Vendredi, 14 septembre 2018, il était environ 16h. Alors que nous étions en train d’échanger par WhatsApp avec mon frère et ami de toujours, Issa Madougou, Directeur Technique à l’ONEP survint la triste nouvelle. « Mon ami, j’ai le regret de t’informer que nous venons à l’instant de perdre notre ami Ibro Youka », écrit-il. Inna lilahi wa inna ilaihi rajioune… La conversation s’arrêta net. On était tous deux sidérés. Ibro Youka, parti définitivement. Allahou Akbar !
Le lendemain samedi matin, ils étaient plusieurs dizaines, parents, amis et collègues qui l’ont accompagné dans sa dernière demeure. Le plus inconsolable était sans aucun doute, son ami, son « pays », Housseini Garba Yari, qui se tenait devant la dépouille mortelle de son « peulh » Ibro Youka, les yeux en larmes.
Ibro Youka était un proche parmi les proches, un ami de longue date et un cousin à plaisanterie toujours taquin. Il avait toujours la réplique aux railleries du targui Alhassane Assilila et aux sarcasmes du Bakatsiné (que je suis) pour qui il prédisait une retraite à Maradi derrière une table de « goro ko tabac ».
A chaque fois que je l’embêtais, il répondait calmement, « vous les katsinawa, vous êtes des faux haoussas, vous êtes des peulhs perdus et toi ce bouzou de Alhassane ne rentre pas dans notre causerie, on parle entre peulhs, va chercher tes frères touareg ». Il était comme ça Ibro, ami des uns et des autres et il sait se servir de cette arme redoutable qu’est la parenté à plaisanterie. Il était le grand frère pour certains et le pote pour tout le monde.
La maladie l’avait rendu de fois nerveux et incompris, mais il était resté toujours le même Ibro Youka, l’homme de Kiéché, que Assilila appelait avec sarcasme ‘’Ibro Youka Goro Gayya’’.
Tel un remake d’un film, je revois en boucle les meilleurs moments que nous avons passés ensemble. Sous les coups de minuit, lors de nos nombreux déplacements à l’intérieur du pays, les chamailleries et les disputes de fois inutiles, mais surtout, les meilleurs moments de plaisanterie et de raillerie.
Je revois tout cela et je mesure la perte immense que nous venons d’enregistrer. L’Office National d’Edition et de Presse (ONEP) avec cette disparition de Ibro Youka vient de perdre, l’un des meilleurs photographes de sa génération. Et nous, nous perdons un parent, un ami, un collègue irremplaçable.
Ibro Youka était malade, très malade même. La maladie l’avait complètement défiguré, transformé, mais il était toujours présent au bureau et aux heures de service s’il vous plait.
En effet, chaque matin sur sa moto de type Mate 50, il traversait Niamey de Niamey 2000, son quartier de résidence, jusqu’à la Place du Petit marché, siège de l’ONEP. Il affrontait sa maladie avec courage, détermination et ténacité. Tel ce soldat blessé qui revenait chaque fois à la charge dans la mêlée, la maladie n’avait jamais dévié Ibro Youka de sa mission de grand-reporter d’images.
Qu’il pleuve ou qu’il vente, il était toujours présent, trimballant de fois avec peine son objectif, mais les reflexes professionnels étaient restés intacts. Il ramenait de ses milliers de reportages des très belles images. Il avait un don et sait saisir le bon moment pour déclencher.
Il voulait toujours être sur le terrain. Que ça soit en compagnie des anciens collègues ou jeunes reporters, il était disponible. Il était là pour servir à l’ONEP, jusqu’au jeudi 13 septembre 2018, à la veille de sa mort. C’est dire qu’il était mort, en vrai soldat, l’arme à la main.
Je l’avais connu en 1985, alors que, jeune étudiant à l’école de journalisme, j’avais accompagné une collègue pour venir retirer des photos chez un certain Ibro Youka, à la Direction de la Presse Ecrite et des Publications, ancienne appellation de l’ONEP. Tout de suite j’ai été subjugué par son regard perçant avec des grands yeux et sa tenue impeccable, bien propre et bien fringué. A l’époque, il était toujours bien habillé, la sape à l’état pur.
Beau et élégant peulh avec sa tignasse, il ravivait la vedette lors des reportages surtout auprès de la gente féminine. Mais Ibro Youka n’était pas un homme à femmes, il était un passionné du travail. Il avait servi à l’intérieur du pays et sillonné plusieurs dizaines de villages et de hameaux tout au long de sa très longue carrière de Reporter photographe à l’ONEP.
Il était aussi un syndicaliste engagé et jusqu’à sa mort, il était délégué du personnel. Il intervenait peu lors des négociations, mais ses avis étaient tranchés. Il était intransigeant et inflexible face aux intérêts des travailleurs. Et il savait taper du poing sur la table lorsque les circonstances l’exigeaient. « Nous ne sommes pas d’accord ! », aimait-il lancer au cours des réunions entre les responsables de l’Office et les membres du personnel. Oui, c’est de notoriété publique : Ibro Youka n’était pas hypocrite ! Il disait tout haut ce que les autres pensent tout bas et s’assumait en toutes circonstances.
Il laisse derrière lui un vide difficile à combler. La samaritaine, notre Mère Theresa, Mme Issoufou Diallo Kadidiatou vient de perdre un de ses « fils », trois mois à peine après Abdou Tchiroma.
Repose en paix Dan Hilani, repose en paix « Dan Gouna » comme l’appelait si affectueusement Housseini Garba Yari. Que Dieu t’accorde Son Paradis éternel. Amine !