Il aurait eu 100 ans aujourd’hui. La mémoire de Nelson Mandela est honorée, ce mercredi 18 juillet par toute l’Afrique et par les grandes figures, Barack Obama en tête, qui ont fait le déplacement en Afrique du Sud. 70 ans, 80 ans, 90 ans... A chacun de ces anniversaires de Madiba, il s’est passé quelque chose. L’écrivain Georges Lory est un spécialiste de l’Afrique du Sud. Il est l’auteur de 136, un poème unique traduit en 136 langues aux éditions Bruno Doucey. Il va publier le mois prochain aux éditions du Seuil L’abattoir de verre, un recueil de nouvelles de John Coetzee, traduit en français par ses soins. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Cent ans. C’est l’heure d’un premier bilan : Nelson Mandela a-t-il réalisé son rêve ?
Georges Lory : Oui. Son rêve premier, c’était d’établir la démocratie en Afrique du Sud, il y est parvenu. Il y a passé toute sa vie, mais de ce point de vue là, il a réussi sa vie.
Quel est son grand œuvre ?
Son grand œuvre est d’avoir réussi la transition démocratique en Afrique du Sud. Souvenons-nous que le pays était sur un volcan, menacé de plusieurs guerres civiles non seulement entre Noirs et Blancs, mais au sein de la communauté zoulou. Il a réussi une transition que d’aucuns ont qualifiée de miraculeuse, mais qui tient probablement à son sens du dialogue et à son excellente compréhension du fonctionnement de son propre parti.
Et pourtant, il est critiqué. Winnie Mandela disait ces dernières années : « Il nous a laissés tomber »
C’est le sentiment qu’ont plusieurs personnes au sein de la communauté noire, qui ont eu l’impression que seule une frange de la population noire a bénéficié de la démocratie depuis 1994. Il est vrai que ceux qui sont au chômage, ceux qui ne sont pas des « black diamonds » - ceux qui réussissent dans les affaires ou dans l’administration - se sentent laissés-pour-compte et Winnie Mandela était leur porte-parole. C’est exact. Mais ce serait aussi oublier que Mandela a fait de gros efforts en matière d’électrification des townships, en matière d’adduction d’eau et, avec un petit retard mais avec du succès, en matière de logements sociaux.
Et de son côté Robert Mugabe, l’ex-président zimbabwéen, disait : « Mandela est allé un peu trop loin dans son souci de bien faire avec les communautés non africaines et cela dans certains cas au détriment des Noirs. C’est être trop bon, trop gentil, c’est presque de la sainteté »
Oui, effectivement. D’aucuns ont qualifié Mandela de la personne la plus proche d’un saint actuellement vivant. Mais non, Mandela n’était pas un saint. Il a simplement voulu éviter une situation « la valise ou le cercueil » qui aurait poussé les Blancs à quitter massivement l’Afrique du Sud, mettant en péril son économie. Donc c’est exact qu’il a été assez conciliant avec la communauté blanche et que les départs ont été finalement assez modérés. Pour autant, je crois que, pendant les cinq ans où il a exercé le pouvoir, il ne s’est pas montré insouciant face aux demandes des Noirs. C’est vrai que les circonstances économiques n’ont pas permis de réduire massivement le chômage.
De ses trois successeurs - Thabo Mbeki, Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa - quel est à votre avis le vrai héritier de Nelson Mandela ?
Sans aucun doute, je dirais que c’est Ramaphosa. Son sens du dialogue est tout à fait poussé et rappelle celui de son mentor. Ramaphosa, Mandela l’avait choisi comme successeur en 1994 et il s’est rangé en maugréant, mais il s’est rangé à l’avis de la majorité du Comité national exécutif [de l’ANC] qui avait choisi Thabo Mbeki pour des raisons d’équilibre. On peut penser que la proximité entre les deux hommes est telle que Cyril Ramaphosa peut se montrer comme l’héritier direct de Mandela.