Alors que les Nigériens continuent de protester contre l’installation de bases militaires étrangères au Niger, Mahamadou Issoufou semble ignorer royalement l’opinion dominante de son peuple. Le feuilleton italien n’est pas encore totalement clos qu’il ouvre d’autres perspectives, de plus en plus surprenantes, comme si le Niger a fait l’objet d’un partage quelque part. Selon le site d’information français Lepoint.fr qui l’annonce, après la France, les États Unis, l’Allemagne et l’Italie, les Émirats Arabes Unis seraient dans les starting-blocks du Président Issoufou qui négocie seul, dans le plus grand secret, ces délicates affaires, en violation de la constitution qui l’oblige à obtenir au préalable l’aval de l’Assemblée nationale. Ayant sans doute compris que les motivations des autorités nigériennes ne sont pas forcément liées à une efficacité de la lutte contre le terrorisme, l’Émirat a cru pouvoir tirer aussi son épingle du jeu. Ce ne sont pas les arguments qui lui manquent. Pour convaincre les autorités nigériennes qui ont déjà succombé à l’offre financière de l’Italie, les EAU n’ont pas trop de souci à se faire.
L’installation d’une base militaire émiratie sur le sol nigérien suppose un parti pris nigérien dans un conflit armé interne à un pays voisin.
Menées dans le plus grand secret afin de leur donner une chance d’aboutir, les négociations portent, selon le site d’information français, sur l’installation d’une base militaire émiratie sur le sol nigérien. Précisément aux portes de la Libye où s’affrontent les forces du général Haftar contre celles du Premier ministre Faïez Sarraj dont le gouvernement est reconnu par les Nations Unies. Pro-Haftar, les Émirats arabes unis veulent installer une base militaire à partir de laquelle il leur sera loisible de bombarder les forces acquises au Premier ministre qui contrôle Tripoli et que Haftar n’arrive pas encore à prendre. Selon le site d’information français, « plusieurs rencontres ont eu lieu à propos de cette proposition dont les conditions sont toujours en discussion ». D’un véritable enjeu pour les Émirats arabes unis, mais plein de périls pour le Niger, l’installation d’une base militaire émiratie sur le sol nigérien suppose un parti pris nigérien dans un conflit armé interne à un pays voisin. En fait, si Haftar bénéficie du soutien des Émirats arabes unis, le Premier ministre libyen, lui, est soutenu par d’autres pays, notamment le Qatar , ce petit pays du Golfe qui a été accusé par les EAU et l’Arabie Saoudite d’avoir une main liée dans l’expansion du terrorisme dans le monde. Autant dire que Niamey risque de mettre le doigt dans l’engrenage.
Le cas de l’accord secret avec l’Italie serait-il réédité avec les EAU ?
Attirées sans doute par les dollars émiratis comme elles ont succombé à l’offre alléchante italienne de concéder au Niger la moitié de son aide globale dédiée à l’Afrique, les autorités nigériennes vont-elles céder aux avances émiraties ? Il y a de très fortes chances que ce soit le cas. Si ce n’est déjà le cas. Car, comme dans le cas italien où ils ont nié avoir signé un accord secret de ce genre, les dignitaires du régime marchent à pas feutrés, sans bruit, pour ne pas attirer l’attention de ceux dont ils ont peur de la réaction. Jusqu’à la publication, sous la pression d’organisations non gouvernementales italiennes, du contenu de l’accord secret de coopération dans le domaine de la défense signé entre le Niger et l’Italie le 26 septembre 2017 à Rome, les autorités nigériennes, par la voix du ministre de la Défense, Kalla Moutari, ont continuellement bouté en touche.
Le Niger risque de devenir un théâtre de guerres par procuration
Si elles signent un accord secret avec les Émirats arabes unis, lui donnant ainsi une portion de territoire nigérien à contrôler, les autorités nigériennes, friandes de telles offres, accepteraient de fait de servir de base arrière à l’armée émiratie dans une guerre par rapport à laquelle le Niger a plutôt intérêt à rester neutre. Les EAU, note le site d’information français, a déjà effectué des bombardements sur les positions tenues par les forces du gouvernement libyen. Si, après avoir composé avec les autorités intérimaires libyennes en extradant Saadi Kadhafi, le fils du défunt Guide libyen qui a trouvé refuge au Niger, Niamey retourne sa veste pour fournir cette position stratégique aux EAU contre les mêmes autorités intérimaires libyennes, Mahamadou Issoufou n’aura pas fait que précipiter le Niger dans l’œil du cyclone Libyen. Il aura également fait du Niger un théâtre de guerre par procuration entre des États du Golfe comme c’est le cas du Yémen où s’affrontent Saoudiens et Iraniens par procuration. Une confrontation dont les conséquences sur les populations yéménites sont des plus désastreuses.
Le 7 février 2017, le Président Issoufou élève l’Émir du Qatar à la Dignité de Grand-Croix de l’Ordre national du Niger et le 10 juin, il rappelle l’ambassadeur nigérien à Doha
Ayant pris position dans la guéguerre entre le duo Arabie Saoudite-EAU et le Qatar en rappelant, début juin, l’ambassadeur du Niger à Doha, les autorités nigériennes ont signé, là, un revirement extraordinaire. Le 7 février 2017, le Président Issoufou s’est rendu à Doha, au Qatar, dans le cadre d’une visite officielle de trois jours. À l’occasion, fait quelque peu bizarre, le visiteur élève son hôte, Son Altesse Sheikh Tamim Bin Hamad Al-Thani, Émir du Qatar, à la Dignité de Grand- Croix de l’Ordre national du Niger. Le 10 juin suivant, Mahamadou Issoufou rappelle l’ambassadeur nigérien au Qatar. Le parti pris du Niger dans ce bras de fer entre le duo Arabie Saoudite-EAU et le Qatar est déjà un acte diplomatique grave. Mahamadou Issoufou commettrait-il l’irréparable en cédant aux sirènes des dollars qataris ?
Un montage grossier
Officiellement, l’Arabie Saoudite et les EAU accusent le Qatar de «soutien au terrorisme». C’est un discours qu’aurait prononcé le 23 mai 2017 l’émir Tamim ben Hamad Al Thani qui aurait déclenché l’opération contre le Qatar. Dans ce discours, l’émir du Qatar aurait critiqué la politique américaine et rappelé les liens forts entre son pays et l’Iran.
Or, ce discours n’a jamais existé. Il a été posté sur le site de l’agence d’information qatarie via un piratage. Ce qui s’apparente à un plan de déstabilisation du Qatar va rapidement tourner en fiasco, des pays comme la Turquie ayant pris fait et cause pour la péninsule. Même les États Unis ont vite révisé leur position en essayant de calmer l’ardeur belliqueuse des Saoudiens et des Émiratis. Le Qatar abrite le Commandement central des forces aériennes des États-Unis avec un effectif de 10 000 soldats stationnés sur la base d’Al-Udeid.
Quels sont les véritables desseins de Mahamadou Issoufou?
Par delà les raisons historiques et politiques du conflit qui oppose le bloc Arabie Saoudite-EAU et le Qatar, conflit dont il est très éloigné, le Niger a toujours pratiqué une politique d’équidistance vis à vis des pays arabes [Ndlr: thèse de Mamoudou Djibo, Phd]. Une base militaire émiratie au Niger est tout ce qu’il y a de plus catastrophique pour la stabilité et la sécurité du Niger. Les Nigériens, déjà en boule contre la présence massive de forces militaires étrangères qui ne les mettent pas pour autant à l’abri d’agressions terroristes, sont très inquiets quant aux véritables desseins de Mahamadou Issoufou. Pourquoi réunit-il tant d’armées étrangères sur le sol nigérien?
Récemment rassemblés sur la grande place de la concertation à Niamey, les étudiants de l’université Abdou Moumouni ont dénoncé ces implantations anarchiques de bases militaires étrangères sur le territoire nigérien. Et s’ils n’ont embouché la même trompette que l’opposition politique nigérienne et la société civile qui soutiennent que l’insécurité est devenue un business pour les autorités nigériennes, les scolaires ont toutefois mis le holà sur une tendance qui sent le roussi. Avec l’expérience de l’accord de défense secret signé avec l’Italie, nombre de Nigériens se demandent ce que les responsables émiratis vont mettre sur la table pour obtenir leur ticket d’entrée.