Au Mali, rejoindre Tombouctou en bateau permet d'éviter les mauvaises rencontres d'un trajet par la route. Mais les riverains du fleuve Niger, exposés eux aussi à la menace des bandits ou des jihadistes, dénoncent des conditions de vie précaires.
A 10H00, le "Firhoun Ag Al-Insar" de la Compagnie malienne de navigation (Comanav) appareille de la ville de Mopti, dans le centre, qu'une partie des voyageurs a ralliée en car parti avant l'aube de la capitale Bamako.
Soixante-quatre passagers --commerçants et fonctionnaires pour la plupart-- ont embarqué sur ce bateau climatisé et pourvu d'un restaurant. Avec eux, une poignée de militaires assurent la sécurité.
"Des hommes armés ont attaqué un de nos bateaux mais, grâce à l'escorte, il y a eu plus de peur que de mal", confie un responsable de la Comanav, Lassana Koné.
"Sur la route, les bandits et hommes armés nous retirent tous nos objets: téléphones, or, habits et argent", soupire une passagère, Fatalmoudou Baba.
"C'est aussi un plaisir et ça renforce la santé grâce à l'air pur", sourit un enseignant, Bamoye Djitéye.
Arrivé dans le nord du pays, brève escale à Tonka, 16.000 habitants. Des quais, Boubacar Traoré, un jeune piroguier réduit à l'inactivité par l'insécurité, observe la manoeuvre d'un oeil envieux.
"Nous sommes toujours arrêtés sur le fleuve par des jihadistes. Si tu refuses de t'arrêter, ils tirent sur toi et prennent tout ce que tu as dans ta pirogue", explique-t-il.
Mais la route reste encore plus périlleuse. "Ceux qui vont vendre leurs chèvres, moutons ou bœufs se font braquer", raconte le maire, Mamadou Konipo, craignant "la famine qui guette".
Les soldats stationnés à proximité "viennent quand il y a des attaques mais disparaissent sans nous aviser", dit-il.
"Nous faisons ce qu'on peut, ce que la hiérarchie nous demande", répond un gradé.
"C'est avec les bateaux qui passent deux fois par semaine que nous essayons de vivre, mais ils vont s'arrêter en février", avec la décrue, s'inquiète le président du conseil de la jeunesse, Boubacar Alidji Diama.
- Justice parallèle -
Le lendemain, le bateau accoste à Tombouctou, dans le nord-ouest, qui a connu en 2012 le joug des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, jusqu'à l'intervention militaire internationale lancée par la France en janvier 2013.
La ville est aujourd'hui une "prison à ciel ouvert", estime Diadié Hamadoun Maïga, membre du "Comité des sages" chargé de la gestion de Tombouctou sous le contrôle jihadiste.
"Les gens se plaignaient de l'insécurité, mais on a l'impression que cette période valait mieux qu'aujourd'hui", dit-il, en dénonçant une armée malienne "casernée" et des forces internationales "en villégiature".
Certains se tournent d'ailleurs localement vers des personnalités de cette époque, comme l'ancien juge Houka Ag Alfousseyni, dont la libération en 2014 après quelques mois de détention avait suscité l'indignation d'organisations des droits de l'homme lui reprochant d'avoir dirigé à Tombouctou "un tribunal islamique qui a ordonné, entre autres, des amputations, lapidations, flagellations et arrestations arbitraires".
"Ce sont les populations qui le sollicitent avec des affaires de recel, des litiges fonciers, des vols de motos ou de bétail", a indiqué à l'AFP le gouverneur de la région, Koïna Ag Ahmadou.
"Je l'ai envoyé chez le procureur, qui ne voit aucun problème avec ce qu'il fait. C'est pour cela qu'il continue mais nous lui avons dit qu'il y a des limites", a ajouté le représentant de l'Etat.
Aux abords de Tombouctou, la sécurité est non pas du ressort de l'armée, mais des groupes armés signataires de l'accord de paix de 2015, issus soit de l'ex-rébellion à dominante touareg soit des formations pro-Bamako.
Mais ce ne sont que des "braquages à longueur de journée" lorsqu'on veut se rendre dans les foires des environs, affirme Touré Fadimata Tandina, de la Coalition des organisations féminines de Tombouctou.
Face à cette insécurité persistante, certains haussent le ton. "Nous ne voulons pas la guerre, mais nous n'allons plus nous asseoir et regarder nos voleurs partir", prévient Kalifa Barou Dicko, au nom des "groupes d'autodéfense" représentant les populations sédentaires de la région.
Le gouverneur assure que le processus de "désarmement, démobilisation et réinsertion" dans la vie civile des combattants des groupes signataires de l'accord de 2015, qui vient de démarrer avec des années de retard, résoudra le problème.
"Tout le monde va intégrer l'armée malienne ou faire autre chose. Nous n'accepterons plus personne avec des armes", déclare le gouverneur.
En attendant, le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga a promis lors d'une récente visite à Tombouctou le déploiement dans la région de 350 membres supplémentaires des forces de sécurité, qui devrait intervenir en 2019.