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[Contribution]: Lettre de Djibrill Baré au Professeur Issoufou Katambé…

Publié le dimanche 1 septembre 2019  |  Tamtam Info
Djibril
© Autre presse par DR
Djibril Baré : « Moi j’ai un programme ambitieux …et Incha Allah je serais candidat en 2021 ! »
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M. le Professeur des mathématiques, suite à un examen attentif des résultats plus que catastrophiques du baccalauréat proclamés cette année, puisque près de 3 candidats sur 4 ont été recalés, j’ai noté que sur un total de 61482 candidats inscrits au bac général soit 94% du total, seuls 150 sont de la série scientifique C, représentant 0,24% du total.

Et 107 ont été admis soit 0,17% du total. C’est insignifiant pour un pays de 20 millions d’habitants minier et pétrolier de surcroit. Après 59 ans d’indépendance, et c’est scandaleux.

J’ai dans un premier temps cru avoir mal lu, et je me suis demandé ensuite si l’auteur du tableau ne s’était pas trompé en transcrivant les chiffres. Mais, toutes vérifications faites, il s’est avéré que c’est bien la triste réalité. Nous, nigériens, nous sommes des handicapés avérés en mathématiques.
Face à ce constat, je ne savais plus où donner de la tête.

Je me suis surpris à m’interroger pour savoir comment les enfants du pays du Professeur Abdou Moumouni Dioffo et Dan Dicko Dan Koulodo, réputés en leur temps pour leur esprit scientifique, en sont arrivés là. Dans la Rome antique, pratiquement tous les grands philosophes étaient de grands mathématiciens et vice versa.

Puisqu’il fallait être doté d’un esprit logique pour embrasser la philosophie, venant du grec ancien philein : « aimer » ; et de sophia, « sagesse » ou « savoir », et signifiant littéralement : « l’amour de la sagesse ». C’est pour la même raison, que sur la porte de l’école de philosophie créée par Platon, l’un des plus éminents philosophes, il avait inscrit « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » ?

En effet, pour Platon, la géométrie (en pure pensée) était un art qu’il fallait maîtriser pour être à ses yeux un philosophe complet. Aristote, l’un des penseurs les plus influents que le monde occidental ait connu, n’était-il pas l’un des rares philosophes à avoir abordé presque tous les domaines de connaissance de son temps ?

Autrefois, même dans nos lycées, ne s’orientaient dans les séries littéraires que ceux qui n’avaient pas le choix du fait de leur faible niveau en mathématiques et les cracks en mathématiques étaient adulés aussi bien en classe que dans la société. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sur 10 élèves, 7 préfèrent les séries littéraires nettement plus à même de leur assurer des débouchés dans notre société politisée à outrance.

Normal, les philosophes, ou plutôt les diplômés en philosophie, les juristes sont devenus des entrepreneurs politiques, voire des « sécurocrates ». Gaston Bachelard, l’un des principaux représentants de l’école française d’épistémologie historique, n’avait-il pas écrit, dans son œuvre « La Formation de l’esprit scientifique » que « L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes.

Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».

Face à cette situation insolite de la science dans un pays qui aspire, dit-on, à l’émergence, j’ai finalement décidé de m’adresser à l’amoureux des mathématiques que tu fus, en souvenir de tes performances que j’ai pu apprécier dans cette matière à l’Ecole Neuve de Niamey rebaptisée Ecole Wright qui t’avaient attiré la sympathie de nos illustres maîtres des années 64 à 67 que furent Marcel Alimatou et Sako Karamoko (Paix à leur âmes).

Je me suis persuadé que même embrigadé par les camarades, tu pourrais m’accorder une oreille attentive et prendre le taureau par les cornes en souvenir de notre défunt ami commun féru de mathématiques Issoufou Sidibé (Paix à son âme), qui nous a très tôt quittés. Cette fibre, je le pense, pourrait te faire réagir, puisque je m’adresse au promotionnaire, mathématicien, pas au politicien.

En lisant cette lettre, tu te demanderas certainement pourquoi je ne me suis adressé directement à toi, plutôt que d’écrire.

J’ai choisi de m’adresser à toi plutôt qu’à l’autre mathématicien, spécialiste de la théorie des jeux, spécialiste et champion en tout, qui défie tous les jours la loi universelle de la gravitation afin d’assister à tous les sommets et colloques organisés sur la planète terre, parce que lui aura fait le choix de jouer à la roulette russe avec notre système éducatif.

Rassure-toi professeur, comme Michel-Ange » J’écris seulement pour exhaler la douleur intérieure dont se nourrit mon cœur. » puisque je suis finalement persuadé, comme Nicolas Malebranche dans « La recherche de la vérité », qu’ « Écrire est le moyen de parler lorsqu’on n’espère pas être écouté ».

Figure toi que j’ai choisi d’être Economiste, comme Sanoussi Tambari Jackou et mon pays est dernier du monde dans le classement pour l’Indice de Développement Humain, donc je n’ai plus rien à dire à mes enfants et petits-enfants. C’est l’échec total.

Mais, pourquoi tes amis qui comptent de nombreux mathématiciens, maltraitent-ils autant les mathématiques ? Comment justifier un bilan aussi calamiteux dans l’enseignement scientifique ?

Même s’il est vrai qu’en 2016, dans sa courageuse intervention, le ministre chargé de l’enseignement primaire Docteur Daouda Marthé, avait révélé que 90 à 96% des élèves du Cours Préparatoire (CP) ou Cours Moyen deuxième année (CM2) n’ont pas les seuils requis pour comprendre les enseignements de Français et de Mathématiques. En concluant que c’est le niveau très bas de certains enseignants et leur manque de qualification qui est la cause de la baisse du niveau des élèves.

Professeur, dites-moi, quel pays pourrait se développer et s’industrialiser avec un tel résultat scolaire et universitaire dans les matières scientifiques ? Comment notre pays pourrait-il être compétitif au sein de la Zlecaf avec un tel handicap dans le domaine scientifique ? L’avenir n’appartiendrait-il donc pas à ceux qui inventent, qui créent des brevets et qui consacrent leurs ressources à la recherche développement nécessitant la formation de chercheurs de haut niveau ?

En dépit de tous ces constats, depuis huit ans le même discours nous est servi : 22 % des ressources financières du budget affectées à l’éducation, comme si elles pouvaient à elles seules garantir sa qualité. Pourtant ce ne sont pas les constats des plus lucides d’entre vous qui ont manqué et qui, fort heureusement, ont pu atténuer la descente aux enfers.

Jean-Pierre Olivier de Sardan, Directeur de recherche émérite au CNRS et Directeur d’études à l’EHESS, dans sa « Lettre à mes amis du PNDS au Niger : saurez-vous ne pas reproduire les erreurs du passé », datée d’avril 2016, avait déjà tiré la sonnette d’alarme :

Des secteurs comme la santé ou l’éducation, qui sont des secteurs clés, ne font l’objet aujourd’hui comme hier que d’une attention quantitative de la part du pouvoir nigérien, comme d’ailleurs de la Banque mondiale : combien d’argent dépensé, combien de fonctionnaires recrutés, combien de bâtiments construits, combien de malades soignés, combien d’élèves inscrits, combien, combien…

Mais pour quoi faire ? Pour quelle qualité de service ? Or, le système scolaire nigérien est dans un état sinistré, en particulier à l’intérieur du pays : des enseignants sous-formés, sous-motivés, sous-payés, fortement absentéistes, faisant des cours de (très) faible niveau dans des classes surpeuplées ».

C’est donc cela le mal de notre système éducatif. Et pour ce qui est de l’enseignement scientifique, nous n’avons relevé aucune mesure incitative décisive, propre à inverser la tendance. Pourquoi ne pas créer des établissements secondaires scientifiques d’excellence dans les régions ?

Pourquoi ne pas instituer des concours réguliers dans les sciences pour inciter les élèves à développer l’esprit scientifique ? Pourquoi ne pas créer une société mathématique ? Sans compter toutes les panoplies de mesures qu’un comité ad hoc à créer pourrait proposer dans le sens de développer le goût pour les mathématiques.

Ne doutant pas de ton engagement futur pour un développement de la fréquentation des filières mathématiques dans notre pays, j’ai bon espoir que des actions seront entreprises pour inverser la tendance de baisse de la fréquentation des séries scientifiques. Je compte sur toi pour ramener dans les classes et dans les amphis les professeurs de mathématiques qui les ont désertés pour des strapontins politiques « plus juteux ».

Ne dit-on pas « qu’une équation bien posée est à moitié résolue » ?

Par Djibrill Baré ( Ancien promotionnaire de l’Ecole Neuve) (Ecole John Wright) Fils d’enseignant, né et grandi dans une école publique


Djibrill Baré
Ancien promotionnaire de l’Ecole Neuve (Ecole John Wright)
Fils d’enseignant, né et grandi dans une école publique
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