Avec l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi dit de réforme des universités publiques du Niger, l’autonomie de celles-ci est désormais officiellement enterrée par le régime de Issoufou, dont certains éminents membres en étaient les plus grands défenseurs il y a de cela quelques années; mais, il faut dire que l’autonomie des universités publiques n’était déjà plus une réalité avant le vote solennel des députés d’aujourd’hui.
En effet, il faut dire que les universités publiques du Niger, en tout cas celle de Niamey, avait cessé d’être autonome depuis ce jour du 10 avril où une escouade de policiers et de gendarmes, surexcités, s’y est introduite, sans une autorisation écrite préalable du recteur, pour molester les étudiants, saccager les bibliothèques et gazer les éminents enseignants chercheurs. Ce jour là, un jeune étudiant, Bagale Mallah, a trouvé la mort, victime de la furie des éléments des forces de l’ordre envoyés par le régime en place pour écraser la révolte estudiantine.
Quand le ministre de l’enseignement supérieur de l’époque, un certain Ben Omar, est apparu sur le petit écran pour affirmer que l’intervention des forces de l’ordre avait été autorisée par le recteur élu de la plus grande université publique du Niger, on se souvient que ce dernier a préféré se taire pendant des jours ; et c’est bien longtemps après le show télévisé de Ben Omar que les Nigériens ont su qu’il n’y avait pas d’autorisation du recteur et qu’il y a eu effectivement violation des franchises universitaires. Cet épisode avait révélé à tous qu’un recteur élu n’est pas forcément mieux qu’un fonctionnaire nommé par décret ; et que parfois un universitaire peut se révéler plus servile qu’un « lacourou ».
Après cet épisode, c’est un bras de fer entre le SNECS et l’UENUN qui est venu alerter le monde entier que la plus grande université publique du Niger ne sait pas jouir de son autonomie, chose précieuse pour laquelle des hommes et des femmes se sont battus ici et ailleurs pendant des années. Les enseignants chercheurs ont usé de tous leurs pouvoirs pour obtenir la tête de quelques dirigeants estudiantins coupables de n’avoir rien fait pour empêcher l’agression par leurs camarades d’un éminent chercheur membre du SNECS. Ils ont manqué de peu d’obtenir du gouvernement, à l’époque érigé en arbitre, la fin de la représentation des étudiants dans les instances délibérantes de la très autonome université publique.
À l’époque, plusieurs voix se sont élevées pour rappeler aux enseignants chercheurs que leur bras de fer contre le mouvement étudiant pourrait sonner le glas de l’autonomie des universités publiques dont ils se posaient déjà en défenseurs ; mais, personne n’a pu convaincre des enseignants chercheurs décidés à extirper de leur espace la « gangrène criminelle » introduite par un mouvement étudiant auquel beaucoup d’entre eux appartenaient il n’y a pas si longtemps encore. C’est le régime de Issoufou Mahamadou qui a tiré les meilleurs enseignements de cet épisode comme du premier épisode de la crise d’autonomie des universités publiques : la première fois, il s’est adjugé les dirigeants du mouvement étudiant et scolaire ; et cette fois ci, il a décidé de reprendre aux universitaires tous les pouvoirs qu’ils se sont battus pour avoir.
Aujourd’hui, les maîtres et leurs élèves se retrouvent dans une sorte d’impasse ; ils réalisent enfin ce que tout le monde voyait venir, et ne savent plus à quel saint se vouer. C’est triste, bien triste ; mais, pas seulement pour eux. C’est triste pour le pays tout entier. La situation actuelle vient montrer que ce pays a un grave problème ; et ce problème, c’est l’apathie qui s’est installée dans l’esprit de millions de personnes. C’est cette inaction de la société toute entière face à la grave crise qui mine l’ensemble du secteur de l’éducation. Cette inaction montre, si besoin est, que l’avenir collectif n’intéresse plus grand monde.
En tout cas, on peut bien se moquer des enseignants chercheurs qui ont tissé la corde avec laquelle le régime de Issoufou Mahamadou cherche à les pendre; mais, n’oublions pas que d’autres peuvent aussi se moquer de nous tous qui regardons une poignée d’autocrates détruire l’école publique.
La question de l’élection des recteurs et des autres responsables des universités publiques n’est pas seulement une affaire des enseignants chercheurs ; et si nous pensons que cette question est superflue, parce que nous ne voyons plus, depuis longtemps, de différence entre des autorités universitaires élues et nommées, ne soyons pas surpris qu’en 2021 le successeur de Issoufou Mahamadou soit nommé par décret ou par acclamation comme lors de sa désignation en qualité de candidat. Les enseignants chercheurs ne feront pas leur autocritique, c’est certain ; mais, défendons l’autonomie des universités publiques. C’est sûr, ça leur servira de leçon. Les étudiants d’aujourd’hui feront certainement des thèses sur ces tristes épisodes ; mais, il faut, pour que cela advienne, que chacun se lève et se batte pour que l’école, à tous les niveaux, marche.