Le taux de bancarisation au Niger n’est pas encore connu de manière systématique. Dans certaines littératures, un taux de 4% est évoqué, certainement l’un des plus faibles taux au monde. Car en effet, la bancarisation sous d’autres cieux, constitue un véritable indicateur de croissance économique.
La chose est simple : plus il ya de comptes ouverts dans un pays, plus la capacité d’absorption des investissements de ce pays se développe. Les travailleurs, ceux de la Fonction Publique, ayant connu les vicissitudes des années 97 à 2000, déterminés à ne plus se la laisser dicter par un commerçant du quartier, sont les plus « bancarisés ». Plus de 80% d’entre eux ont leurs salaires de fin de mois domiciliés dans les banques.
Dix ans après, le meilleur est peut-être passé. Et les choses ne se déroulent plus comme prévu…
Un drame social se profile…
Le trente du mois. Dans le hall, heureusement climatisé, d’une banque de la place, se tient en file désordonnée, une foule hagarde et bigarrée, composée en majorité, d’enseignants, d’infirmiers et de militaires, tous pressés de passer au guichet. Leur âge moyen varie de quarante à soixante ans. Ils ont tous les têtes et les barbes blanchies à moitié et arborent des costumes usés et délavés par le temps. Leurs visages comme marqués aux fers, traduisent une anxiété presque insurmontable. L’ambiance frime le mortuaire. Personne n’a l’air d’être content et c’est là tout le paradoxe de la situation, car d’habitude les fins de mois, c’est quand même des journées très attendues.
La suite des évènements est encore plus dramatique. MK, enseignant de son état, cadre A1, s’apprête à passer au guichet. Il paraissait relativement plus stressé que ses compagnons d’infortune. Sa chemise était mouillée malgré la climatisation. Il fit passer son chèque et sa carte d’identité à travers l’étroit orifice du guichet. Après traitement, le caissier lui renvoya sa carte et une sommette de 52.000F. Pris d’un déferlement intérieur, le cadre A1 ne put étouffer un cri de lamentation et ses yeux rougis commencèrent à larmoyer. Quelques collègues compatissants l’aidèrent à sortir hors de la banque.
Seulement quelques centaines de mètres plus loin, notre infortuné héro s’écroula et perdit connaissance. Il fut transporté d’urgence à l’hôpital. C’est après avoir émergé de son coma qu’il raconta son histoire. Il avait un salaire d’environs 300.000F, il a pris un crédit longue durée, un crédit scolaire et un crédit tabaski. Tous les mois, il enchainait les visas. Chaque mois, il touchait à peine le tiers du salaire qui lui était viré. Mais pour ce mois-ci spécifiquement, il avait de gros problèmes. Sa femme était pratiquement à terme et il n’avait pas encore acheté le mouton ; son petit frère terminaliste, inscrit dans une école privée venait d’être « chassé » pour impayés. Pour compléter le tableau, il avait en charge 5 enfants, 2 « petits frères » et logeait dans une maison de 50.000F. Ajouter également à son agenda familier, les sacs de provision vides et les factures qui ne tarderont pas à tomber. En somme, une bonne équation à plusieurs inconnues dont le résultat est égale à 52.000F !
Les banques sont-elle pour quelque chose ?
Il n’ya pas de doute, MK et sa famille vivent dans l’extrême pauvreté. Pour ce mois-ci, toute sa famille, soit 9 personnes au total, vivra avec moins d’un euro par jour ! Et ils ne seront pas les seuls, la majorité, pour ne pas dire la quasi-totalité, des ménages bancarisés qui cumulent les crédits et qui ne vivent qu’avec un seul salaire, ne peuvent en aucun cas joindre les deux bouts. « C’est pire que la période Wanké ! », souligna un autre fonctionnaire se trouvant dans le même scénario.
A la question de savoir d’où provient cette chute drastique de leurs revenus, ces fonctionnaires bancarisés indexent dans un premier temps la modicité de leurs salaires, avant de reconnaitre quand même, que ceux-ci ont « considérablement » augmenté ces dix dernières années. Alors où se trouve le hiatus ? « Mes problèmes de fin de mois ont commencé quand je suis entré à la banque… », confie cet autre. « J’ai pris tous les crédits possibles et en l’espace d’une année quand tout l’argent est terminé, je ne touchais même pas le tiers de mon salaire. Je ne sais pas comment, mais j’ai la conviction qu’il se passe quelque chose autour de nos salaires dans les banques… »
En effet, les banques l’ont bien compris, avec le terme échu désormais respecté, les salaires des fonctionnaires et des travailleurs d’une manière générale, constituent pour elle, une véritable niche financière. Elles se sont toutes précipitées à la conquête de ce marché en pleine croissance, proposant chaque jour de « nouveaux produits » pour davantage appâter et « enfoncer » les clients. Il n’ya pas de chiffres qui circulent là dessus, mais à l’évidence, ce sont des milliards que l’état et les autres employeurs du pays injectent chaque mois dans les coffres des banques pour payer les salaires. Et dans ces milliards, toutes traites déduites, à peine un tiers tombera dans les mains des travailleurs.
Il se passe alors comme si, cet argent de fin de mois qui, pour l’essentiel, représente « le carburant » de l’économie nigérienne, en traversant les réseaux bancaires, se retrouve « séquestré », voire même « emprisonné ». Résultat : Il ne coule plus, in fine, que quelques gouttes au robinet, pendant quelques jours. Aujourd’hui tous les fonctionnaires le disent et le clament, la durée de vie d’un salaire bancarisé ne dépasse pas 3 jours. Après, plus personne n’a de l’argent pour soutenir les charges quotidiennes. Voila qui pourrait alors faire le nid de la corruption dans les administrations publiques. Voila qui pourrait surtout, expliquer largement la « grippe » qui caractérise l’économie nigérienne aujourd’hui. Une grippe qui se traduit par un effondrement brutal de l’indice de consommation de la classe moyenne. La conséquence directe de cette situation se traduit par l’assèchement des circuits économiques informels qui vivent principalement de cette manne mensuelle, mais aussi des circuits traditionnels de distribution de richesse dans lesquels, les éléments de la classe moyenne, en particulier les fonctionnaires, tiennent une place prépondérante.
Beaucoup d’observateurs n’hésitent pas à poser l’hypothèse que si les fonctionnaires et autres travailleurs, bancarisés pour la plus part, crient et se lamentent tous les jours que « l’argent ne circule pas », cela tient, sans doute, du lent processus de leur paupérisation entamé depuis leur bancarisation. Ce n’est pas parce que Mahamadou Issoufou est incapable de gouverner le pays, comme d’aucuns plus simplistes aiment à le clamer. Le vrai problème pourrait se retrouver ailleurs, … chez « les bailleurs ». Sinon, comment comprendre l’effondrement brutal du pouvoir d’achat de la classe moyenne bancarisée, malgré les augmentations successives de salaires depuis 2007 ? Cela donne alors sur le terrain un paradoxe saisissant bien connu des socio économistes, « le paradoxe de l’opulence ». D’un côté une classe moyenne pauvre et endettée par les banques et de l’autre, des banques qui « souffrent » de surliquidité !
Tô ! Say kaka ?
Monsieur Cissé I., socio économiste, tente d’expliquer la situation : « En fait, les banques avec leurs taux exorbitants de 13 à 19%, des taux qui il faut le dire haut, sont les plus forts au monde, ponctionnent directement et légalement les salaires des fonctionnaires. Nulle part au monde les banques ne prêtent aux travailleurs de l’argent à des taux aussi élevés, sur une aussi courte période. Aux états unis par exemple les banques prêtent de l’argent à des bacheliers sur une durée de 25 avec seulement un taux de 5%. Ici au Niger par contre le salarié prend un crédit tabaski ou scolaire, remboursable en seulement 10 mois, mais avec un taux de plus de 10% plus des frais de dossier injustifiables, des frais mensuels de tenue de compte exorbitants. C’est un problème africain. Souvenez-vous, récemment le président sénégalais Macky Sall a fait de la réduction des taux d’intérêts bancaires son cheval de bataille, malheureusement, il n’a pas été compris par ses pairs… »
Le problème est donc toujours entier. Plus qu’un problème nigérien, c’est même un problème africain. Partout en Afrique, les banques avancent l’argument de l’insécurité et de l’instabilité politique pour hausser à volonté leurs taux d’intérêts. Si une décennie en arrière la situation se justifiait, aujourd’hui avec des pays africains démocratiques ayant des croissances économiques de 5 à 10%, rien ne justifie qu’elles continuent d’appliquer les mêmes taux. La BCEAO, pourtant censée faire la police en la matière et connaissant bien la situation, a récemment réduit ses « taux directeurs » sans que cela n’ait eu un quelconque effet sur le « comportement prédateur » des banques en Afrique. Notre continent, par le truchement des banques, est aujourd’hui le nouvel eldorado du capital financier international. Toutes les analyses économiques et financières le disent clairement.
Reste maintenant aux pouvoirs publics africains de prendre des mesures conservatoires pour corriger les effets corrosifs de la bancarisation sur le pouvoir d’achat de la classe moyenne, lequel pouvoir d’achat, il faut le rappeler, est un facteur incompressible de stabilité sociale, pour tout pays qui se respecte. La récente « opération de recensement des travailleurs » initiée par le gouvernement a été hautement appréciée par les mêmes travailleurs. Elle a été pour beaucoup, l’unique occasion de toucher leur vrai salaire. Reste également à la société civile et aux clients des banques, de se doter de l’expertise leur permettant de lire dans tous les chiffres, dans tous les listings et derrière toutes les virgules pour débusquer les présumés abus dont ils les accusent. Reste enfin aux banques de ravaler leurs appétits pour revenir à des taux plus raisonnables et plus compatibles, ce qui serait très beau pour être effectif dans l’immédiat.