Le lundi 18 juin, vers 18h, les habitants du village de Rankama, appuyés d'hommes de deux villages voisins, attaquent le hameau voisin de Zangon Samaila. 4 personnes dont le chef du village, la jambe cassée précédemment dans un accident de moto, un de ses frères, un des ses fils et une femme, annoncée au début comme " portée disparue ", n'avaient eu cette chance. Telle est la version communément racontée.
Informées des horribles évènements qui se passaient dans la commune rurale de Dan Goulbi, les autorités régionales et départementales se sont immédiatement précipitées sur les lieux pour apporter les premières compassions aux populations meurtries et participer à l'inhumation des premiers corps retrouvés. Que s'est-il réellement passé ce jour là entre les deux communautés de Rankama et de Zangon Samaila ? Comment en est on arrivé à cette extrémité ?
Une soirée de provocation et d'horreur !
Sur place les témoignages recueillis décrivent une soirée de vendetta, digne d'un film d'horreur classique. En ce jour fatidique, deux personnes de Zangon de Samaila, dont le frère du chef récemment venu du Nigéria, armées d'un fusil et d'un sabre, se rendent à Rankama situé à moins d'un km de leur hameau. Pour des raisons non encore établies, le frère du chef aurait tiré sur un groupe de personnes assises à la place du village. Mais les habitants de Rankama étaient réputés invulnérables. Personne n'avait été touché. Egalement armés, l'un d'eux avait pris son fusil et d'une seule salve, avait " neutralisé l'assaillant ". Le deuxième, armé seulement d'un sabre, sentant le rapport de force basculer, prit ses jambes à son cou, mais serait vite rattrapé et exécuté à son tour. C'est alors que la folie vengeresse prend le dessus. Arrivés autour du hameau, les poursuivants de Rankama avaient commencé le feu sur tout ce qui pouvait consumer. Les cases, les clôtures, les hangars et les greniers, rien n'a été oublié par la folie vengeresse des hommes de Rankama. Puis un groupe s'était directement rendu chez le chef qu'ils savaient déjà incapable de fuir. Il fut froidement abattu et son corps jeté dans un brasier incandescent. Un quatrième corps, celui de la femme annoncée au départ comme disparue, a été retrouvée le lendemain dans l'un des cendriers encore fumant du hameau incendié.
Un lourd bilan
L'intention des assaillants de Rankama appuyés de leurs frères des villages voisins, venus se faire justice, n'était peut-être pas de rayer Zangon Samaila de la carte de la commune rurale de Dan Goulbi, pour assouvir une vengeance qui les débordait. Mais le bilan à l'échelle de ce hameau pauvre et enclavé de 12 ménages, habitant dans 8 concessions, est extrêmement lourd. 4 personnes tuées, 8 concessions brulées, 2 greniers de mil et de sorgho brulés, des charrettes, des chèvres et une moto, également calcinée. Sans compter les meubles, le petit équipement, tout a été réduit en cendre. Aussitôt leur forfait commis, les vengeurs de Rankama et des autres villages qui leur ont prêté main forte, sachant bien que tout meurtre ou toute destruction est puni sévèrement par la loi, vidèrent leurs villages, emportant femmes, enfants et vieillards dans une migration forcée, vers le département voisin de Madaoua. Les premiers enquêteurs arrivés à Rankama furent surpris de constater qu'aucune âme n'y vivait, pas même une chèvre ou une poule oubliée. Tout était emporté. Aux yeux des enquêteurs, l'opération a été minutieusement préparée.
De retour à Maradi, les autorités régionales organisent les secours d'urgence. Un premier lot de bâches, tentes, nourriture, médicaments et autres produits de première nécessité, est acheminé sur place. La sécurité est également renforcée dans le secteur et une enquête est immédiatement ouverte par les services publics compétents. Aux dernières nouvelles une quinzaine de personnes ont été arrêtées et placées sous mandats de dépôt à Dakoro. La traque aux auteurs du drame de Zangon Samaila n'est pourtant qu'à ses débuts. Elle continue de part et d'autre de la " frontière " Dakoro-Madaoua où les FDS des deux départements unissent leurs forces pour neutraliser les fuyards, apprend-on des sources sécuritaires.
Un banal conflit foncier !!!???
Comment un " banal conflit foncier " a-t-il pu dégénérer en un règlement de compte entre deux communautés vivant ensemble depuis déjà plus de cinq décennies ? Selon une thèse unanimement reprise dans toutes les explications que nous avons recueillies, le drame de Zangon Samaila n'est que l'épilogue sanglant d'un contentieux historique non soldé entre deux communautés d'agriculteurs installées sur un même terroir. Le récent évènement qui a ravivé cette opposition ancestrale est justement un " conflit foncier " qui a fait l'objet de deux jugements, tous en faveur du hameau de Zangon Samaila. Précédemment, dans cette même affaire, le chef du village et l'imam de Rankama purgeaient des peines fermes à la prison de Dakoro pour n'avoir pas respecté les injonctions de la loi, en construisant une case sur le terrain objet du contentieux, malgré les décisions de justice. Tout aurait commencé par la volonté des habitants de Rankama d'acquérir un terrain d'une dizaine d'hectares, proche de leurs champs, pour étendre leur superficie cultivable, mais un terrain qui appartenait au hameau de Zangon Samaila. Mieux, l'espace convoité était frappé d'interdiction de vente décrétée par le patriarche du hameau depuis sa création. Qu'à cela ne tienne ! A Rankama, notamment pour le chef et l'imam, ce terrain était plus que vital, au point où ils auraient dépêché une mission jusqu'au Nigéria où était installé depuis plusieurs années, l'héritier du terrain, pour le convaincre de le leur vendre, malgré l'interdit. Très vite, l'affaire fut portée devant la justice par le chef de Zangon Samaila, soutenu dans sa démarche par tous ses frères qui invoquent justement cette clause d'interdiction de vente connue de tous, y compris au village de Rankama. Après avoir pesé les arguments de toutes les parties, le juge de Dakoro donna raison à Zangon Samaila. Mais le chef et l'imam de Rankama décidèrent de contester la décision du " juge départemental " en faisant appel au Tribunal régional. Avant même le jugement du tribunal régional, les deux leaders de Rankama font construire une bicoque sur le terrain pour maintenir leur OPA.
Une Histoire écrite en lettres de sang !
Une nouvelle plainte de Zangon Samaila à Dakoro et voila les deux hautes personnalités de Rankama écrouées pour non respect d'une décision judiciaire. Entre temps, leur recours au tribunal régional de Maradi est rejeté et la décision rendue en première instance confirmée. Déboutés sur tous les plans, privés de leurs leaders naturels, les habitants de Rankama et des deux autres villages qui compatissent à leur sort, ont vécu cet épisode comme une grande humiliation et une véritable injustice. Selon eux, une ou plusieurs mains invisibles manipulaient le dossier à des fins qu'ils ne comprenaient pas, en invoquant une clause désuète, alors que le principal héritier a manifesté son désir de leur vendre ce terrain. Trois semaines après l'arrestation de leur chef et de leur Imam, les habitants de Rankama, rongés par la vengeance, passent à l'acte. Un acte totalement inouï et inexplicable par l'intensité de sa violence. C'est alors qu'on évoque le passé pour tenter de comprendre ce qui a bien pu motiver un tel déferlement de haine et de violence. Ainsi, on apprend que dans les années 50, un conflit avait opposé les villages haoussas autour de Rankama à des éleveurs peuls. Ils demandèrent alors le ralliement du hameau de Zangon Samaila composé de touaregs sédentarisés, à leur cause. Mais ces derniers refusèrent catégoriquement. Depuis lors, il paraît, une sourde rivalité opposait les deux communautés, … jusqu'à cet ultime et sanglant dénouement du 18 juin 2018.
Des leçons à tirer…
Au plan régional. Ce n'est pas la première fois que la Région de Maradi se distingue par des " conflits ", le plus souvent entre agriculteurs et éleveurs, mais de plus en plus, entre agriculteurs et agriculteurs. Plus surprenant, les conflits fonciers gagnent désormais les communes : Safo et Djirataoua se battent devant les tribunaux pour un petit lopin d'une centaine d'hectares depuis 2012 ; Tibiri et Saé Saboua ne s'entendent pas sur leur " frontière " commune autour de la ville de Maradi ; Plus ubuesque, à Tchadaoua, une rivalité intercommunale a empêché la réalisation d'un marché céréalier de plus de 200 millions par le PROFAF. Bref pour dire que l'espace manque dans la région et la tendance démographique montre que la situation ne ferra que s'empirer. Une vigilance de tous les instants doit être accordée à la résolution des conflits fonciers ou champêtres. Au plan national. La résurgence de ce type de pogrom est toujours un indicateur de la défaillance de l'Etat, par sa présence ou son absence, par sa justice ou par le comportement de ses élites.