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Exclusif : « Le Niger risque de perdre son pétrole », s’inquiète Ibra Hadiza, présidente de l’association NIWO

Publié le jeudi 12 septembre 2019  |  Actu Niger
Ibra
© Autre presse par DR
Ibra Hadiza, présidente de l’association NIWO
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À l’aube de l’exploitation à grande échelle de l’or noir de notre pays - ce qui, du reste, suscite beaucoup d’espoirs chez le Peuple nigérien — la présidente de l’association NIWO tire la sonnette d’alarme sur le risque réel que l’État perde le contrôle du brut nigérien. Dans un entretien exclusif qu’elle a accordé à L’Éclosion, Moumouni Ibra Hadiza lève un coin de voile sur les pratiques qui gangrènent l’exploitation pétrolière au Niger, dont la mise à l’écart des cadres nigériens, formés à grands frais par l’État et les parents dans certains cas, est criarde. Lisez ses réponses à nos questions et vous comprendrez qu’il ne suffit pas d’avoir des réserves pétrolières importantes pour sortir de l’extrême pauvreté…

L’Éclosion : après 8 ans d’exploitation, quelle est la situation actuelle du secteur pétrolier au Niger ?

Ibrah Hadiza : depuis la découverte et le début de l’exploitation du pétrole au Niger, un véritable regain d’intérêt s’est emparé des étudiants qui nourrissaient le rêve de servir leur pays en travaillant dans ce secteur très porteur pour l’économie nationale.

Consciente de ses lourdes responsabilités relatives au devenir du pays, la jeunesse nigérienne s’est investie en se formant dans les filières pétrolières.

Cet engouement a eu pour premier résultat, la création de plusieurs filières du domaine pétrolier dans les différents instituts de la place, sur la chaine de valeur de l’industrie du pétrole. En 2009 l’État nigérien, a commencé à orienter des étudiants de niveau licence en mine et pétrole à l’université Abdou Moumouni de Niamey, au-delà, certains en Côte-D’ivoire pour suivre une formation d’ingénieur en génie pétrolier.

Par ailleurs, d’autres étudiants ont aussi pu se former à l’ingénierie pétrolière dans des pays comme la Chine, les États-Unis d’Amérique, la France, le Nigeria et l’Algérie.

Il faut noter que 70 % de ces étudiants ont bénéficié des bourses offertes par le gouvernement nigérien. Ce qui a permis, en quelques années, d’avoir une flopée d’ingénieurs et de techniciens qui sont estimés à quelques 500 personnes dans ledit domaine.

Hélas, très vite, ils ont été confrontés à la dure réalité du marché de l’emploi.

Mais, Mademoiselle la Présidente, comment expliquez- vous cela quand on sait que le besoin est réel pour un pays qui venait tout juste de commencer l’exploitation de l’or noir ?

Vous savez, Monsieur YERO, le ministère en charge du pétrole ne recrute que très rarement ; les compagnies pétrolières qui sont sur le terrain ont « leurs » ingénieurs à elles, je voulais dire, ceux qu’ils ont amenés de leurs pays respectifs. Malheureusement, les autorités ne doivent pas perdre de vue le respect des différents protocoles d’accord signé entre l’État du Niger et ces sociétés eu égard à leur indifférence sur l’intégration des diplômés locaux ; permettant ainsi, à ces compagnies de favoriser la ressource humaine extérieure au mépris de l’expertise locale.

Si vous remarquez, l’ANPE (NDLR, Agence nationale pour promotion de l’emploi) et les sites de recrutement en ligne ne font jamais cas de postes à pourvoir ou vacants dans le secteur pétrolier. Les quelques rares recrutements semblent s’opérer à travers les relations personnelles, ce qui conduit à un manque de compétitivité dans le secteur.

Selon vous, quelle est la conséquence de cette mise sur les bancs de touche des jeunes diplômés dans ce secteur si stratégique pour un pays ?

Les jeunes diplômés du secteur pétrolier sont dans un état d’extrême précarité et d’incertitude quant à l’obtention d’un emploi. Cette situation constitue aujourd’hui une préoccupation majeure qui mérite d’être prise en charge de toute urgence par le gouvernement nigérien. C’est l’une des raisons qui a forcé la plupart des diplômés du secteur à se réorienter dans des domaines plus accessibles à l’emploi. Cela a créé, de facto, une fuite de cerveau vers d’autres pays de la sous région et ailleurs de façon exponentielle et inquiétante ; ruinant ainsi tous les plans et efforts consentis par l’État du Niger pour la formation de ces diplômés dans la perspective de l’appropriation et la maitrise de la technologie de l’industrie pétrolière par notre pays. Mon cas est un exemple patent. Ingénieure de réservoir pétrolier que je suis, malgré tous mes efforts, je n’ai pu trouver un emploi dans mon pays. J’ai dû émigrer au Nigeria où je travaille actuellement pour IDSL (Integrated Data Services Limited).

Et pour répondre à votre question, sachez que notre pays court le risque de perdre son pétrole. Je m’explique : lorsque vous n’avez pas des nationaux qui travaillent à des niveaux élevés de responsabilité dans un système d’exploitation, l’État ne pourra se contenter que de ce qui lui ait déclaré par les multinationales dont l’objectif premier est de faire des profits immenses pour elles-mêmes et pour leurs pays d’origine. Du coup, pour défendre les intérêts du Niger, l’État doit avoir des yeux permanents sur la chaine d’exploitation et pour se faire, il lui faut des nationaux à tous les niveaux de la chaine. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Mais, il y’a quand même des diplômés nigériens qui travaillent dans les compagnies qui exploitent notre pétrole non ?

Bien sûr que oui, nous avons des nationaux qui travaillent dans les compagnies qui opèrent dans l’exploitation du pétrole au Niger. Cependant, selon les données en notre possession, force est de constater qu’il y a peu d’ingénieurs nigériens sur le terrain d’exploitation (estimés à moins de 50 en nombre), et parmi ces ingénieurs, nulle présence féminine.

C’est ce qui démontre, une fois de plus, le bienfondé du combat de NIWO, qui s’inscrit, en art et en sens, dans le cadre d’une meilleure intégration de la femme technicienne et ingénieure dans le domaine pétrolier avec des femmes au cœur de son animation associative.

Nous constatons également qu’aucun poste de responsabilité clé ou technique n’est occupé par un Nigérien. Nos ingénieurs ne sont pas placés en fonction de leurs profils, au contraire, ils sont utilisés selon la volonté et l’humeur de l’employeur.

Ils sont orientés dans des départements qui sont en inadéquation avec leurs formations respectives et le plus souvent ils ne jouent que l’interprète et/ou le traducteur.

De notre point de vue, cet état de fait ne permet pas et ne peut être favorable au transfert de compétence à court, moyen et long terme ; et cela se place tout naturellement aux antipodes des attentes légitimes de l’État et des Nigériens pour une bonne capitalisation sur la collaboration avec les partenaires.

Récemment, le Conseil de ministre a adopté un décret pour doter le Niger d’unepolitique pétrolière, cela n’est-il pas déjà un très grand pas vers une autonomisation ?

C’est une grande décision qui a été prise par l’État et dont nous espérons qu’elle répondra aux multiples attentes tout en mettant fin aux maux dont souffre le secteur pétrolier.

Maux, qui ont pour noms : manque d’emploi des diplômés nationaux, non pris en compte de la compatibilité profil-poste et absence totale de transfert de compétence.

Ce qui s’avère crucial pour qu’un jour nous puissions prendre en main notre propre destin. La politique pétrolière qui devrait permettre la création d’une compagnie Nationale pour gérer les activités aussi bien en amont qu’en aval de l’industrie pétrolière doit être l’occasion de s’appesantir sur le transfert de compétence qui est primordial pour la maitrise de la technologie par les nationaux.

En 2016, nous avons vu au Tchad l’impact relatif à l’incapacité des locaux à travailler sans les expatriés sur le terrain. Suite à un quiproquo survenu entre le pays et la compagnie étrangère exploitante du pétrole, nos frères et voisins du Tchad n’étaient pas en mesure de continuer l’exploitation.

Pourtant, après des années de travail avec les experts, ils auraient pu capitaliser et maitriser la technologie nécessaire. Ce qui les a finalement amenés à revoir leur stratégie et à se donner les moyens dont ils ont besoin. Et l’un des objectifs fondamentaux de notre association, NIWO, est justement d’éviter que notre pays se retrouve, un jour, en pareille situation. Raison pour laquelle nous pressons l’État du Niger à anticiper et à être dans une posture meilleure qui lui permettra de pouvoir répondre promptement à toute situation conflictuelle de manière à sauvegarder les intérêts du pays et à se mettre à l’abri du chantage des multinationales.

L’on dit souvent que c’est trop facile de critiquer, alors, que proposez-vous concrètement pour conjurer toutes les appréhensions que vous venez d’étaler à nos lecteurs ?

Nous suggérons, dans un premier temps, que le gouvernement nigérien se penche plutôt sur la question du renforcement des compétences techniques, de l’emploi et de l’intégration du genre.

Le Niger doit en effet s’inspirer des réussites et des bonnes pratiques mises en œuvre dans des pays voisins, comme le Tchad, le Nigéria et le Ghana.

En outre, le ministère de l’Enseignement supérieur a un rôle important à jouer en ce qui concerne l’accréditation des universités publiques et privées qui offrent des cours en industrie pétrolière. Il s’agira en effet de s’assurer que la qualité est de mise dans les programmes et qu’ils répondent aux normes internationales en vigueur.

Aussi, il est important d’encourager la création d’un cadre national de formation d’ingénieurs qualifiés dans le secteur pétrolier à l’image de l’EMIG qui existe dans le domaine des mines.

En ce qui concerne les stages, les différents ministères de tutelle en particulier celui de l’Enseignement supérieur et celui du pétrole doivent créer des ponts entre, d’une part, les universités publiques et privées ; et, de l’autre, avec les entreprises privées.

À travers ce processus, nous pensons que certains défis auxquels le pays et les entreprises sont confrontés dans leurs opérations trouveront des solutions. C’est aussi l’occasion pour nous, d’encourager l’État dans sa politique pétrolière.

Nous espérons qu’il prendra toutes ses responsabilités et fera de l’intérêt supérieur du Niger sa priorité devant n’importe quelle structure étrangère travaillant ou voulant travailler dans le pays.

Pour terminer, nous savons que le Niger est un pays-jeune en termes d’exploration et de production pétrolière, néanmoins il est maintenant temps de regarder vers l’avenir et de se convaincre que ce sont les petits d’aujourd’hui qui deviennent les grands de demain.

Et voilà qui est bien dit !

Mademoiselle la présidente, merci !
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