En « mi-2008 et 2011, la population internet est passée de 1.3 milliard à 2 milliards et le monde d’utilisateurs mobile a augmenté de 4 à 5 millions ». Ces statistiques révèlent la vitesse avec laquelle le monde virtuel est en train de se peupler du jour au lendemain. Une relation qui se créée entre les hommes, qu’ils soient dans un même espace géographique ou dans des contrés lointaines nécessite impérativement une règlementation pour éviter le risque de tomber dans l’anarchie. Si dans le monde réel, le problème ne se pose pas, car la police administrative veille à travers diverses mesures qu’elle prenne à prévenir des troubles éventuels à l’ordre public, les conversations et informations partagées sur les réseaux sociaux semble se dérouler dans un flou total sans une véritable restriction. Il se pose alors le problème d’encadrement juridique de la diffusion de ces informations et conversations car, comme pour les medias traditionnels, la presse audio-visuelle, les journaux ou revues en l’occurrence, il y a une limite objective à l’exercice de la liberté d’expression.
Cette limite s’explique naturellement par le souci de garantir l’ordre public.
Cette notion d’ordre public a toujours causé un souci de définition tant pour le législateur que pour la doctrine, c’est d’ailleurs à ce juste titre que Malaurie affirme que « nul n’a jamais pu en définir le sens, chacun en vante l’obscurité et tout le monde s’en sert ». Face à ce souci le juge choisit en lieu et place de la définition la voie de l’énumération en considérant que, sont les éléments constitutifs de l’ordre public, le bon ordre, la sécurité la tranquillité et la sureté. En droit administratif, ce trinôme est constitutif de ce que le doyen Hauriou appelait un ordre « matériel et extérieur ». Cependant cette notion a connu une importante mutation, effet deux éléments se sont greffés aux éléments traditionnels qui constituent l’ordre public, il s’agit de la moralité publique et la dignité de la personne humaine.
Dans notre perspective, il s’agira alors de prendre en compte tous les éléments constitutifs de l’ordre public qu’ils soient traditionnels ou nouveaux car avec la démultiplication des réseaux sociaux et leurs utilisations quotidiennes l’ordre public n’est plus cantonné à sa dimension matériel et extérieur, il est aussi immatériel.
Un réseau social comprend des individus ancrés dans une société donnée, dans un contexte spécifique et interagissent en fonction d‘un but précis : communiquer, s‘intégrer en groupe en tentant d‘y exister et de s‘y affirmer d‘une manière ou d‘une autre. Pour David Fayon, « un réseau social est constitué d‘organisations ou d‘individus reliés entre eux par les liens qui sont créés à l‘occasion d‘interactions sociales ».
L’ampleur que prennent les réseaux sociaux et leurs impacts sur la société fait de l’intervention de l’Etat un élément indispensable pour encadrer la liberté d’expression dans ce monde digital.
Les libertés de la personne intellectuelle comme celle de l’opinion, d’expression et de conscience ne peuvent s’exercer sans limite, son exercice doit être concilié avec les préoccupations relatives à la protection de la dignité humaine, de la moralité publique et de la sécurité. Les libertés ont vocations à bénéficier de la protection de la loi et leur champ d’application ne peut être a priori circonscrit et les limites à la liberté sont des exceptions. Le constituant Nigérien a placé dans le domaine de la loi « (…) les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Le législateur Nigérien a adopté une série de loi pour encadrer l’exercice de la liberté d’expression via internet dont la dernière en date du 25 juin 2019 sur la lutte contre la cybercriminalité. Si le souci du législateur est de réglementer un domaine qui était resté pendant longtemps en dehors de toute réglementation, il se pose le problème de concilier le respect de cette liberté de communication avec la sauvegarde de l’ordre public.
La liberté d’expression est une liberté publique, donc, premier des droits de l’homme dans l’énumération qu’en donne l’article 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Mais comme tous les autres catégories de droits civils et politiques, leur respect en Afrique pose énormément de souci, car la construction de l’Etat de droit reste toujours précaire et le risque d’abus dans l’application des règlementations en la matière n’est pas à exclure. C’est pour cette raison que nous voulons démontrer dans ce travail que la conciliation entre l’exigence de liberté d’expression sur les réseaux et la sauvegarde de l’ordre publique n’est pas une tâche facile (I) avec surtout des acteurs sociaux qui ne sont presque pas homogène et un concept d’ordre public toujours imprécis. Cependant, on peut assurer cet équilibre lorsqu’on respecte un certain nombre de condition (II) dont celle relative à un contrôle juridictionnel rigoureux sur les éventuelles restrictions et l’adoption des règles limitant l’exercice de ces libertés à un niveau supranational.
Abou Koïni Abdoul Kader,
Doctorant en droit public à l’université Gaston Berger,