il n’oublie pas les impératifs sécuritaires du pays.
Engagée sur trois fronts, aux frontières libyenne, malienne et nigériane, l’armée a déjà pu se renforcer en véhicules blindés. Elle compte faire de même avec sa flotte d’aéronefs afin de frapper les colonnes jihadistes qui s’infiltrent depuis le nord du Mali, attendant une bonne occasion d’achat ou de location.
« Cela nous coûte des milliards, notamment en entretien, mais nous savons que c’est le prix à payer, poursuit Kalla Moutari. Personne ne se plaint que la défense du territoire capte les ressources. Notre pays bénéficie d’une relative sécurité, nous le devons à la coopération internationale et, surtout, aux moyens mis en place. »
« Tayi tawri », « les temps sont durs »
Les chiffres ont cependant pu faire grincer des dents. En 2017, la part du budget de l’État allouée à la défense nationale avoisinait les 15 %. Pour les autres secteurs, c’est la portion congrue.
« Selon le programme présidentiel, l’éducation aurait dû représenter 25 % du budget, or sa part aujourd’hui est d’environ 10 %. Même chose pour l’accès à l’eau potable, qui n’a pas reçu la moitié du financement qui était prévu. Quant à la justice, elle représente moins de 1 % du budget aujourd’hui, alors qu’on avait fait de la lutte contre la corruption une priorité », reconnaît un responsable gouvernemental. Autre chiffre inquiétant : la part du déficit estimé imputable aux chocs sécuritaires et alimentaires a atteint environ 50 % du PIB l’an dernier.
Résultat, le gouvernement a dû procéder à des économies. À l’occasion du projet de loi de finances adopté à la fin de novembre 2017, les salaires des fonctionnaires ont été limités à 33,2 % du budget de l’État, lequel, suivant les conseils des bailleurs de fonds internationaux, a choisi d’élargir l’assiette fiscale en introduisant de nouvelles dispositions dans le code général des impôts (CGI) : réforme de la taxe d’habitation, taxe synthétique, réintroduction de taxes sur certains services et produits de première nécessité (huiles alimentaires, sucre, lait en poudre)…
Le gouvernement espère augmenter sensiblement le niveau des recettes de l’État, qui représentent actuellement moins de 15 % du PIB, afin de dégager des marges de manœuvre pour l’éducation et la santé. Un choix considéré comme antisocial par une frange de la société civile.
Si ces mesures sont adoptées, tous les prix vont s’envoler et nos foyers en souffriront
« Tayi tawri… » (« les temps sont durs », en haoussa), murmure-t-on dans les rues de la capitale comme à Agadez. « Si ces mesures sont adoptées, tous les prix vont s’envoler et nos foyers en souffriront », criait une femme lors de la manifestation contre la loi de finances, à Niamey, le 31 décembre 2017.
Auparavant, ce sont les étudiants et les magistrats qui avaient battu le pavé de la capitale, sans que le gouvernement fléchisse. « Ces mesures ne touchent pas les pauvres mais les plus riches », s’est quant à lui défendu Hassoumi Massaoudou devant les députés. « L’initiative 3N [Les Nigériens nourrissent les Nigériens] est toujours sur les rails malgré les faiblesses du budget », souligne un autre membre du gouvernement.
Un contexte économique difficile
Réforme de l’agriculture, construction d’infrastructures – comme le troisième pont de Niamey –, électrification, irrigation, restauration des terres cultivables, hausse de la durée de scolarisation obligatoire pour les filles, création de classes supplémentaires, formation des enseignants, nouveaux magistrats… Les chantiers restent nombreux.
« Des efforts ont certes été faits, mais le contexte économique est vraiment difficile, confient des diplomates en poste à Niamey. Tout est lent à se mettre en place, même si Mahamadou Issoufou a une vision pour le pays. Il a pris un rôle de leadership au Sahel, il est très bien vu des dirigeants occidentaux, et il s’en sert. Comme à Paris, à la mi-décembre », où le Niger a récolté 23 milliards de dollars de promesses de financement de la part des bailleurs de fonds internationaux et du secteur privé pour son Plan de développement économique et social (PDES) 2017-2021.
Issoufou lance des chantiers, puis les abandonne parce qu’il ne peut pas payer
« Issoufou utilise le contexte sécuritaire pour ne pas tenir ses engagements électoraux », tempête un ténor de l’opposition, qui dénonce les pénuries de produits de première nécessité, notamment dans le secteur de la santé. « C’est “monsieur première pierre”. Il lance des chantiers, puis les abandonne parce qu’il ne peut pas payer. Résultat, rien n’est fait ! »
Il ne reste que trois ans au président nigérien pour infirmer cette assertion. La Constitution ne lui permettant pas de se représenter en 2021, après deux quinquennats, à moins de la réviser, Mahamadou Issoufou devra passer la main et offrir au Niger sa première alternance démocratique. Il sera alors temps de faire le bilan.
Jeunesse oblige
Avec 68,9 % de la population âgés de moins de 25 ans, dont 3 millions ont entre 15 ans et 24 ans, l’éducation et la formation sont prioritaires. Si le poids des dépenses de sécurité ne lui a pas permis d’y consacrer le quart de son budget, comme il l’avait prévu, l’État a cependant ouvert 15 000 nouvelles classes et fait passer de 8 % à 25 % la part de l’enseignement technique et professionnel dans le système éducatif au cours du quinquennat 2011-2016.