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Pourquoi tant de coups d’Etat au Niger ?
Publié le jeudi 11 avril 2013   |  Le Monde d'aujourd'hui




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« En démocratie, chacun doit respecter les textes pour qu’ensemble les textes puissent servir à tous. », déclare PHD Mamoudou Djibo....

Le Niger a connu beaucoup de remises en cause du processus démocratique. Selon vous, quelles pourraient être les raisons de telles interruptions ?

Il est très facile de chercher les raisons de ces remises en cause du processus démocratique par l’incurie des hommes politiques. C’est vrai, à chaque fois que l’armée est intervenue, Il y a eu notamment, pendant la transition de Cheffou Amadou, une crise institutionnelle quasi permanente entre le HCR et le gouvernement de transition qui a été ponctuée de bruits de bottes avec ce qu’on appelait jadis la troupe.

Puis, il y a eu, au lendemain des élections et l’avènement de la 3e République, pendant le régime de l’AFC, énormément de troubles ; d’abord entre les alliés de l’Alliance des forces du changement (AFC), puis entre l’AFC et la nouvelle majorité parlementaire lors de la cohabitation, et cela a naturellement donné prétexte à l’armée d’intervenir.

Avec le Président Baré, on ne peut pas parler de crise institutionnelle ; c’était plutôt une crise de légitimité du pouvoir qui a conduit l’armée à intervenir, malheureusement en enlevant la vie au Président Baré. Ensuite, c’est l’aventure du projet de la 6e République qui a divisé la classe politique et a créé une crise institutionnelle, notamment avec l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnellequi vont être dissoutes. C’est vrai qu’il y a eu des remises en cause qui pouvaient justifier des coups d’Etat mais en histoire, nous, nous faisons la différence entre la raison et le prétexte. La raison est structurelle, le prétexte est conjoncturel. Le prétexte, c’est que quelque part, quand il y a crise, dans tout système il y a crise forcément, la démocratie a prévu des mécanismes de gestion des crises.

Donc, normalement, quand une crise survient en régime démocratique, cette crise doit être régulée, gérée par les mécanismes prévus par la Constitution. Et quand l’armée intervient en dernier ressort, cela laisse supposer que les officiers devaient être aux aguets.Ils sont là en train de guetter que le prétexte survienne. Et quand les officiers ont la gâchette facile, ça va vite, surtout que depuis Kountché, on a constaté que le coup d’Etat est devenu un mode de promotion sociale pour les militaires, un mode d’enrichissement. Lorsque, depuis 1996, les auteurs et coauteurs de coup d’Etat ont une amnistie constitutionnelle,ça ne fait plus peur à qui que ce soit. Quand, en plus, en 2010, on donne le plus haut grade de l’armée à l’auteur du coup d’Etat, ça veut dire que (je ne le souhaite pas) un autre jour, certains seront tentés.

Parce que, effectivement, il y a un mauvais jeu du côté des acteurs politiques, un mauvais jeu qui consiste à ne pas respecter les engagements auxquels les gens ont souscris. Les gens sont allés devant le peuple, ils ont juré sur le Coran de respecter et de faire respecter la loi, juré de travailler au bonheur du peuple et quand ils sont confortement installés au pouvoir, ils se mettent dans une telle situation qu’ils ne veulent plus quitter le pouvoir ou qu’ils ne veulent plus partager le pouvoir lorsqu’il ne s’agit pasde faire carrément la promotion de leurs parents, de leurs amis et leurs connaissances. Naturellement, cela provoque des crises, et ces crises, à force d’être exacerbées, donnent prétexte aux officiers qui ont la puissance de feu et le coup d’Etat est arrivé

Qui est en responsable ?

Tout le monde est en faute dans la mesure où les hommes politiques ne respectent pas les règles du jeu. Or, un jeu a des règles qui sont connus avant d’y aller. Les règles principales du jeu politique, c’est la Constitution, le Code électoral, la Charte des partis politiques. Tout celui qui se met en dehors de ce cadre, se met hors-jeu, tout celui qui ne respecte pas la Constitution, le Code électoral, la charte des partis politiques se met en faute par rapport au jeu politique. Une fois le pouvoir acquis, les gens ont tendance à oublier leur engagement, à oublier leur serment et à oublier la cause du peuple pour ne penser qu’à leur propre promotion. Et de ce point de vue, on peut effectivement dire que les hommes politiques sont pour beaucoup. Mais dès qu’il y a crise,les gens prennent les armes, je trouve que là aussi, c’est trop facile.

Il y a des pays où des crises ont été tellement très graves et l’armée a préféré pourtant garder le calme, à calmer le jeu jusqu’à la fin. Mais si, dès qu’il y a une crise, l’armée intervient, c’est qu’elle était d’ores et déjà préparée et n’attendait qu’une occasion. Naturellement, ça ramène la question du caractère républicain de l’armée et moi, je dirais que finalement, nous sommes dans une situation où nous avons une caste militaire qui a goûté au pouvoir, qui a goûté aux éloges, qui a goûté à l’argent et cette caste militaire s’étant embourgeoisée, a contaminé une bonne partie de la jeune génération militaire. A force d’arriver sur la scène politique, l’armée finit par militariser la politique, de la même façon que l’espace politique finit aussi par se militariser. Donc, nous sommes tous en faute mais le premier d’abord, ce sont les hommes politiques.

Est-ce que si nous respectons correctement la constitution, toutes les lois et tous les règlements de la République, est-ce que les militaires auraient eu un prétexte pour faire un coup d’Etat ? Que les hommes politiques se regardent d’abord, qu’ils se disent : « nous avons quelque chose à faire ». La deuxième chose de mon point de vue, et là c’est une maladie congénitale du système politique nigérien depuis la conférence nationale, c’est la logique du partage. Notre système est fait de telle sorte qu’aucun parti n’est fort pour arriver seul au pouvoir ; donc il est obligé de se chercher des alliés, y compris en opérant des combinaisons qui s’assimilent à un mariage du lièvre et de la carpe. Le lièvre et la carpe, lorsqu’ils contractent mariage, est-ce le lièvre qui prend le risque de se noyer en allant vivre sous l’eau ou la carpe qui va sortir pour les noces ?

Et les alliances sont si étoffées qu’il est impossible de satisfaire tout le monde et on veut satisfaire le maximum, donc on disperse les efforts et l’efficacité. Tous ceux qui n’ont pas été récompensés s’estiment lésés et mécontents, ils se mettent à contester, à saboter le système et à contribuer à le fragiliser. Cela est vraiment structurel, notre système politique depuis la conférence nationale n’est pas arrivé à dégager une majorité nette qui pourrait régner seule sans l’appui des autres et tout celui qui vient appuyer un candidat au deuxième tour réclame sa part souvent au prix fort. Cela, naturellement, crée les conditions d’une instabilité, sauf si les acteurs arrivent à s’élever au- dessus de la mêlée pour agir et se comporter en véritable homme d’Etat.

Quelles sont les conséquences d’une crise politique ?

Sur toute la ligne, une crise politique est préjudiciable au développement du pays. D’abord à l’interne, c’est ce qui est fondamental, ça crée des conditions de méfiance entre citoyens, entre responsables et citoyens, ça crée une certaine démotivation au niveau de l’activité de création de richesses et chacun, en voulant mettre en échec son adversaire, sabote un pan de l’économie, du système politique. Au niveau international, dès qu’il y a crise politique, ça effraie les partenaires, ça effraie les bailleurs de fonds qui n’ont plus confiance, qui ne veulent pas venir jeter leurs capitaux et naturellement, quand il n’y a pas de ressources externes, l’économie ne peut pas être boostée et au plan diplomatique le pays perd sa crédibilité.

Finalement, puisque, même pour nourrir notre population, pour l’instant nous tendons encore la main en attendant de voir l’aboutissement de l’initiative 3N, ça veut dire que s’il y a crise politique, nous ne serons même pas capables d’assurer le quotidien des populations sans compter que nous serons toujours cités en référence comme un pays livré à l’instabilité, comme un pays livré au risque de catastrophe Le Président américain avait dit que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes… Nous avons des institutions fortes, nous avons des textes très bien faits, mais ce sont des hommes qui les animent. Ce sont les hommes qui confectionnent les textes, ce sont les hommes qui animent les institutions.

Donc,tant qu’il n’y a pas cette conscience politique de devoir respecter les textes, quelle que soit la valeur des textes, quelles que soient la nature et l’ampleur des institutions que ces textes auront permis de mettre en place, l’institution ne peut être que fragile. Aux Etats-Unis, Obama l’a dit parce que c’est une très vieille démocratie, une constitution qui a fait ses preuves et chacun agit à l’intérieur de la constitution. Or, nous, jusqu’à présent, nous n’avons pas encore intégré cette constitution. N’oubliez pas que de mars 1959 à novembre 2011, nous sommes à la 8e Constitution. On ne peut pas changer de constitution comme on change de chemise et se rappeler exactement de l’essentiel. Et de toutes les façons, nous avons tout expérimenté, normalement l’homme politique doit être capable de savoir quel comportement adopter face à chaque situation politique parce que nous avons expérimenté toutes les ressources que les textes constitutionnels peuvent donner en régime démocratique. Il ne reste plus rien à apprendre, mais malheureusement ce sont toujours les hommes.

Pensez-vous que le Niger soit sur la voie de la démocratie ?

Le Niger est effectivement sur la voie de la démocratie, en tout cas jusqu’à preuve du contraire, le président actuel, de mon point de vue, a joué le jeu. Maintenant, s’il y en a en dehors de lui ou à côté de lui qui essaye de jouer mal le jeu, il faut qu’il prenne le courage de taper dessus parce que la démocratie est antinomique du laisser-aller. Chacun doit respecter les textes pour qu’ensemble les textes puissent servir à tous. Je pense que toutes les institutions prévues par la constitution sont en train d’être finalisées, je prie Dieu pour que cela puisse se poursuivre.

Un dernier mot...

Tous les chantiers qu’il a annoncés sont en train de se mettre en place, je pense qu’on peut beaucoup espérer que ces chantiers puissent aboutir. Puisque la volonté est là, il faut juste l’accompagner et je pense que les conditions de stabilité actuelles du pays peuvent permettre d’espérer que ces chantiers aboutissent


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