Depuis la volonté exprimée, une fois de plus, par le gouvernement nigérien - soutenu en cela par les acteurs de la société civile d'Arlit (zone d'exploitation de l'uranium) - de voir le Niger tirer un meilleur profit de l'exploitation de l'uranium de son sous-sol par le géant français du nucléaire, Areva, ce dernier s'est lancé dans une forte campagne de communication. Une campagne qui s'apparente beaucoup à une action de désinformation, de diversion et de change qu'à une campagne d'informations comme on veut le faire comprendre.
Dans des communiqués et à travers des interventions diffusés par des médias nigériens et français, Areva laisse entendre que les populations locales ne sont pas mécontentes de ses actions (en mettant en exergue des interventions qu'il aurait menées dans les secteurs sociaux) et qu'elles ne sont pas sorties massivement pour répondre à l'appel de la société civile. De toutes les façons, si c'est de profit qu'il est question, Areva estime que le Niger en tire plus que lui (dans une proportion de 70 pour le Niger et donc 30 seulement Areva) de l'exploitation de cet uranium. Et de faire courir le bruit que si le Niger ne revoit pas ses prétentions à la baisse, l'une des deux mines en exploitation va mettre les clés sous le paillasson et renvoyer des milliers de Nigériens au chômage tout en faisant perdre à l'Etat du Niger une entrée de devise importante.
Pour ce qui est tout d'abord de savoir qui gagne quoi dans cette exploitation de l'uranium, on se demande s'il y a vraiment matière à poser le débat, tellement il apparait que Areva a tout simplement choisi de se payer la tête des Nigériens. Areva, c'est le numéro 1 mondial du nucléaire civil. Il l'est devenu principalement à cause de l'uranium nigérien et gabonais (qui est déjà épuisé) qu'il avait presque gratuitement et il entend le rester avec l'uranium nigérien, surtout avec le nouveau gisement d'Imouraren dont l'agenda de son exploitation par Areva, qui a décroché le contrat en 2009, ne semble rien à voir avec la préoccupation du Niger et des Nigériens.
Si, du début de l'exploitation de l'uranium (fin 1960, début 1970) à ce jour, le Niger bénéficiait à hauteur de 70% de ses retombées, il y a lieu de se demander par comment le pays n'est pas devenu le Koweït ou le Qatar. Parce que, même si ce sont les gouvernants, pris individuellement, qui s'accaparaient de ces ressources, ça ne pouvait pas passer inaperçu.
Mais tout de même, on attend de Areva, pour étayer ses dires, qu'il fournisse les chiffres. Chacun saura apprécier.
Pour ce qui est du nombre des manifestants d'Arlit, 200 (donné par Areva) contre 5.000 (avancé par les organisateurs), c'est important, mais ça ne nécessite pas une polémique. Notre conviction est que, si aujourd'hui on demande de voter pour la poursuite du partenariat avec le groupe français, rares seront les Nigériens qui voteront oui tellement chacun a à l'esprit que Areva c'est le symbole de la domination néocoloniale, c'est la matérialisation de l'expropriation des ressources naturelles des pays pauvres par les puissances, Areva au Niger, c'est l'exemple typique d'un partenariat déséquilibré.
Qu'en est-il des investissements de Areva dans les secteurs sociaux de base ?
Référons-nous à ce qu'en pense Sherpa, une association des juristes français. Le 18 décembre dernier, cette association a annoncé qu'elle met fin à son partenariat avec le groupe qu'elle accuse de négliger l'impact de ses mines d'uranium en Afrique. Son partenariat avec Areva, c'est la mise en place des observatoires de la santé autour des sites miniers. Au Niger, cet observatoire a été installé en 2011. On se rappelle que s'était en 2009 que Areva, suite à des négociations avec Sherpa et Medécins du Monde avaient décidé de signer un accord de partenariat pour créer des structures médicales permettant de suivre l'impact des activités d'extraction d'uranium sur la santé des travailleurs et des populations. Ces négociations faisaient suite à un rapport d'études accablant de 2003, menées par la Commission de recherche et d'information indépendant sur la radioactivité (CRIIRAD) et l'association Sherpa en partenariat avec des ONG locales. Le rapport avait constaté le manque d'équipements de protection et de suivi des travailleurs, des déchets radioactifs à l'air libre à proximité des habitations, des niveaux élevés de radioactivité dans l'eau et le sol, un véritable ''désastre sanitaire et environnemental''.
Un peu plus d'un an après la mise en place de ces observatoires, Sherpa constate que l'arrivée ''de Luc Oursel à la tête du groupe a correspondu à un changement de la culture de l'entreprise en termes de développement durable'', réduisant l'essentiel de ''l'exécution des accords, avec Sherpa, à une opération de communication, sinon d'affichage".
Cette prise de position suffit pour balayer d'un trait toutes les prétentions d'Areva concernant ses bienfaits dans les secteurs sociaux, notamment le plus important, celui de la santé.
Parlons maintenant du chantage, parce que c'est de cela qu'il s'agit, auquel Areva tente de soumettre le Niger.
Pour renforcer l'idée que Areva peut bien fermer une mine au Niger et poursuivre normalement ses activités, il a été annoncé que son patron a signé un contrat avec des Mongols et des Japonais pour l'exploitation de deux gisements en Mongolie. Un partenariat dit stratégique qui permettrait à Areva de ''poursuivre la diversification géographique des activités minières d'Areva'', selon le PDG de Areva Luc Oursell. Une réponse claire au Niger qui parle régulièrement de la diversification de ses partenaires pour tirer un meilleur profit de l'exploitation de l'uranium de son sous-sol.
Mais, doit-on se demander, ouvrir des nouvelles mines donne-t-il à Areva la latitude de fermer d'autres s'il le désire ?
L'ancienne présidente du directoire du groupe, Anne Lauvergeon, expliquait que la prochaine révolution énergétique, la troisième (après celle du charbon et du pétrole), sera celle du nucléaire. Avec l'abandon de plus en plus affirmé des matières très polluantes pour l'environnement, comme le charbon, au profit d'autres plus propres, l'énergie nucléaire devient incontournable à côté d'autres comme l'éolien et l'hydraulique. Elle nous apprend qu'il n'y a, en 2008, que 15% d'énergie électrique qui est produite à partir du nucléaire dans le monde. Une belle perspective pour l'uranium.
Et pour preuve, Areva multiplie la signature des contrats pour la construction des centrales nucléaires dans les pays émergeants et dans les pays développés. Or, vendre des centrales se suffit pas, il faut pouvoir en garantir la fourniture du combustible, c'est-à-dire l'uranium. C'est un atout face à la concurrence. D'où la nécessité pour Areva d'avoir beaucoup plus de mines à exploiter. Et l'ouverture de nouveaux gisements en Mongolie ne saurait compenser la perte de ceux du Niger. Parce que si Areva devait fermer la mine de Somaïr, le gouvernement nigérien ne restera pas les bras croisés. Il mettra certainement en jeu le gisement géant d'Imouraren (le plus grand d'Afrique, le deuxième au monde) dont il peut remettre en cause le contrat d'exploitation signé avec Areva en 2009, surtout que jusqu'à là, le groupe n'a toujours pas respecté ses engagements et reste flou quant au moment où il compte le faire. Ce qui serait une bonne affaire, parce que si Areva devait quitter le Niger, il ne manquerait pas des partenaires pour le remplacer et dans des conditions plus avantageuses pour le Niger.
A ce jeu de chantage, on le voit bien, Areva n'a pas plus d'atouts que le Niger.
Par contre, ce que le Niger a à craindre de Areva, ce sont surtout les coups bas, genre actions de déstabilisation, en actionnant certains groupes rebelles. Et dans la situation actuelle, on voit mal Areva, donc la France, jouer à ce jeu. Selon les informations relayées par les médias, c'était le 28 octobre 2013 que Areva devrait fermer la mine de Somaïr. Nous sommes aujourd'hui le 30 octobre 2013 et personne n'a encore entendu parler d'une quelconque suspension de la production à plus forte raison d'un arrêt définitif.
Tout cela, ce n'est pas pour dire qu'on peut rester serins, que Areva ne dispose pas de moyens de pression sur le Niger. C'est tout juste pour dire que les Nigériens n'ont pas à s'alarmer. Aucun chantage ne doit les détourner du soutien ferme qu'ils doivent apporter au gouvernement pour qu'à l'issue des négociations actuellement en cours, il nous présente des résultats qui vont nous rassurer que l'uranium nigérien n'appartient pas seulement à la France, mais aussi au Niger.