Désigné par le président du Niger, un ex-rebelle reconverti dans les mines d’uranium a joué un rôle crucial dans les négociations de la libération des otages français.
Mohammed Akotey, 46 ans, n’a jamais pu finir sa thèse d’anthropologie préhistorique sur l’histoire des premiers peuplements du Sahara. La vie, la politique et les événements en ont décidé autrement. L’intellectuel qu’il imaginait devenir a été rattrapé par l’histoire complexe et conflictuelle du nord du Niger, puis du Sahel. Mais mercredi, à Niamey, il se réjouissait sobrement d’avoir réussi à faire libérer les quatre otages d’Areva. Sobrement, car Mohammed Akotey est discret, voire méfiant. N’aime pas parler de lui, et encore moins de sujets personnels. Pourtant, c’est à ce grand Touareg vêtu de basin et portant chèche que l’on doit la libération des otages, en tant qu’émissaire spécial du président nigérien Mahamadou Issoufou. Septembre 2010. Sept agents d’Areva et de Vinci sont enlevés au milieu de la nuit à Arlit. Le Niger est alors gouverné par une junte militaire, qui vient de renverser le président Tandja quelques mois plus tôt. Le général Salou Djibo mandate - par écrit - Mohammed Akotey pour aller rencontrer les ravisseurs.
Depuis janvier 2009, ce notable atypique assume la présidence du conseil d’administration d’Imouraren SA, la mine géante d’extraction de l’uranium qu’Areva projette d’exploiter au Niger, en d’autres termes, de représenter l’État du Niger dans la nouvelle société.
Un proche de Mano Dayak.
Le négociateur se présente devant les djihadistes. Mais un peu tard. D’autres circuits de discussion sont ouverts. Le président malien Amadou Toumani Touré a déjà désigné, en particulier, l’ancien chef rebelle malien des Iforas et futur leader des islamistes armés d’Ansar Dine, Iyad ag Ghaly. Akotey prend date. Demande à Abou Zeid, le chef d’Aqmi, d’attester - par écrit - de leur rencontre et obtient, poliment, la permission de revenir régulièrement, pour le compte du Niger, suivre l’évolution de la situation. Dans les trois années qui suivent, il se rend très souvent au Mali. Toujours en tant qu’émissaire officiel du président de la République du Niger. Au général Salou Djibo a succédé, en avril 2011, le président Mahamadou Issoufou, socialiste, élu au suffrage universel.
«Il a eu la confiance du président, auquel il rendait compte directement. Le président l’a beaucoup aidé, l’a encouragé, a créé les conditions», estime Mohammed Anacko, président du conseil régional d’Agadez. «Contrairement à d’autres, Akotey ne cherche pas l’argent. Il fallait qu’il réussisse, pour Areva, pour le pays et pour la communauté », poursuit-il. Ceux qui le connaissent sont unanimes: Mohammed Akotey est «très discret, loyal et crédible». Ses interlocuteurs, dit-il, n’ont jamais changé. Quand Abou Zeidest tué par l’armée française pendant la guerre au Mali, ses lieutenants poursuivent les discussions. Son origine Iforas n’est, certes, pas un handicap, dans la mesure où ses frères du nord du Mali ne nourrissent pas de conflit avec Aqmi. Mais, insiste-t-il, les ravisseurs sont de toutes les origines. Et Iyad ag Ghaly, le chef d’Ansar Dine, son parent, n’a, jure-t-il, jamais détenu les otages. S’il l’a aidé, affirme-t-il, c’est de façon indirecte. Pour le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohammed Bazoum, Mohammed Akotey a été un joker efficace.
«Ses atouts, dit-il, ont été son origine Iforas, qui lui donnait accès facilement aux gens de Kidal, et sa discrétion. » D’ailleurs, poursuit le ministre, la nouvelle du retour des otages n’a pas filtré au Niger. À l’image de l’envoyé principal du président Issoufou, le Niger, affirme le ministre, « n’a pas pris de risque dans cette affaire. Nous n’avons rien fait d’extraordinaire, pas versé d’argent, pas de connivence ni de compromission. Il y a eu un moment trouble, pendant l’opération “Serval”, mais les fils ont été renoués et finalement, nous avons abouti. Affaiblis par “Serval”, les ravisseurs étaient plus vulnérables et ont dû revoir leurs exigences à la baisse.» Né dans la vallée de Tidene, dans l’Aïr, les montagnes au nord d’Agadez, Mohammed Akotey a grandi dans une famille nomade. Après sa licence d’histoire à l’Université de Niamey, il poursuit des études d’anthropologie à la Sorbonne.
Maîtrise, DEA. En décembre 1995, il rentre au Niger et prend la tête de la Coordination de la résistance armée, succédant à Mano Dayak, qui vient de mourir dans un accident d’avion. Mohammed Akotey est un proche parent de Mano Dayak. Ils sont tous deux issus de la famille des Iforas. En 2007, l’ex-rebelle est nommé ministre de l’Environnement et de la Lutte contre la désertification, une mission qui lui permettra peut-être de se mettre au service du développement de sa région natale. Mais le répit est de courte durée. À l’Ouest, côté malien, les salafistes s’installent et s’organisent. Les prises d’otages font déjà recette et la France comme le Niger vont se trouver en première ligne.